En septembre 2024, Essentiel News informait ses lecteurs que le Parlement suisse avait adopté l’e-ID (identité numérique) malgré l’opposition populaire; en effet, par 64,36% des voix, un tel projet avait été balayé par le peuple lors d’une votation le 7 mars 2021.
Le 31 janvier 2025, nous interviewions Michelle Cailler en direct à ce sujet. Présidente du Mouvement Fédératif Romand et membre du comité référendaire contre le nouveau projet e-ID de la Confédération, Mme Cailler nous expliquait alors les tenants et aboutissants – et les risques – d’une telle identité numérique.
En particulier, nous explicitions à ces deux occasions le lien fondamental entre identité numérique, passeport biométrique et CBDC (monnaie numérique de banque centrale), et le danger que cela faisait peser sur les libertés individuelles et la sphère privée.
Or deux autres référendums ont été lancés contre l’e-ID en Suisse, soutenus respectivement par les Amis de la Constitution et le Parti Pirate. Comme expliqué par Mme Cailler, leurs textes ne sont pas mutuellement exclusifs du premier; au contraire, ils vont dans le même sens, et leur existence multiplie les chances qu’un tel projet d’identité numérique finisse par devoir être refusé par le peuple.
Nous reproduisons ci-dessous les arguments principaux de ce deuxième comité référendaire.
- Perte de la vie privée et de la confiance: la centralisation et la gestion des données personnelles par le biais de l’e-ID présentent d’énormes risques pour la protection des données. La numérisation complète des droits populaires ne permet plus une participation politique anonyme et non perturbée. De plus, l’introduction de l’e-ID menace la confiance des citoyens dans les processus démocratiques, car la collecte numérique de signatures comporte des risques de sécurité importants ainsi que des dangers d’abus et de manipulation. Ces évolutions pourraient gravement compromettre l’intégrité de la démocratie et le droit fondamental à la vie privée.
- Surveillance numérique: l’introduction progressive de l’e-ID pourrait permettre à l’État de surveiller à tout moment comment et quand les citoyens exercent leurs droits politiques. Cette infrastructure centrale présente le risque d’une surveillance étatique totale, rendant traçables nos mouvements et interactions. Cela ouvre la voie à un contrôle total de la population, mettant gravement en danger les libertés individuelles et le droit à la vie privée.
- Base pour des systèmes de surveillance mondiaux: l’e-ID pourrait constituer un élément clé d’une infrastructure reliant les informations personnelles au niveau international. Ce réseau permettrait la création d’un système potentiel de crédit social à la chinoise, capable de surveiller et de réguler les comportements individuels. Cela présente un risque d’accès restreint aux services et d’exploitation des données personnelles par des organisations et entreprises internationales. L’e-ID pourrait ainsi permettre un contrôle et une surveillance totale de la vie de chaque individu, menaçant gravement la liberté personnelle et les droits fondamentaux.
- Danger des cyberattaques et des abus: l’e-ID est vulnérable aux cyberattaques, ce qui met en danger la sécurité des données personnelles. Sans un contrôle total des citoyens sur leurs informations et avec des mesures de sécurité insuffisantes, le risque de vol d’identité, d’accès non autorisé aux services et d’abus de données augmente. De plus, il existe des risques élevés liés au stockage et à l’utilisation des données personnelles et biométriques, soulevant des préoccupations en matière de protection des données et pouvant entraîner des conséquences graves.
- La démocratie doit rester analogique: la démocratie directe repose sur la participation personnelle et transparente des citoyens. Les systèmes numériques tels que l’E-Collecting et l’e-ID menacent ce modèle éprouvé et permettent l’analyse et la manipulation des initiatives populaires. La démocratie directe doit rester transparente et sécurisée, sans que des données personnelles soient collectées en masse et consultées par des tiers.
- Inégalité d’accès: risque d’exclusion numérique pour les personnes moins technophiles, en particulier les personnes âgées, qui pourraient être exclues de l’accès aux services.
L’Europe accélère son projet de CBDC
Même s’il n’est pas explicité par le comité référendaire, le lien entre identité numérique et CBDC (monnaie numérique de banque centrale) est tout à fait fondamental, dans la mesure où le second ne peut exister sans le premier; c’est même sans doute la volonté d’imposer les CBDC aux populations qui explique l’accélération des projets d’identité numérique dans le monde.
