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Méga-projet du CERN: levée de boucliers à Genève et ses environs

Le projet de Futur Collisionneur Circulaire du CERN avance. Mais dans la population, l'opposition est croissante.

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Le CERN (Centre européen de recherche nucléaire) progresse à grand pas dans son projet de construction du Futur Collisionneur Circulaire (FCC) : un accélérateur de particules de 91 kms creusé à 240 mètres de profondeur sous Genève et les départements de Haute-Savoie et de l’Ain. S’il est confirmé, ce projet deviendrait le plus grand chantier d’Europe pour ces prochaines années et aurait un impact négatif immense sur l’environnement, soutiennent des politiciens et des ONG. Le CERN présentera l’étude de faisabilité du FCC arrivée à mi-parcours le 24 avril prochain lors de la seule grande réunion publique prévue par l’organisation.

Crédits – CERN

Une science qui détruit la nature?

Créé en 1954 à la frontière franco-suisse, le CERN a pour ambition de “comprendre les mystères de l’Univers”, en abordant les questions que soulève la matière noire et l’infiniment petit. Pour cela, l’organisation poursuit sa recherche fondamentale en créant des collisions de particules chargées à grande vitesse.

Trois fois plus grand que le Large Hadron Collider (LHC ou en français le Grand collisionneur de hadrons), l’actuel plus grand accélérateur de particules au monde de 27 kms de circonférence, le Futur Collisionneur Circulaire fournirait au CERN une énergie près de dix fois plus importante que celle du LHC pour percer “les secrets de la matière”. Cependant les opposants posent une autre question fondamentale: quelle intelligence ou sagesse existe réellement dans une science qui détruit la nature ?

Pour ces mêmes milieux, en effet, les travaux du FCC, estimés à près de 60 milliards d’euros au total, réduiraient à néant tous les efforts fournis par la population pour protéger l’environnement. Le chantier du Futur Collisionneur aurait lieu en deux temps : il commencerait en 2030 pour s’étendre sur une dizaine d’années et aboutir à une première version du FCC en 2045. La construction de la version complète du projet se poursuivrait ensuite pour se terminer vers 2070.

Crédits – CERN. Ci-dessus, une photo du Large Hadron Collider (LHC) – Le FCC quant à lui serait enfoui à 240 mètres sous terre et atteindrait 6,5 m de diamètre de forage.

Trois fois la consommation actuelle!

Disparition de terres agricoles, diminution de la biodiversité, pollution de l’air, des déplacements quotidiens de centaines de poids lourds et de milliers d’ouvriers et surtout des montagnes de matériaux d’extraction: les déblais issus du chantier représenteraient deux fois le volume des grandes pyramides de Gyzeh, ce qui correspond également à « l’équivalent de deux années de déchets de BTP de la Haute-Savoie, qui accueille déjà les déchets de la Suisse », comme le rappelle la conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes Fabienne Grébert.

L’ONG genevoise Noé 21, fondée en 2003 et spécialisée dans la transition énergétique, s’implique dans le débat autour de la création du FCC à partir de fin 2022. Selon l’évaluation réalisée par l’ONG, la consommation électrique et l’ensemble des gaz à effet de serre qu’entraîneront ce projet sont énormes : alors que l’actuel grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN consomme déjà en électricité l’équivalent de presque la moitié du canton de Genève, avec 400 TWh envisagés à l’horizon 2050, le FCC viendrait tripler cette consommation, pour une empreinte globale estimée à 90 millions de tonnes de CO2.

Ainsi, ce qui poserait le plus gros problème, c’est l’énergie requise par ce collisionneur : 1,8 Térawattheure/an, pour la première version du futur FCC, et jusqu’à 4 TWh/an à terme. Cette consommation est aussi bien supérieure à celle du canton de Genève (2,7 TWh par an). Selon la directrice du CERN, Fabiola Gianotti:

La consommation d’électricité est estimée à 4 TWh! Soit trois fois notre consommation actuelle.

Le projet du FCC est-il donc en totale incohérence avec la volonté affichée de la Suisse et de la France de réduire les émissions de CO2, annihilant tous les efforts faits par la population? Philippe de Rougemont, coordinateur de Noé 21:

Si ce projet se fait, l’impact sera majeur sur la transition énergétique, car cela va accaparer l’équivalent de l’énergie produite par une centrale nucléaire pour tourner alors que nous avons besoin de cette énergie pour décarboner. Ce projet FCC va nous coûter la transition énergétique. C’est l’un ou l’autre, nous ne pouvons pas faire les deux à la fois.

Des scientifiques critiques

Lorsqu’on aborde des sujets comme la physique des particules ou la recherche fondamentale, peu de gens, qu’ils soient scientifiques ou non, osent remettre en question la direction prise par la science comme s’il était tabou ou sacrilège d’émettre la moindre critique… Dans ses recherches concernant le FCC, une journaliste de notre rédaction d’essentiel.news a relevé les propos de deux scientifiques qui se sont exprimés de façon critique vis-à-vis de ce projet.

