Origines du Covid: Trump impose la version du virus de laboratoire

La nouvelle doctrine scientifique est accusatoire et dresse une liste de coupables, avec la Chine au 1er rang. Comment l'interpréter?

Article de Senta Depuydt d’Essentiel News

Après s’être désigné comme sauveur avec le lancement de l’Opération Warp Speed, qui a permis de produire des vaccins “miraculeux” anti-Covid, Trump revient dans le rôle du grand justicier de la pandémie. Au ban des accusés, la Chine, l’OMS, l’ONG Eco Health Alliance, Anthony Fauci, et toute une série d’acteurs que le nouveau Secrétaire à la santé Robert Kennedy Junior avait également dénoncés dans son ouvrage “Labo P4 de Wuhan: que nous a-t-on caché?

Désormais, la thèse officielle est celle d’un accident survenu au laboratoire de Wuhan qui a été dissimulé par le gouvernement chinois et les autorités de la santé mondiale, dont le Dr Anthony Fauci. Ce dernier est coupable d’avoir manipulé l’enquête sur les origines du virus et d’avoir recommandé des mesures sanitaires inutiles et désastreuses.

L’annonce intervient dans le climat de guerre économique avec la Chine et renforce le lobby de la biosécurité. En revanche, les éléments pointant vers une responsabilité propre ou un évènement planifié et orchestré  par un “Etat profond” transnational ne font pas partie du tableau. “Le marais à assécher” semble donc bien délimité.

LA vérité selon Trump

Enième bouleversement à Washington: Trump et son équipe imposent une révision du ‘narratif’ Covid. La Maison Blanche vient de modifier son site d’information sur la pandémie de manière radicale. Au lieu d’une page présentant des données, des tests et différents types de mesures sanitaires, on y découvre aujourd’hui le président Trump au milieu d’un titre géant: “Lab Leak”, the true Origins of Covid-19. Ce visuel choc se réfère bien entendu à la thèse selon laquelle une fuite de laboratoire est à l’origine de la pandémie.

La page reprend les éléments du rapport final de la sous-commission chargée de l’enquête sur les origines du virus dans le cadre de la Commission de contrôle de la gestion pandémique, soumis à la Chambre le 4 décembre 2024. En guise d’introduction, on y lit la phrase suivante:

La publication « The Proximal Origin of SARS-CoV-2 » – qui a été utilisée à maintes reprises par les responsables de la santé publique et les médias pour discréditer la théorie de la fuite de laboratoire – a été réalisée à l’initiative du Dr Fauci afin de promouvoir la thèse privilégiée selon laquelle le Covid-19 est d’origine naturelle.

L’argument se décline ensuite en 5 points clés:

  1. Le virus possède des caractéristiques biologiques qui ne sont pas naturelles.
  2. Les données montrent que tous les cas de Covid ont émergé suite à une transmission unique vers l’homme. Cela contredit les épidémies où il y a eu différentes sources de contamination par les animaux.
  3. Wuhan abrite le plus important laboratoire de recherche sur le SRAS en Chine, qui mène depuis longtemps des recherches sur le gain de fonction (modification génétique et aggravation de la dangerosité) dans des conditions de biosécurité inadéquates.
  4. Des chercheurs de l’institut de virologie de Wuhan ont été malades et ont présenté des symptômes typiques du Covid, à l’automne 2019, plusieurs mois avant que l’on ne parle de patients provenant du marché de Wuhan.
  5. Selon presque toutes les recherches scientifiques, s’il existait des preuves d’une origine naturelle, elles auraient déjà été découvertes. Mais ce n’est pas le cas.

Revirement sur les “mesures Covid”

La suite est une série d’affirmations brèves et incisives, incluant la condamnation de plusieurs politiques sanitaires et de leurs auteurs. On y lit par exemple que:

Les confinements prolongés ont causé des dommages incommensurables non seulement à l’économie américaine, mais aussi à la santé mentale et physique des Américains, avec des effets particulièrement négatifs sur les jeunes citoyens. Plutôt que de donner la priorité à la protection des populations les plus vulnérables, les politiques fédérales et étatiques ont contraint des millions d’Américains à renoncer à des éléments essentiels d’une vie saine et financièrement stable.

Ou encore que:

La recommandation de distanciation sociale — qui a entraîné la fermeture des écoles et des petites entreprises dans tout le pays — était arbitraire et non fondée sur des données scientifiques. Lors d’une audition à huis clos, le Dr Fauci a déclaré que cette recommandation «était en quelque sorte apparue toute seule».

Et à propos des masques:

Qu’il n’existait aucune preuve concluante que les masques protégeaient efficacement les Américains contre la Covid-19. Les responsables de la santé publique ont changé d’avis à plusieurs reprises sur l’efficacité des masques sans fournir de données scientifiques aux Américains, ce qui a entraîné une forte augmentation de la méfiance du public.

