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WEF post mortem: le déclin et la chute de «l’homme de Davos»

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Article d’Icaros d’Essentiel News

La réunion annuelle du World Economic Forum (WEF) à Davos (Suisse) vient de prendre fin, et déjà un consensus émerge: un retour de balancier est en cours dans le monde.

Pour rappel, le WEF est célèbre pour sa réunion annuelle en janvier à Davos, qui réunit des patrons de multinationales, des banquiers, milliardaires, et responsables politiques du monde entier. Leur objectif: décider, commenter et communiquer les grandes lignes de la «coopération multilatérale», c’est-à-dire de la gouvernance mondiale, de façon à «améliorer l’état du monde».

Or cette année, le déclin de «l’homme de Davos», selon la formule du politologue de Harvard Samuel Huntington, semble être apparu au grand jour.

Discours de Trump

On parle du déclin et de la chute de «l’homme de Davos» depuis quelques années déjà. Toutefois, un épisode récent a, en apparence au moins, ébranlé plus que tout autre l’orthodoxie politique mondiale: il s’agit bien sûr de l’accession de Donald Trump à la présidence américaine.

Le magnat de l’immobilier, star de télé-réalité et 47ème président des États-Unis est apparu par écran interposé à Davos trois jours après son investiture. Il y a tenu un discours dans le style qu’on lui connaît, ici traduit par la Maison-Blanche.

Les médias de masse ne mâchent pas leurs mots; le Wall Street Journal parle d’un «avertissement à l’élite mondiale»; Politico estime qu’il a «ridiculisé la lenteur de tortue» du système européen; CNN évoque un «ultimatum»; et la BBC indique que plusieurs délégués ont quitté la salle à la fin du discours de Trump avec un «visage de marbre».

En cause, les menaces protectionnistes du nouveau président américain, qui indique vouloir imposer des droits de douane aux produits fabriqués en-dehors des États-Unis.

Cette idée, antinomique des principes qui sous-tendent l’ordre international en vigueur, et formulée par le président du pays qui impose au monde son contraire depuis des décennies, a de quoi marquer les esprits; à d’autant plus forte raison que ce même président a déjà annoncé le retrait américain de l’OMS, le retrait de la conférence sur le climat, et la fin du «wokisme» et de l’idéologie «transgenre».

En d’autres termes: ce sont apparemment les préceptes mêmes du WEF dont Donald Trump est venu à Davos annoncer la fin. Implicitement, il indique ainsi que l’organisation est caduque, et que le balancier vient de se retourner.

Discours de Milei

L’Argentine n’a pas la force de frappe américaine, ni en termes économiques, ni en termes militaires. Et pourtant, son président a également ébranlé le public de Davos, en prononçant un discours beaucoup plus incisif, et à la teneur beaucoup plus philosophique.

Nous en citons ci-dessous quelques passages, d’après la traduction intégrale en français réalisée par la revue Le Grand Continent.

Combien de choses ont changé en si peu de temps. Il y a un an, je me tenais ici, devant vous, dans la solitude, et j’ai dit quelques vérités sur l’état du monde occidental qui ont été accueillies avec surprise et étonnement par une grande partie de l’establishment politique, économique et médiatique occidental. […]

Tout au long de cette année, j’ai pu trouver des camarades dans cette lutte pour les idées de la liberté aux quatre coins de la planète. Du merveilleux Elon Musk à la féroce dame italienne, ma chère amie, Giorgia Meloni; de Bukele au Salvador à Victor Orbán en Hongrie; de Benjamin Netanyahou en Israël à Donald Trump aux États-Unis. Lentement, une alliance internationale de toutes les nations qui veulent être libres et qui croient aux idées de liberté s’est formée. […]

Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que notre bataille n’est pas gagnée, que si l’espoir renaît, il est de notre devoir moral et de notre responsabilité historique de démanteler l’édifice idéologique du wokisme maladif. […]

