Vaccins contagieux (II): risques d’impacts irréversibles

Face aux chercheurs enthousiastes qui pensent pouvoir prévenir ainsi de nouvelles pandémies, d'autres scientifiques demandent des règles et un débat critique.

person holding orange and white toothbrush
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Dr Martina Frei, infosperber/ 8 novembre 2022

(Traduction Covidhub)

Les nouveaux vaccins contagieux pourront se propager tous seuls. Des chercheurs avertissent : cela pourrait avoir des conséquences irréversibles.

La première partie de cet article portait sur les vaccins qui sont «contagieux». Il suffira de les injecter à quelques individus. Les vaccinés transmettront le virus, et à la fin des populations entières seraient immunisées. Jusqu’à présent, il n’y a eu pratiquement aucune discussion sociale là-dessus – bien que ces recherches soient également financées par l’argent des contribuables.

Avec les vaccins transmissibles, les scientifiques veulent à la fois éliminer les fléaux et protéger les animaux sauvages difficiles à atteindre contre des infections. En 2016 encore, ils déclaraient qu’il était peu probable que des virus vaccinaux contagieux génétiquement modifiés soient utilisés chez l’être humain, sauf en cas de «circonstances extraordinaires» liées à des problèmes de sécurité et d’éthique.

«Vacciner une personne, en atteindre beaucoup». Cela ne servirait pas seulement à économiser de l’argent.

Exigences de sécurité plus faibles pour les vaccins animaux

Par exemple, un vaccin contagieux pourrait atteindre des animaux si timides ou intouchables qu’ils ne peuvent être vaccinés par des humains. Ou des animaux tellement nombreux, comme les souris, que la vaccination de masse est impossible. Pourquoi est-ce que les scientifiques se concentrent actuellement sur les vaccins pour animaux ? Une des raisons, «c’est qu’il faut généralement 15 à 20 ans pour développer un vaccin humain. Pour les animaux, c’est plutôt de 2 à 5 ans. Simplement parce que les animaux ne vivent pas aussi longtemps. Donc, entre autres, les exigences de sécurité pour les nouveaux vaccins sont beaucoup plus faibles», a expliqué l’émission de Deutschlandfunk.

Les scientifiques impliqués ne cessent de s’extasier sur cette possibilité de prévenir ainsi les agents pathogènes dangereux qui pourraient se propager des animaux aux humains et déclencher une pandémie : «Ces cinq prochaines années, nous pourrions être en mesure d’atteindre un taux de vaccination élevé contre l’émergence d’une zoonose, en atteignant les agents pathogènes», ont prédit en 2015 trois chercheurs (qui détiennent ou ont déposé des brevets).

Stopper les pandémies avant qu’elles ne commencent

En attendant, il ne s’agit plus seulement de lutter contre les maladies des lapins. Les chercheurs ciblent des agents pathogènes dangereux tels qu’Ebola, la rage, les hantavirus, le MERS, la fièvre de Lassa, la fièvre de Marburg ou la maladie du sommeil, ainsi que des parasites comme le ténia du renard et d’autres flagelles. De tels vaccins pourraient, entre autres, contribuer à la conservation des grands singes, espère-t-on : car Ebola, par exemple, est non seulement extrêmement dangereux pour les gens, mais aussi pour les chimpanzés et les gorilles.

Selon un modèle de calcul, on pourrait réduire de 95 % la transmission du virus africain Lassa en moins d’un an avec un vaccin contagieux pour les rongeurs. Ainsi, les pandémies seraient prévenues avant même qu’elles ne commencent – la science aurait une longueur d’avance sur le fléau.

Il n’y aurait également plus besoin d’équipes de vaccination qui pourraient être bloquées à cause de la guerre ou parce qu’elles sont attaquées par la population locale, comme cela s’est produit avec l’épidémie d’Ebola de 2018 en République démocratique du Congo.

Les chercheurs ne voient «aucune raison» de ne pas les utiliser

«La libération précoce et ciblée d’un vaccin à faible transmission et à auto-propagation pendant une épidémie pourrait créer une immunité collective locale et empêcher l’épidémie de devenir une pandémie», affirme The Telegraph citant un rapport du Johns Hopkins Center for Global Security. Dans les futures épidémies, il n’y a «aucune raison» de ne pas les utiliser, déclare un scientifique de Johns Hopkins au journal en janvier 2022.