Les coupables du désastre

Dans ce véritable pamphlet, les coupables sont désignés: en premier lieu la Chine, l’Institut national de la santé et son directeur Anthony Fauci, Eco Health Alliance, la société qui finançait les recherches de gain de fonction et son patron Peter Daszak, mais aussi Joe Biden et son gouvernement, le gouverneur de New York, Andrew Cuomo ou encore les scientifiques et les médias impliqués dans la censure et la manipulation des informations.

Pas de pitié non plus pour l’OMS, dont la réponse est qualifiée d'”abominable échec” (an “abject failure”), parce qu’elle se serait pliée à la pression du Parti communiste chinois. Et le texte en profite d’ailleurs pour rappeler que selon Trump et son gouvernement:

L’initiative visant à résoudre les problèmes exacerbés par la pandémie de Covid-19 — par le biais d’un « traité sur les pandémies » — pourrait nuire aux États-Unis.

En somme, il s’agit non seulement d’imposer avec force une nouvelle vérité officielle sur le Covid, mais surtout d’en faire une arme politique.

Le renseignement en renfort

S’il n’y a pas de grandes révélations, puisque ces conclusions avaient déjà été exposées il y a quelques mois, la force et le ton surprennent. D’autant que ces annonces sont appuyées par le patron de la CIA, John Ratcliffe, qui a ordonné la divulgation d’un rapport de synthèse sur l’origine du Covid, au lendemain du retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Dans ce document, l’agence privilégiait la thèse de la fuite de laboratoire, sur celle d’une transmission naturelle par les animaux.

Ratcliffe, qui avait déclaré à la commission sur les origines du Covid que cela lui semblait être la seule explication plausible, répète depuis 2021 que la Chine est coupable d’avoir orchestré une gigantesque opération visant à masquer sa responsabilité dans la pandémie. Selon lui, le CCP aurait procédé à “la destruction de tests médicaux, d’échantillons et de données, à l’intimidation et à l’élimination de témoins et de journalistes, en passant par le mensonge et la coercition des autorités sanitaires mondiales, voire la diffusion de propagande”.

Par ailleurs, 2 autres agences, le FBI et le Département de l’énergie, avaient rendu les mêmes conclusions, mais sans révéler leurs sources. Christopher Wren, le directeur du FBI, avait déclaré que la Chine faisait tout pour entraver l’enquête. Et le Département de l’énergie, qui supervise le programme américain d’armement nucléaire et gère un réseau de laboratoires nationaux, avait rendu un avis similaire.

Tensions renouvelées avec la Chine

Il faut dire que dès le départ, Donald Trump n’a cessé de pointer son rival du doigt, en parlant du Covid comme du “virus chinois”. Dans une interview datée de mai 2021, il dressait le contexte géopolitique de cette obsession à un journaliste de la BBC:

Qu’est-ce qui vous donne un haut degré de confiance dans le fait que le Covid provient de l’Institut de virologie de Wuhan ? Donald Trump :

Je ne suis pas autorisé à vous dire cela, mais poursuivez vos questions.

Monsieur le Président, envisageriez-vous que les États-Unis ne paient pas leurs dettes envers la Chine en guise de punition pour le virus ?

Donald Trump :

Disons que je peux agir différemment. Je peux faire la même chose, et même pour plus d’argent, en imposant des droits de douane. Je n’ai donc pas besoin de recourir à cette solution. Il s’agit d’environ un trillion de dollars, un peu plus si j’ai bien compris, un trillion de dollars. Mais nous pouvons le faire d’une manière, je pense, probablement un peu plus directe. Quand on commence à jouer à ces jeux, c’est difficile. Mais, nous devons protéger le dollar. Nous devons protéger le caractère sacré et l’importance du dollar.

En réaction au rapport du Département de l’énergie américain de février 2023, le ministère chinois des affaires étrangères avait exprimé son vif mécontentement. Son porte-parole Mao Ning avait déclaré que «les parties concernées devraient cesser d’agiter des arguments sur les fuites de laboratoires, cesser de dénigrer la Chine et cesser de politiser la question de l’origine du virus».

La nouvelle doxa sur l’origine du virus s’inscrit donc bien dans ce théâtre politique d’une escalade face à la Chine, avec des perspectives qui dépassent la seule guerre commerciale. Car, si la Chine était accusée d’avoir voulu développer une arme biologique à Wuhan, cela ouvrirait potentiellement la porte à une réponse nucléaire des États-Unis.

La course aux armes biologiques

La saga de l’origine du virus, qui a été décrite de manière très détaillée dans le livre de Robert Kennedy Junior, “Labo P4 à Wuhan: que nous a-t-on caché?”, revêt ici une importance particulière dans la mesure où elle s’attarde sur les expériences de “gain de fonction” menées dans le cadre d’une “terrifiante course aux armes biologiques“, pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage.

En exposant de manière passionnante les décennies de recherches visant à développer des armes biologiques, de l’Allemagne nazie aux États-Unis, en passant par le Japon, Kennedy confirme l’importance de cette thématique dans les programmes militaires. Malheureusement, cet éclairage alimente la rhétorique de la menace bioterroriste ou des risques liés à l’utilisation d’armes de destruction massive.

