Le Parlement européen semble suivre de près le programme de déréglementation de l’agro-industrie. En effet, il a adopté le 7 février dernier à Strasbourg une proposition d’assouplissement de la réglementation concernant les plantes issues des “nouveaux OGM”. Une décision qui réjouit l’industrie semencière et inquiète les partisans de l’agriculture biologique.
Très divisés au sujet de cette question, les États membres ne se prononceront probablement pas avant les élections européennes de juin. Un laps de temps qui peut être mis à profit pour revoir les points les plus inquiétants de cette proposition…
Les nouveaux OGM, de quoi s’agit-il ?
Appelés “nouvelles techniques de sélection génomique ou NGT”, les nouveaux OGM visent à imiter les modifications qui pourraient se produire naturellement ou par l’intermédiaire des croisements traditionnels, mais en allant beaucoup plus vite que la nature ou les agriculteurs.
La création des NGT (ou en anglais NBT) repose sur une technique nommée Crispr-Cas9. Il s’agit d’une sorte de “ciseaux moléculaires” qui modifient le génome d’une plante en insérant des molécules issues d’une plante de la même espèce. Tandis que les OGM classiques introduisent dans une plante du matériel génétique provenant d’une autre espèce vivante, ils peuvent mélanger une espèce animale et végétale par exemple. La méthode Crispr-Cas9 serait ainsi capable d’inhiber ou d’activer certains caractéristiques des plantes pour les rendre plus résistantes aux maladies, aux ravageurs, à la sécheresse ou encore augmenter leur rendement.
La directrice de l’Union française des semenciers, Rachel Blumel, justifie ainsi la position de l’industrie semencière:
La sélection variétale se pratique depuis la nuit des temps. Les paysans ont toujours sélectionné les semences issues de leurs meilleures plantes. Celles-ci avaient acquis, par de simples mutations aléatoires, des caractères leur permettant de résister aux contraintes environnementales. C’est aujourd’hui encore ce que font les sélectionneurs. À ceci près qu’au lieu d’attendre qu’une mutation offre à la plante un meilleur rendement ou qu’une résistance à un pesticide apparaisse naturellement, les sélectionneurs des grandes firmes utilisent le génie génétique.
Présentés par leurs partisans, sans preuve à l’appui, comme une “solution pour la transition écologique face au changement climatique”, les nouveaux OGM peinent à convaincre les défenseurs de l’agriculture naturelle.
En effet, alors que la sélection traditionnelle des plantes par la nature et par les paysans s’appuie sur un long processus qui garantit la qualité d’une espèce, la création en laboratoire des NGT n’apporte aucun recul sur les effets de ces produits artificiels sur l’environnement et la santé humaine. Sans oublier la perte de contrôle potentielle dans l’application de la technique Crispr-Cas9!
Mise au point par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, la technique Crispr-Cas9 inquiète l’une de ses créatrices. Bien que les deux femmes aient remporté le prix Nobel de chimie en 2020 pour leur travail, Jennifer Doudna s’étonne de l’engouement que suscite ce qu’elle a contribué à créer et craint les dérives éthiques de sa découverte. De son côté la CIA a conscience du risque bioterroriste associé au Crispr-Cas9, qui pourrait aboutir à “des agents chimiques et des changements génétiques héréditaires chez l’homme”.
Guillaume Tumerelle, avocat spécialiste en droit de l’environnement:
On n’a aucune idée des effets que peuvent avoir ces plantes transformées une fois diffusées dans l’environnement. Il est logique que l’on fasse une évaluation préalable du risque. Le principe de précaution est inscrit dans les traités européens.
Un appauvrissement de la diversité naturelle
L’une des inquiétudes soulevées par la création des nouveaux OGM est la standardisation des semences qui conduirait à un appauvrissement de la diversité des plantes. Cédric Villani, lors d’une audition parlementaire consacrée à ces nouvelles techniques en 2021, souligne que les OGM sont
associés à des pratiques destructrices de la biodiversité en raison du développement de variétés soit tolérantes aux herbicides soit très standardisées.
Les grandes firmes développent ces nouvelles semences pour doper certaines caractéristiques. Pour Jérome Enjalbert, chercheur à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement):
Le modèle économique derrière les NGT et les OGM est l’intensification en recherche et en capital, avec une demande forte de retour sur investissement. Le risque est de concentrer encore davantage les recherches sur les espèces dominantes et d’augmenter leur présence sur le territoire. C’est de l’homogénéisation du paysage.
Jérôme Enjalbert soutient plutôt le déploiement d’une diversité de sélectionneurs. Ces derniers développeraient chez de plus nombreuses espèces des variétés adaptées aux terroirs et aux nouvelles pratiques agroécologiques.
Un point de vue partagé par Sylvie Colas, agricultrice du Gers et secrétaire nationale de la Confédération paysanne:
Cette promesse génétique est un leurre, puisqu’une plante avec le meilleur potentiel génétique ne donne rien si elle n’est pas adaptée à un milieu, à un climat, à certaines pratiques… Ces techniques génomiques sont celles d’une agriculture industrielle qui va à l’encontre d’une agriculture paysanne.
L’étiquetage des nouveaux OGM supprimé
En 2018, la Cour de justice de l’Union Européenne avait jugé que les produits issus des NGT entraient dans le champ de la directive OGM de 2001. Mais elle a assoupli sa position le 7 février 2024 en considérant que les règles encadrant les OGM (autorisation, traçabilité, étiquetage, surveillance) n’étaient plus adaptées à ces nouvelles biotechnologies.
Ainsi, elle décide que certaines catégories des nouveaux OGM n’ont plus besoin d’être étiquetées et tracées. La catégorie de NGT (désignée par l’acronyme « NGT1 ») dont les modifications n’excèdent pas une vingtaine de nucléotides (unité de base de l’ADN) est considérée comme équivalente aux plantes conventionnelles et donc exemptée d’étiquetage tout au long de la chaîne alimentaire (si ce n’est sur les sacs de semences). Elle est présentée ainsi sans distinction et comme aussi sûre que les plantes naturelles au yeux des consommateurs. Ces plantes NGT1 ne sont pas soumises aux exigences prévues par la législation sur les OGM, dont une étude d’évaluation des risques.
Les plantes ayant subi davantage de modifications (« NGT2 ») devront suivre la législation européenne en vigueur sur les OGM (dont la culture est quasiment interdite dans l’UE). Elles devront faire l’objet d’une autorisation et d’un étiquetage spécifique. Tous les végétaux NGT seront interdits dans la production biologique. Cependant, il sera impossible d’assurer aux agriculteurs bio la pérennité de leurs filières puisque la dissémination des NGT ne sera ni traçable, ni controlable une fois plantés. La filière bio ne pourra plus garantir de produire sans « nouveaux OGM »…
Pour en savoir plus