Article par Icaros d’Essentiel News.
En avril de cette année, une initiative citoyenne munie de 700’000 signatures et du soutien de 900 associations et ONG était déposée devant le parlement espagnol.
Son objectif: régulariser un demi-million de sans-papiers. Désormais, le texte de loi est prêt, et le parlement s’apprête à voter dessus.
La ministre du travail Yolanda Diaz s’est félicitée de ce travail. Elle a affirmé que la meilleure parade au «racisme» dont les sans-papiers sont victimes est «de leur donner plus de droits.»
Pour le mouvement Regularización.Ya (régularisation maintenant) qui est à l’origine de l’initiative, c’est une grande victoire. Il décrit le projet en ces termes:
Cette proposition [de loi] vise à modifier, en un seul article, la loi organique 4/2000 sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale, en indiquant que «le Gouvernement, par arrêté royal, établira, dans un délai de 6 mois, une procédure de régularisation des étrangers qui se trouvent sur le territoire espagnol avant le 1er novembre 2021.
Cette régularisation de masse ne serait pas la première en Espagne. Plus d’un million de personnes ont profité de telles initiatives par le passé, dont 576’000 lors de la précédente vague en 2005. Les immigrés représentent en Espagne un peu plus de six millions de personnes, soit 13,5% de la population totale du pays.
Opposition et critiques
L’immigration est devenue une préoccupation majeure pour les Espagnols après l’arrivée de 40’000 migrants sans-papiers par voie maritime ou terrestre au cours de ces douze derniers mois, soit une augmentation de 49% par rapport à 2023 selon le ministère espagnol de l’intérieur.
Selon un sondage cité par le journal britannique Daily Telegraph, 30% des Espagnols placeraient cette question en tête des problèmes auxquels est confrontée l’Espagne; un chiffre qui a doublé depuis le mois de juillet.
Les partis d’opposition Partido Popular et Vox ont critiqué le gouvernement de Pedro Sanchez sur cette question, l’accusant d’appliquer une politique de «portes ouvertes». Santiago Abascal, le dirigeant de Vox, a déclaré cette semaine que l’Espagne souffrait d’une «invasion», et qu’il expulserait tous les sans-papiers si son parti accédait au pouvoir.
A l’échelle de l’Europe, près de 3,5 millions de personnes ont immigré vers l’UE en 2022 en tant que réfugiés bénéficiant du statut de demandeur d’asile, sans compter les 4,2 millions d’Ukrainiens qui ont été accueillis depuis l’opération militaire russe en Ukraine. Les Syriens et les Afghans restent les plus grands groupes de demandeurs d’asile dans l’Union, avec environ 100’000 demandes soumises en 2023 selon l’Agence de l’Union européenne pour l’asile.
Quant à l’immigration illégale, selon Frontex le chiffe s’établit à 380’000 entrées en Europe en 2023.
A l’image de ce qui se passe en Espagne, l’opinion publique européenne est de plus en plus opposée à l’immigration, surtout les jeunes. La proportion des 15-24 ans qui se déclarent opposés à l’immigration en provenance de pays extra-européens s’est établie à 35% en 2023; chez les 25-34 ans, ce chiffre est de 42%.
Cette tendance a déjà des effets politiques. A l’image de Giorgia Meloni, élue en Italie sur fond de promesse d’imposer un «embargo maritime», les partis anti-immigration progressent. L’AfD en Allemagne par exemple, a emporté un résultat historique dans deux régions d’Allemagne cet été, et ce malgré les qualificatifs dissuasifs dont la presse l’affuble comme «parti d’extrême droite» et «parti pro-Russe.»
Le score historique du «Rassemblement National» au premier tour des dernières élections législatives françaises est une autre illustration de la même tendance, tout comme le résultat des dernières élections européennes.
Un «nouveau pacte» pour l’Europe
L’Union européenne vient d’adopter son «Pacte sur la migration et l’asile» visant à centraliser et harmoniser ses dispositions régissant l’immigration en provenance de pays extra-européens.
La Commission européenne explique sur son site Internet:
Le pacte sur la migration et l’asile est un ensemble de nouvelles règles régissant la gestion des migrations et établissant un régime d’asile commun à l’échelle de l’UE, qui produit des résultats tout en restant fondé sur nos valeurs européennes.
Le pacte s’appuie sur les propositions de réforme antérieures dans le domaine de la migration et les modifie, en proposant une approche globale visant à renforcer et intégrer les principales politiques de l’UE en matière de migration, d’asile, de gestion des frontières et d’intégration. Doté de règles fermes mais justes, il est conçu pour gérer et normaliser la migration à long terme, en offrant aux pays de l’UE la souplesse requise pour relever les défis spécifiques auxquels ils sont confrontés, ainsi que les garanties nécessaires pour assurer la protection des personnes qui en ont besoin.
Le 10 avril 2024, le Parlement européen a voté en faveur des nouvelles règles en matière de migration, que le Conseil de l’UE a ensuite adoptées formellement le 14 mai 2024, permettant ainsi à l’Union de s’attaquer à des questions complexes avec détermination et ingéniosité. Ce pacte fera en sorte que l’Union dispose de frontières extérieures solides et sûres, que les droits des citoyens soient garantis et qu’aucun pays de l’UE ne soit laissé à son sort s’il est soumis à des pressions.
Plutôt que de chercher à endiguer l’immigration de masse, ce nouveau pacte a pour ambition d’encadrer le phénomène, tout en introduisant des mesures de surveillance numériques et biométriques.