Le WEF l’admet explicitement dans un rapport de juin 2023, en ces termes:
Certains pays commencent à comprendre que l’identification numérique est une condition préalable au développement d’une monnaie numérique de banque centrale (CBDC) et d’autres innovations en matière de paiement.
Grâce à cette clé de lecture, et maintenant que l’identité numérique européenne dispose d’un cadre juridique complet, l’accélération récente du projet européen de CBDC, annoncée récemment par la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde, prend une nouvelle teneur.
Cette dernière a en effet proclamé le lancement de cette nouvelle monnaie pour octobre 2025. Ci-dessous figure un extrait sous-titré en français de sa conférence de presse du 6 mars 2025.
Or certains observateurs ont fait remarquer que cette accélération subite coïncide également avec le nouveau projet européen baptisé «Savings and Investments Union» (union de l’épagne et de l’investissement) qui entend «transformer l’épargne privée en investissements indispensables».
If most of your money is still in fiat the bank / stocks / mortgaged real estate etc. – they don’t need your permission. They want you owning nothing, despaired & numb.
You may want to consider a permissionless, unconfiscatable, easily mobile & liquid digital asset such as… pic.twitter.com/K2xjTpcyS7
— Efrat Fenigson (@efenigson) March 12, 2025
Voici comment Efrat Fenigson, analyste spécialiste des cryptomonnaies, décrit ce projet:
L’UE a mis en place l’«Union de l’épargne et de l’investissement», qui vise à réorienter 10 000 milliards d’euros d’«épargne inutilisée» des citoyens afin de financer la croissance militaire et de soutenir l’industrie de la défense européenne.
«Nous transformerons l’épargne privée en investissements indispensables», a tweeté Mme von der Leyen. Si cela ne vous a pas déjà choqué, je vais essayer de clarifier les choses: il s’agit d’une violation manifeste des droits de propriété privée et d’une confiscation implicite de la richesse des Européens, l’UE utilisant leurs fonds comme bon lui semble, y compris pour financer un complexe militaro-industriel, sans même leur demander leur avis.
Si l’UE s’achemine vers un collectivisme totalitaire, comme le suggère cette déclaration, alors une CBDC serait un outil puissant, permettant un contrôle plus étroit de l’argent des Européens, avec des caractéristiques telles qu’un interrupteur «on/off» et des capacités de programmation. […]
En définitive, les récents projets de Lagarde et de Von der Leyen visent à centraliser davantage le contrôle tout en renforçant la hiérarchie, la gouvernance et la structure d’incitation de l’UE – ce qui a toujours été leur rôle.
Effort de persuasion en cours
En Europe, la campagne de «communication» visant à convaincre les citoyens européens de l’utilité d’une telle monnaie numérique de banque centrale vient de commencer.
Ci-dessous figure un exemple de vidéo que les autorités font circuler en ligne en ce moment.
Propaganda for European CBDC, the digital euro, has began. Be aware. pic.twitter.com/wStnfrZROZ
— Efrat Fenigson (@efenigson) November 14, 2024
Selon la recherche et les sondages de la Banque centrale européenne, ce qui est toutefois susceptible de convaincre les consommateurs le plus, c’est surtout l’intégration de l’euro numérique avec des applications populaires. La publication Euromoney explique que c’est ce qui a fait la différence en Chine.
En effet, selon le magasine spécialisé, le succès du «Yuan numérique» (e-CNY) s’explique en grande partie par son intégration avec les plateformes en ligne les plus plébiscitées par les chinois (DiDi, Meituan, Ctrip, WeChat Pay, et Alipay). Grâce à cela, son succès est retentissant: la monnaie numérique chinoise compte déjà 180 millions d’utilisateurs de portefeuilles personnels et une valeur de transaction cumulée de 1’000 milliards de dollars.
Les dés ne sont pas encore jetés en Suisse
Là où les citoyens européens n’auront probablement comme seuls recours que la sécession morale et physique, et la désobéissance civile, pour ce qui concerne les Suisses, une petite fenêtre d’opportunité institutionnelle existe encore.
Cela semble d’autant plus urgent que la banque nationale suisse est partie prenante de l’agenda mondial visant à imposer une monnaie numérique aux populations; un tel projet ne pourrait toutefois jamais aboutir si l’identité numérique n’était pas imposée d’abord, ce que plusieurs référendums tentent désormais d’empêcher.
Tous ont jusqu’au 19 avril pour réunir les 50’000 paraphes nécessaires.