Article de Senta Depuydt d’Essentiel News
La rencontre Les Foisonnantes qui s’est tenue les 12 et 13 octobre dernier à Sisteron avait pour titre “Les graines d’un monde nouveau“.
L’évènement donnait la parole à des intervenants issus de différents domaines: science, médecine, philosophie, droit, éducation, psychologie ou économie, dans un continuum qui s’étend du corps à la conscience et de l’individu à l’ensemble de la société.
Axée sur les éléments essentiels au développement et à l’épanouissement de la jeunesse, la thématique s’ouvrait aussi à une réflexion plus large sur les fondements d’une société nouvelle, appelée à naître de l’effondrement en cours. La table ronde consacrée à ce thème principal a permis d’articuler plusieurs idées clés.
Penser la société de demain
Pour éduquer les jeunes au monde de demain, il faut avant tout rêver notre futur et créer les conditions de sa matérialisation. Le panel constitué de Philippe Guillemant, Valérie Buguault, Etienne Chouard, Fabien Moine et Jean-Philippe Huber, a réuni les personnages parmi les plus iconoclastes et les plus visionnaires de France, au cours de la dernière décennie.
Chacun de ces intervenants a développé un certain nombre d’éléments essentiels à l’avènement d’une société plus humaine et plus démocratique:
Reprendre le pouvoir
Professeur de droit et d’économie, Etienne Chouard plaide pour l’institution d’une véritable démocratie par la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne et l’écriture d’une nouvelle constitution. Opposé au processus de l’élection qui consiste en un abandon de pouvoir, il considère le tirage au sort comme le meilleur outil de la représentation démocratique.
Comment lutter contre la domination impunie? La première chose contre laquelle il faut agir, c’est l’indifférence des dominés aux conditions de leur représentation politique.
Nous en combattons les conséquences, mais presque personne ne se soucie des causes de cette injustice générale.
Partout les constitutions mettent en place des pouvoirs sans contrôle et organisent l’impuissance populaire. Le problème, c’est que ce sont les hommes au pouvoir qui écrivent les règles du pouvoir et que les dominés ne se saisissent pas du processus.
Commune par commune, village par village, il faudrait qu’il y ait une assemblée constituante, afin que lors d’une prochaine révolution, celle-ci ne soit pas élue.
Pour Étienne Chouard, 4 points paraissent essentiels à la création d’une société plus juste:
En premier lieu, le peuple doit penser par lui-même la puissance dont il a besoin pour se défendre, par exemple avec le référendum d’initiative citoyenne, des élections sans candidats ou le tirage au sort des représentants.
Ensuite, l’institution de la puissance politique doit être accompagnée d’une reprise de la création monétaire et de la mise en place de garanties pour la liberté d’information et la création d’un espace de débat citoyen.
Enfin, le tirage au sort doit être utilisé comme l’outil de référence de la démocratie au lieu de l’élection. L’école doit changer ce qu’elle enseigne à ses enfants.
Elire n’est pas décider, c’est se déposséder de son pouvoir!
Sortir de la sidération
En tant qu’éditeur dans le domaine de la santé, Fabien Moine revient sur deux textes fondamentaux qu’il avait republiés lors de la prise de pouvoir sanitaire: la note sur la suppression des partis politiques de la philosophe Simone Weil – avec une préface d’Etienne Chouard – et le discours de la servitude volontaire d’Étienne de la Boétie.
Comment expliquer que les citoyens du monde se soient laissés enfermer et maltraiter? Face à la sidération causée par une expérience traumatique, Fabien Moine rappelle qu’il est aussi impératif de développer une autonomie de santé pour retrouver sa vitalité et agir dans le monde pour faire naître une véritable démocratie.
Bien entendu, cette autonomie passe aussi par une redéfinition de la santé collective et du rôle de la santé publique.
Remplacer les partis par les groupements d’intérêts
Valérie Bugault a pour sa part abordé la structuration de l’État, au sens de l’État nation. Elle estime, tout comme Etienne Chouard, que dès ses origines, le parlementarisme représentatif est un système qui a été instauré par le pouvoir financier et qu’il s’appuie sur 2 autres impostures: le principe de l’élection et une fausse séparation des pouvoirs. Dans nos institutions, tous les pouvoirs sont concentrés dans les partis élus et sont influencés par la suprématie de la haute finance.
Le modèle qu’elle présente dans son projet Révoludroit supprime les partis politiques pour les remplacer par les groupements d’intérêts.
Chaque intérêt, secteur d’activité, est alors politiquement représenté et agit comme un contre-pouvoir face aux intérêts concurrents. À côté de ces groupes d’intérêt à vocation nationale, elle voit la nécessité de revivifier la vie locale par des collectifs citoyens, dont les représentants seront désignés par leurs membres pour exercer des mandats impératifs et révocatoires.
Ce système repose sur le principe de la subsidiarité, tel que conçu à son origine, à savoir que les décisions sont prises au niveau où les choix se posent. Ceci évite un contrôle et une surcharge administrative excessifs.
Imaginer une société sans argent?
Pour Jean-Philippe Huber, le fondateur du MOCICA, le Mouvement pour une civilisation non marchande et autonome, il s’agit de mettre en place un système d’organisation et de gestion des ressources et de l’activité humaine, en accord avec notre environnement. L’on n’y ferait plus appel à des monnaies mais aux unités de mesures (tonnes, hectares, kilowatts, heures) pour lesquels on organise une équivalence équitable.
Le problème de l’argent tient en grande partie dans les contraintes mécaniques liées à son usage (frais bancaires, système d’intérêts, nécessité de générer des bénéfices), qui engendrent les défauts de la société marchande.