Selon l’European Policy Centre (EPC), un des avantages majeurs du nouveau pacte est le mécanisme de «solidarité obligatoire» qui contraint les États membres à se répartir la charge et les coûts migratoires.
La mise en place d’un système de solidarité est la pierre angulaire d’un deuxième dossier crucial du nouveau pacte, à savoir le règlement relatif à la gestion de l’asile et des migrations (RAMM). Cette réforme est une étape essentielle pour améliorer la répartition des charges entre les États membres de l’UE, qui est l’une des principales lacunes du système actuel. Si la réforme maintient le principe du premier pays d’entrée pour déterminer la responsabilité des demandes d’asile, les nouvelles règles introduisent également un mécanisme de solidarité obligatoire [entre les États membres].
Quoi qu’il en soit, la politique européenne en matière d’immigration ne remporte pas l’unanimité. Rien que ce mois-ci, la Hongrie a annoncé refuser de payer une amende de 200 millions d’euros pour non-respect du droit d’asile, et les Pays-Bas ont essuyé un refus de la Commission européenne après avoir demandé une clause de non-participation à la politique européenne sur l’immigration.
Stratégie Cloward-Piven
Certains observateurs soulignent que l’immigration de masse a pour toile de fond une intention accélérationniste visant à imposer des changements politiques substantiels, notamment en terme de politique d’aide sociale. Il s’agirait de surcharger le système de protection sociale de façon à provoquer une crise qui faciliterait par suite l’adoption d’un revenu minimum de base.
L’hypothèse n’est pas nécessairement saugrenue, dans la mesure où la stratégie a été explicitement décrite et vantée dans les années soixante par les professeurs américains Richard Cloward et Frances Piven, qui bénéficient encore aujourd’hui d’un immense crédit.
Dans leur thèse baptisée “la stratégie Cloward–Piven”, ils décrivent l’idée en ces termes:
Des campagnes de grande envergure visant à inscrire les pauvres éligibles à l’aide sociale et à aider les bénéficiaires actuels à obtenir l’intégralité de leurs prestations entraîneraient des perturbations bureaucratiques dans les organismes d’aide sociale et des perturbations fiscales dans les collectivités locales et les États.
Ces perturbations engendreraient de graves tensions politiques et aggraveraient les divisions existantes entre les éléments de la coalition démocrate des grandes villes: la classe moyenne blanche restante, les groupes ethniques de la classe ouvrière blanche et les minorités pauvres de plus en plus nombreuses. Pour éviter un nouvel affaiblissement de cette coalition historique, une administration nationale démocrate serait contrainte de proposer une solution fédérale à la pauvreté qui passerait outre les échecs locaux de l’aide sociale, les conflits locaux de classe et de race et les dilemmes locaux en matière de recettes.
La perturbation interne des pratiques bureaucratiques locales, le tollé suscité par la pauvreté dans les services publics et l’effondrement des mécanismes de financement actuels peuvent générer des forces puissantes en faveur de réformes économiques majeures à l’échelon national.
Le journaliste américain Frank Miele explique dans un article pour RealClearPolitics que la promotion de l’immigration de masse aux États-Unis, et donc par extension dans tous les pays développés, doit être comprise dans ce contexte:
Presque toutes les innovations en matière de politique sociale depuis les années 1960 ont été des étapes progressives dans le plan Cloward-Piven visant à mettre l’Amérique en faillite en créant des «droits» qu’un système fiscal juste et équitable ne pourrait jamais soutenir. Finalement, lorsque le gouvernement ne pourrait plus faire face à ses paiements, les pauvres se soulèveraient et exigeraient un changement, que ce soit par la violence ou par le vote, dans ce que Cloward et Piven décrivent comme “une profonde crise financière et politique”.
Il est facile de voir comment l’afflux organisé d’immigrants illégaux par le biais de caravanes est une tentative manifeste de submerger le filet de sécurité américain et d’imposer des changements massifs dans la politique sociale, y compris le «revenu de base universel» tant désiré.
La régularisation en Espagne de 500’000 sans-papiers supplémentaires sera-t-elle donc la goutte d’eau qui provoquera une crise budgétaire, et donc une réforme totale du système d’aide sociale?
C’est peu probable, dans la mesure où l’Espagne, comme de nombreux autres pays européens, a déjà largement dépassé le point de non-retour en matière de surendettement. La crise sera donc précipitée par les marchés obligataires, et donc en fin de compte par la Banque centrale européenne qui a été jusqu’à récemment le premier acquéreur de dette européenne.
Conclusion
Nous n’avons fait avec cet article qu’effleurer une question complexe qui présente de nombreuses facettes, et qu’il est difficile de traiter de façon rigoureuse sans tomber dans la caricature de part ou d’autre, et sans alimenter la haine ou le réflexe collectiviste. D’autres articles suivront qui examineront la même question sous d’autres angles.
Enfin quelqu’un qui aborde ce sujet et ses problèmes de manière neutre. Sans s’engager dans aucune de ces identités politiques gauche-droite fabriquées. Merci!
Oui, bon article qui ne cède pas à un traitement passionnel du problème. Mais il est évident que les passions se réveillent en Occident en ce moment autour du problème du statut de l’étranger, et l’hospitalité qu’on lui doit, ou pas, surtout quand cette hospitalité est surtout envisagée sous l’angle collectif et politique, et que sous cet angle.
La détérioration du niveau de vie des personnes déjà citoyennes, la disparition de la classe moyenne grâce aux bons sentiments ?, tout cela nourrit beaucoup de ressentiment.