Les vaccins transférables développés pour les animaux bénéficiereraient donc aussi aux humains – un argument que les scientifiques impliqués n’ont cessé de mettre en avant. De même, ils soulignent toujours les menaces créées par les virus. L’Agence américaine pour le développement international (USAID) a déjà trouvé plus de 900 virus qui ont le potentiel de se propager des animaux sauvages à l’homme, ont-ils écrit par exemple dans la revue Nature Ecology & Evolution en 2020.

Virus génétiquement modifié

En théorie, les instructions pour élaborer des vaccins contagieux sont simples :

  1. Prendre un virus inoffensif, mais en même temps très contagieux, qui n’affecte idéalement que les espèces animales à vacciner. Il sert en quelque sorte de véhicule.
  2. Ensuite, découper un gène à partir du génome du virus dangereux contre lequel la vaccination est censée protéger. Ce gène doit être bien sélectionné. Il correspond au plan d’un petit élément caractéristique de ce virus dangereux.
  3. Enfin, insérer ce gène dans le virus inoffensif et administrer le vaccin transmissible.
  4. Si la vaccination transmissible fonctionne, l’organisme forme alors des anticorps contre l’hôte inoffensif et aussi contre l’élément caractéristique du virus dangereux. Il est alors protégé en cas d’éventuel contact ultérieur avec ce dernier.

L’idée: en cas de danger imminent, on peut s’ajuster rapidement

Une douzaine de groupes de recherche dans le monde travailleraient sur de tels vaccins contagieux. «Presque tout le monde coopère», rapporte la chaîne Deutschlandfunk en 2020.

Les voix critiques soutiennent qu’il est difficile de prédire laquelle des «myriades de virus» circulant parmi la faune deviendrait une menace pour l’humanité. Réponse des scientifiques impliqués: une fois établi le véhicule transmetteur, il peut être rapidement équipé des gènes des virus menaçants, selon les situations. Jusqu’à présent, leur hôte préféré a été le cytomégalovirus (CMV).

Les avantages du transmetteur CMV

Les cytomégalovirus sont appréciés des chercheurs qui cherchent à développer des vaccins autotransmis pour plusieurs raisons:

  • Ils s’attaquent très spécifiquement à une seule espèce de mammifère. Par exemple, être humain, chauve-souris, chimpanzé, gorille, souris ainsi que d’autres CMV. Parce qu’ils sont si spécifiques, le risque qu’un tel virus vaccinal puisse se propager de manière non planifiée à une autre espèce, comme l’homme, est considéré comme très faible.
  • Les CMV sont très contagieux, mais généralement inoffensifs (sauf pour les femmes enceintes ou les personnes dont le système immunitaire est affaibli).
  • L’hôte de la vaccination peut être utilisé chez tous les individus, qu’ils aient ou non été déjà infectés par le cytomégalovirus. Du coup, il ne peut y avoir d’immunité collective contre ces nouveaux vaccins transmissibles.
  • Le CMV se transmet de différentes manières: lait maternel, salive, urine, sperme.

Vaccins contre la tuberculose et Ebola en cours de développement

Un vaccin expérimental mais pas (encore?) contagieux contre la tuberculose avec un cytomégalovirus a déjà été testé sur des singes. De même, des souris et des singes ont été vaccinés expérimentalement contre Ebola avec un porteur CMV. Les scientifiques ont spécifiquement mentionné la possibilité d’un vaccin à auto-propagation: «Dans la présente étude, le vaccin a été administré directement aux animaux. L’immunité après la propagation d’un animal à l’autre […] doit maintenant être examinée», ont-ils écrit en 2016.

Quatre ans plus tard, Quantamagazine a mentionné l’un des anciens chercheurs espagnols sur le vaccin pour le lapin. Il développe actuellement un vaccin transmissible contre la peste porcine. Selon The Daily Mail, des tests correspondants sont actuellement effectués sur des porcs dans plusieurs endroits en Europe. Des millions d’entre eu« sont morts de la peste porcine africaine.

«Nous devons maintenant montrer que cette technologie peut fonctionner»

Les points critiques de tels projets ont été brièvement abordés plusieurs fois dans les travaux de recherche et les articles spécialisés mentionné. Mais ils n’ont pas été fondamentalement discutés. Ces documents donnent l’impression que tous les aspects problématiques sont gérables. Entre autres, la crainte que le virus vaccinal, une fois libéré, puisse muter et devenir dangereux ou infecter d’autres espèces animales ou des humains.

«Je pense qu’il y avait peut-être trop d’inquiétudes concernant la libération d’un virus génétiquement modifié. Beaucoup de gens ont des réserves à ce sujet. Nous, les scientifiques, devons maintenant montrer que cette technologie peut fonctionner et qu’elle est sans danger. J’espère que si nous réussissons, nous pourrons également utiliser ces outils apparemment idéaux», affirmait l’un des principaux protagonistes sur Deutschlandfunk début juillet 2020.