Dans une interview, la physicienne allemande Sabine Hossenfelder détaille la prise de position contre les pratiques du CERN dans son livre “Das hässliche Universum”:

Depuis les années 1980, la désintégration des protons, les particules supersymétriques, les dimensions supplémentaires, les particules de matière noire, tout cela n’a jamais pu être confirmé. Des dizaines de milliers de documents scientifiques ont été rédigés à ce sujet, alors que ces idées n’étaient rien d’autre que des fantaisies mathématiques que les gens bricolent parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Une énorme perte de temps et d’argent. Ce problème est extrême en physique des particules, car il n’y a plus rien eu de grand depuis longtemps.

Pour Aurélien Barrau, astrophysicien et écologiste grenoblois:

Ce que révèle le FCC, c’est notre incapacité à changer de modèle.

Un projet anti-démocratique?

Huit sites de surface (un en Suisse et 7 en France) sont prévus pour accéder au FCC depuis l’extérieur. Ils s’étendraient chacun en moyenne sur cinq hectares de terres encore préservées des communes Ferney-Voltaire, Choulex (Suisse), Nangy, Eteaux, Charvonnex, Cercier/Marlioz, Vulbens et Challex.

Selon Jean-Pierre BURNET, membre de l’association environnementale ACASS:

Toute la région Rhônes-Alpes et la Suisse jusqu’au canton de Fribourg seraient touchés par le projet du FCC, car les gravats des travaux seraient déposés dans toute cette zone sur des centaines d’espaces déjà identifiés. Mais la région la plus impactée par ce chantier serait la zone entre Genève et Annecy, puisque l’immense majorité de ce collisionneur sera construit côté français. Le plus surprenant, c’est que personne dans la population ne semble au courant.

Préparé discrètement, presque silencieusement, le projet du FCC avance en s’imposant à la population, sans réel débat démocratique. En Haute-Savoie, un arrêté préfectoral daté du 24 janvier 2023 donne l’autorisation aux agents du CERN et mandataires de pénétrer dans les propriétés privées pour des études de sol sans besoin d’informer les propriétaires au préalable ou d’obtenir leur consentement pour intervenir sur leur terrain. Des expropriations pourraient aussi avoir lieu à l’avenir.

Douze associations françaises et suisses et onze propriétaires de terrains situés en Haute-Savoie se sont fédérées au sein du collectif Co-CERNés. Ils ont déposé un recours contre l’arrêté préfectoral le 12 février dernier.

“Si l’on veut agir, c’est maintenant”

Philippe de Rougemont, coordinateur de Noé 21, l’une des associations à l’origine du collectif « Co-CERNés », estime qu’il reste quelques mois pour s’opposer au projet du FCC:

Il existe une fenêtre d’opportunité durant laquelle nous avons encore une voix jusqu’au moment où Berne prendra la main politiquement sur le sujet. Actuellement, les autorités cantonales de Genève peuvent bloquer la participation du territoire genevois. Mais demain, ce sera comme pour d’autres structures d’importance fédérales tels que les aéroports: les cantons peuvent s’exprimer mais c’est Berne qui décide. Les autorités fédérales entendent donner le même statut au CERN. Cela signifie que ce serait un statut de décision fédérale et non plus cantonale. Nous avançons peu à peu vers une situation selon l’expression anglaise “too big to fail”, c’est à dire “trop grand pour échouer” et trop tard pour revenir en arrière. C’est justement ce qu’on veut prévenir.

Difficile d’estimer la durée de cette fenêtre d’opportunité : 3, 4 ou 6 mois ? Certainement pas plus d’un an pour agir côté suisse. Cependant le CERN devra encore obtenir un financement de la part du Conseil du CERN s’il veut poursuivre son projet de FCC. Le Conseil du CERN est constitué d’un représentant scientifique et d’un représentant politique de chacun des 26 pays membres. Philippe de Rougemont:

La plus grande chance qu’on aurait serait un abandon de ce projet ou un gel dû à la somme nécessaire ou à des choix géostratégiques de la part des États.

L’opposition de la population contre ce projet devrait prendre de l’ampleur si elle veut l’arrêter. Une ampleur peut-être comparable à celle de la mobilisation massive visant à empêcher le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes.

L’étude de faisabilité du Futur collisionneur circulaire FCC, lancée par le CERN en 2013, arrive donc à mi-parcours. Comme nous l’avons dit, les résultats provisoires seront présentés lors de la seule grande réunion publique prévue par le CERN le 24 avril 2024 à son siège situé à Meyrin, en périphérie de Genève.

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