Et la vérité, c’est qu’il y a quelque chose de profondément erroné dans les idées qui ont été promues dans des forums comme celui-ci. Je voudrais prendre quelques minutes, aujourd’hui, pour en discuter. Peu de gens aujourd’hui nient que le vent du changement souffle sur l’Occident. Il y a ceux qui résistent au changement, ceux qui l’acceptent à contrecœur mais qui finissent par l’accepter, les nouveaux convertis qui apparaissent lorsqu’ils le considèrent comme inévitable et, enfin, ceux d’entre nous qui se sont battus toute leur vie pour son avènement. […]

Vous avez vénéré pendant des décennies une idéologie sinistre et meurtrière comme s’il s’agissait d’un veau d’or et avez remué ciel et terre pour l’imposer à l’humanité. Cette même organisation, ainsi que les organismes supranationaux les plus influents, ont été les idéologues de cette barbarie. […]

Heureusement, dans le monde libre, une majorité silencieuse s’organise et, dans tous les coins de notre hémisphère, l’écho de ce cri pour la liberté résonne. Nous sommes confrontés à un changement d’époque, à un tournant copernicien, à la destruction d’un paradigme et à la construction d’un autre, et si les institutions d’influence mondiale, telles que cette assemblée, veulent tourner la page et participer de bonne foi à ce nouveau paradigme, elles devront assumer la responsabilité du rôle qu’elles ont joué au cours de ces dernières décennies et reconnaître devant la société le mea culpa qui est exigé d’elles. […]

Le discours intégral vaut la peine d’être lu. Il représente un étonnant réquisitoire contre le mondialisme, le collectivisme, l’étatisme, l’obscurantisme, et le WEF lui-même. Là encore, il s’agit d’une sérieuse remise en question du consensus, et un tournant apparent pour «l’homme de Davos».

Cofondateur du front Al-Nosra sur le podium

Cette année, Assaad Hassan el-Chibani, cofondateur du groupuscule djihadiste al-Nosra, cadre du mouvement salafiste Hayat Tahrir al-Cham, et «Ministre des Affaires étrangères» en Syrie depuis le renversement du gouvernement Assad en décembre 2024, était un invité d’honneur à Davos.

Partageant la scène avec Tony Blair, ancien premier ministre britannique et co-auteur avec Georges W. Bush de l’invasion de l’Irak en 2003, M. el-Chibani a expliqué sa vision des défis auxquels était confrontée la Syrie.

L’ironie de retrouver ces deux protagonistes bavarder poliment à Davos, alors que al-Nosra était longtemps affiliée à Al-Qaïda, et est toujours considérée comme une organisation terroriste par les Nations Unies, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et nombre d’autres pays, n’a pas échappé aux observateurs les plus sagaces.

En l’occurrence, ce n’est pas la préférence pour les islamistes en Syrie qui est surprenante, car elle est connue depuis longtemps, et a sous-tendu treize ans de guerre. Cette rencontre illustre plutôt les contradictions et le cafouillage apparents de la politique étrangère occidentale, et donc le déclin de l’ordre international et de la crédibilité de ses institutions.

Post mortem

En fin de compte, le thème central qui avait été annoncé à Davos cette année, celui de la «collaboration à l’ère de l’intelligence» (en référence à l’intelligence artificielle), a été totalement éclipsé.

Ce que l’histoire retiendra du WEF 2025, c’est le retour de balancier qui semble se produire contre l’ordre international, et dont le WEF a pendant longtemps été une figure de proue. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre les experts du WEF eux-mêmes; sur un panel à Davos, le professeur de Yale Walter Reed a déclaré:

Je pense que nous devons également prendre en compte non seulement qui a gagné (Trump) mais aussi qui a perdu, c’est-à-dire nous.

L’avenir dira certainement si les élites mondiales ont effectivement perdu suite à ce changement apparent dans le sens du vent, ou s’il s’agit d’une nouvelle mystification.