Un des anciens chercheurs espagnols sur les lapins n’est pas d’accord: «Rien de tout cela ne devrait être entre les mains des seuls biologistes moléculaires, car leur spécialité n’est que la biologie moléculaire. A mon avis, nous avons besoin d’un ensemble de règles internationales pour ces activités.»

Les virus sont bons pour les surprises

La confiance que les vaccins contagieux feront ce qu’on attend d’eux repose, entre autres, sur des modèles de calcul mathématique.

Pourtant, on peut se tromper, avertit le même scientifique espagnol dans un article du National Geographic. Il raconte un cas en 2018. A cette époque, des chercheurs espagnols ont remarqué qu’un certain virus du myxome se retrouvait non seulement chez les lapins, mais décimait soudainement aussi les lièvres sauvages. La raison : ce virus du myxome s’était «appairé» avec un virus de la variole et avait ainsi pu retraverser la barrière des espèces.

«Je ne sais pas si un modèle mathématique aurait prédit que quelque chose comme ça surviendrait 70 ans plus tard» [après la libération délibérée du virus – ndlr], a déclaré le scientifique.

«Des risques de sécurité importants l’emportent sur les avantages potentiels»

Autre question ouverte: que se passe-t-il, par exemple, si vous vaccinez en masse des rats en Afrique contre la fièvre de Lassa pour protéger les gens – et que par la suite les animaux ne meurent plus du virus, mais se multiplient, attaquent les aliments et contaminent l’eau potable?

En janvier 2022, des scientifiques ont critiqué dans le magazine Science la recherche sur les vaccins contagieux. Elle est selon eux menée sans soulever des doutes fondamentaux, sans évaluer les risques, sans tenir compte des objections juridiques et bien plus encore. Les «risques importants pour la sécurité […] l’emportent sur les avantages potentiels», a conclu un autre groupe de scientifiques dans la revue Nature Ecology & Evolution.

Aucune réglementation n’existe

À ce jour, la production et la diffusion de ces vaccins auto-propagés ne sont pas réglementées. “Votre cher milliardaire technologique pourrait faire n’importe quoi avec n’importe quel agent pathogène avec son propre argent”, a déclaré le directeur d’une entreprise de conseil sur les questions de biosécurité, cité début novembre 2022 par The Intercept.

L’article de The Intercept parlait d’accidents de laboratoire, dont des centaines avaient été signalés rien qu’aux États-Unis au cours des 18 dernières années. Il décrivait des événements effrayants : une fois, une souris infectée par le Sars s’est échappée (heureusement, elle a pu être rattrapée) ; une fois, un chercheur a été inexplicablement infecté au labo par des bactéries résistantes aux antibiotiques ; une fois, une étudiante est restée des jours sans rien dire après avoir été infectée par une d’aiguille au labo et s’est retrouvée à l’hôpital avec une dangereuse infection au Chikungunya.

Et si un accident similaire se produisait avec un vaccin contagieux?

Les sponsors ont un devoir

Vu les objections soulevées par les experts, il n’est guère rassurant que le ministère britannique de la Santé et des Affaires sociales ait promis au Daily Mail qu’aucune étude avec un vaccin auto-propagé n’aurait lieu sans un «examen réglementaire et éthique strict» préalable.

En 1993, l’OMS et l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) se sont déclarées préoccupées par l’utilisation d’agents pathogènes pour lutter contre les pestes animales. A cette époque, d’importantes instances internationales telles que l’OMS ou la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) étaient impliquées en amont, soulignent les détracteurs. Mais maintenant, le développement progresse sans que rien de semblable ne se produise. Les porteurs de tels projets de recherche doivent aussi faire face à leur responsabilité, exigent les scientifiques critiques dans leur article.

Une recherche financée avec l’argent des contribuables – également dans l’UE

Les expériences et les calculs de modèles qui fonctionnent vers de tels vaccins ont été ou sont financés par l’argent des contribuables et des fondations privées. Entre autres, l’UE est mentionnée comme sponsor du programme “Horizon 2020”, avec le NIAID dirigé par Anthony Fauci, la Fondation Bill et Melinda Gates, le “Omidyar Group” (du nom du fondateur d’Ebay Pierre Omydiar), l’US National Institutes of Health et l’agence de recherche DARPA du Département américain de la Défense.

NB. L’auteure n’a aucun conflit d’intérêt sur ce thème.