Si l’on pense par exemple à l’obsolescence programmée des machines pour pousser à la consommation – un appareil réellement écoresponsable tel qu’une machine à laver “increvable” et évolutive ne voit jamais le jour.
Et surtout, les lois de la concurrence poussent à licencier, diminuer la qualité, créer de fausses innovations, délocaliser ou limiter le partage des connaissances par le système de brevets. Pour Jean-Philippe Huber, l’argent crée en lui-même de la division. Son absence permettrait de mieux rassembler les gens dans un projet commun qui peut alors se fonder sur l’empathie, la solidarité et les valeurs morales.
Pour évoluer vers une société non marchande, il distingue 4 principes essentiels: tout d’abord, chacun doit être libre de se former et d’exercer dans le secteur de son choix.
Ensuite, le travail est réparti de manière égale pour les tâches difficiles (par exemple chacun effectue le même nombre d’heures de nettoyage de l’espace commun).
Au niveau de la gestion commune, il faut une “géolocalisation démocratique globale” qui permet de prendre des décisions locales selon des processus tels que décrits par la démocratie citoyenne d’Etienne Chouard ou de Valérie Bugault.
Et pour finir, la société non marchande implique nécessairement un partage équitable des ressources sur la base de ce qui est disponible.
La monnaie au coeur du débat
Pour Valérie Bugault
la monnaie ne pose pas de problème lorsqu’elle est un instrument d’échange, seulement lorsqu’elle devient un instrument de pouvoir et de domination.
Elle estime d’ailleurs qu’une certaine concurrence au sein d’un secteur peut être stimulante et bénéfique.
La fiscaliste ajoute qu’un autre moyen de limiter les abus du système monétaire actuel serait par exemple de mettre fin à l’anonymat des capitaux et aux paradis fiscaux. Pour l’instant, l’on se trouve face à des forces anonymes qui écrivent leurs propres règles et se placent ainsi hors la loi. Elles opèrent à travers les partis politiques, sans se trouver au devant de la scène.
Il devrait être possible de travailler avec la monnaie de façon très différente, dans la mesure où chacun reprend la responsabilité de ses actes. Un tel changement de paradigme économique devrait naturellement figurer dans la constitution.
Quant à Etienne Chouard, il affirme s’être souvent penché sur la question d’une société sans monnaie, mais ce projet lui semble difficile à concevoir lorsqu’il s’agit d’opérer à grande échelle, en présence de biens complexes et de compétences spécialisées.
Mais, si une société fondée sur l’échange ne lui semble pas possible, il faut en revanche revoir les lois économiques qui créent la dette, l’économie de marché, les mécanismes du chômage et de l’inflation. Dans un nouveau système, la création de la monnaie doit nécessairement être proportionnelle à la création de richesse, pour éviter des mécanismes inflationnistes.
Jean-Philippe Huber rétorque que:
l’idée maîtresse du MOCICA n’est pas tant la suppression de la monnaie pour revenir au troc, que le fait d’engager l’ensemble d’un secteur d’activités à servir tous les autres. C’est donc la notion de solidarité qui prédomine à ses yeux.
Du côté du public, la discussion s’engage sur l’utilisation de la June, une monnaie numérique libre non spéculative et cocréée à parts égales. Il s’agit d’un système qui repose sur la notion de communauté des utilisateurs et où chaque personne qui le rejoint reçoit automatiquement un certain montant par jour. La June est appréciée en tant qu’alternative plus humaine qui permet déjà de développer une économie parallèle.
Différents orateurs réagissent en reconnaissant ses nombreuses qualités, mais aussi certains défauts. Philippe Guillemant trouve que son processus de création est trop lent. Et Etienne Chouard regrette que cette monnaie ne puisse pas être utilisée comme instrument politique, par exemple pour la création d’emplois ou les investissements.
De son côté, Valérie Bugault ajoute qu’il est important de garder des monnaies physiques à côté des monnaies numériques.
Créer avec l’énergie vitale de la conscience
Mais créer le futur implique bien plus que la seule organisation tangible du monde. Faisant appel aux concepts qu’il a développés dans ses ouvrages consacrés à la physique du temps et à la rétrocausalité, le physicien du CNRS Philippe Guillemant rappelle que l’argent ne correspond qu’à une énergie physique et que nous avons aussi une énergie vitale qui provient de la conscience. C’est elle qui nous permet d’agir et de prendre des décisions.
Il faut donc veiller à ce que cette énergie de la conscience ne soit pas conditionnée, utilisée par des tiers, mais à ce qu’elle soit au service de l’autonomie de l’individu et de son libre arbitre.
Issue de l’énergie du vide, cette conscience libre se traduit alors principalement sous trois formes: la foi, la joie et l’intuition, qui sont les énergies créatrices du futur.
Guillemant fait remarquer qu’un outil comme le tirage au sort trouve sa juste place dans ce processus de création du futur. Il empêche en quelque sorte le passé de déterminer le résultat du tirage et laisse au futur dessiné le soin de venir influencer le présent. Ainsi, le tirage au sort permettra fort probablement de désigner la personne qui conviendra le mieux à la réalisation de cet objectif.
Notre futur collectif, insiste-t-il, sera créé par les personnes qui exploitent leur énergie vitale authentique, celle qui leur fait imaginer et réaliser leurs rêves. La tâche essentielle consiste alors avant tout à imaginer le futur que nous désirons, afin de cocréer une nouvelle vision commune.
Voilà donc une réflexion qui ravive l’enthousiasme des porteurs de changement pour conclure une table ronde qui était déjà un bel exercice de création commune.
À écouter aussi:
Révoludroit : un projet collectif pour une société alternative