L’on voit déjà comment Trump et ses supporters sont prêts à s’en saisir. Il suffirait de quelques nouveaux rapports de la CIA pour lancer de telles accusations et enclencher des logiques guerrières, ou à tout le moins leur financement massif. Pourtant, il ne faudrait pas grand chose pour calmer le jeu. Si l’on investit bien des montants astronomiques dans ce type de recherches, cela ne signifie pas que la menace soit aussi importante qu’on ne le prétend.

C’est en tout cas l’avis du prof. Martin Zizi, ancien expert en armes chimiques et biologiques auprès du Conseil de sécurité de l’ONU durant 15 ans. À l’entendre, la possibilité de concevoir des armes biologiques pour créer des pandémies est quasi nulle, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si le fait de manipuler un virus dans un laboratoire n’est guère compliqué, en faire une arme de destruction massive efficace que l’on peut contrôler à l’échelle planétaire est particulièrement difficile. Ensuite vient la difficulté de se protéger soi-même des conséquences de cette arme (il serait bien plus simple d’utiliser des vaccins qui permettent de sélectionner et limiter les cibles). Enfin, il est assez aisé de détecter une trace biologique de ce type d’armes, ce qui ouvre la porte à une réplique par l’utilisation d’armes de destruction de masse.

D’un narratif à l’autre

La version “chauve-souris et pangolin” servait l’agenda d’un gouvernement mondial protecteur face à un ennemi insaisissable composé de virus, de chaleur et de carbone. C’est le récit qui promeut la surveillance et le contrôle des populations par l’anticipation de menaces communes invisibles. L’on parle ici des politiques de l’OMS et des agences onusiennes telles: “une seule santé”, “la santé liée au climat”, “le traité pandémie” ou le passe sanitaire.

Le manque d’enthousiasme des peuples à la démesure de ce projet devait fatalement conduire à acclamer sa version contraire (accélérer).

La présentation de la saga du “supervirus expérimental venu du laboratoire de l’ennemi” correspond à la réaction en miroir. Ici, plus question de noyer l’individu dans la masse du “one world” contre le virus, ni de mettre l’accent sur le bien commun. C’est le versant complémentaire qui prend le relais: celui où chacun est clairement identifié. Le héros agit en surhomme pour défendre ses intérêts propres, face à des ennemis nommés comme tels. C’est Trump contre Fauci, Daszak, Cuomo et l’OMS ou même la Chine toute entière.

Ce ne sont pas les traités de l’OMS ni ‘le consensus scientifique’ qui imposeront leur loi, mais “celui qui a été élu”.

Cette fois la stratégie accélérationiste, qui vise à “démolir pour mieux reconstruire” un nouvel ordre mondial, se déclinera sous d’autres motifs: la nécessité de sauver le dollar et l’hégémonie américaine face aux BRICS et à la concurrence chinoise, et le besoin de durcir le ton face à des nations hostiles, quitte à provoquer une 3ème guerre mondiale.

La version manquante

Plusieurs éléments manquent au nouveau “narratif” pour qu’il soit réellement inspirant.

Tout d’abord une tentative, une once de mea culpa ou de prise de responsabilité personnelle de la part de Trump, qui a toutes les circonstances atténuantes d’avoir été trompé, aurait été de bon ton. Ou faut-il se contenter d’admirer le tour de force qui consiste à se poser en justicier pour dénoncer des politiques que l’on a soi-même approuvées?

Car, s’il veut réellement s’opposer à l’État profond qu’il prétend combattre, Trump a ici tous les éléments nécessaires et l’occasion rêvée pour le faire. A titre d’exemple, il peut citer le rôle de Bill Gates et d’un nombre d’acteurs impliqués dans la “planification” des pandémies comme Robert Kadlec ou des compagnies mafieuses comme Emergent Biosolutions.

Il peut déconstruire la notion même de pandémie, en dénonçant la supercherie des tests PCR en provenance d’Allemagne et en expliquant qu’il s’agit d’une fausse menace. Et il peut même en profiter pour retirer du marché les fameux vaccins Covid, en disant qu’on lui a caché les traitements existants, efficaces et bon marché et que la pandémie est finie.

Mieux encore, il peut pointer du doigt les géants de la finance et les banquiers centraux qui se sont réunis le 22 août 2019 pour approuver le plan de Blackrock et lancer le grand reset économique “de la prochaine grande crise/pandémie en arrivage” (le plan monétaire lié à la pandémie est connu sous le nom du “Going down reset“).

Et, dans ce monde parallèle, Trump pourrait même renvoyer la balle vers la communauté scientifique en lui demandant de prouver l’existence du virus Sars-cov-2… et de tous les autres. Histoire d’avoir la paix pendant la suite de son mandat.

Pourquoi pas? Puisque Trump peut tout.