Suisse : le nouveau Règlement sanitaire international de l’OMS risque d’affaiblir sa souveraineté

Après les amendements apportés lors de la 77ème Assemblée, Berne fait des déclarations rassurantes. Sont-elles crédibles?

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On a beaucoup parlé de la 77ème Assemblée mondiale de la Santé (AMS) qui s’est tenue du 27 mai au 1er juin 2024 à Genève. Sollicité par la suite, le porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) avait affirmé que la Suisse «continuera à décider souverainement de sa propre politique de santé.»

Ces déclarations se veulent rassurantes. Toutefois, si l’on examine les amendements importants apportés au «Règlement sanitaire international» (RSI), la question peut se poser : affaiblissent-ils réellement la souveraineté des États, en réduisant leur marge de manœuvre en termes de politique de santé ? Notre analyse.

Droit international

Pour rappel, le RSI relève du droit international. Il est contraignant pour les 194 États membres de l’OMS, dont la Suisse fait partie.

Il cadre ce que les pays peuvent faire en matière de riposte de santé publique face aux «risques pandémiques» ou «risques pour la santé publique», de manière «à prévenir ou à réduire la propagation internationale des maladies en créant le minimum d’entraves au trafic international.»

L’OFSP, sur son site Web, expliquait au sujet des négociations qui se sont tenues à Genève le mois dernier:

Comme les négociations actuelles ne portent pas sur une révision du RSI, mais sur des amendements ciblés, la Suisse estime qu’il est essentiel que la portée et le champ d’application du Règlement restent inchangés, et défend cette position dans les négociations.

Pour la Suisse, la référence que le RSI fait aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales est cruciale et doit être maintenue. Elle constitue la base de la société et représente aussi l’un des acquis importants de la révision de 2005. […]

Ce n’est qu’à l’issue des négociations que la Suisse décidera si, conformément au contenu final négocié, elle approuve le résultat. Elle continuera de décider souverainement de sa propre politique sanitaire et des mesures nécessaires en cas d’urgence de santé publique de portée internationale, ainsi que de pandémie.

A l’issue des négociations, le porte-parole de l’OFSP, interpellé par notre confrère Christian Campiche d’infoméduse, déclarait :

Tels que négociés, les amendements au Règlement sanitaire international n’impactent pas le droit souverain des États de légiférer en vue de la mise en œuvre de leurs politiques nationales en matière de santé.

Cette déclaration signifie donc que les autorités n’estiment pas que les amendements adoptés restreignent la souveraineté de la Suisse en matière de politique de santé; en d’autres termes, elles considèrent que les négociations ont favorablement abouti, et qu’il n’y a pas de raison de dénoncer le RSI tel qu’il a été amendé.

Les amendements ne sont pas bénins

Le fait que les amendements aux RSI soient significatifs ne relève pas de l’interprétation subjective. L’OMS le déclare elle-même dans son communiqué de presse, en y qualifiant les amendements adoptés de «décisifs» et «de grande ampleur».

En étudiant le Règlement amendé, on constate que l’OMS ne ment pas à ce sujet. Les modifications ne sont pas bénignes du tout, dans la mesure où elles accroissent considérablement le pouvoir de l’OMS et de son directeur général.

Les lecteurs sont encouragés à lire le Règlement en entier, qui fait 67 pages, dont les suppressions sont biffées, et dont les amendements sont indiqués en gras. On se penche ci-dessous sur les éléments principaux.

Nouvelle définition: «urgence pandémique»

Une définition a été ajoutée, qui concerne l’expression d’«urgence pandémique». Désormais, inutile qu’une pandémie existe, il suffit qu’un «risque de pandémie» soit déclaré pour que les mesures contraignantes du Règlement doivent être suivies:

On lit ce nouveau passage dans l’article 1:

«urgence due à une pandémie» s’entend d’une urgence de santé publique de portée internationale causée par une maladie transmissible et:

i) qui s’étend ou risque fortement de s’étendre à plusieurs États ou à l’intérieur de plusieurs États; et

ii) pour laquelle les systèmes de santé de ces États n’ont pas ou risquent fortement de ne pas avoir les capacités d’agir; et

iii) qui cause ou risque fortement de causer des perturbations sociales et/ou économiques importantes, notamment d’entraver le trafic et le commerce internationaux; et

iv) qui nécessite une action internationale rapide et équitable mieux coordonnée s’appuyant sur la mobilisation de l’ensemble des pouvoirs publics et de la société.

Cette «urgence due à une pandémie» relève de la détermination du directeur général de l’OMS, comme l’indique l’article 12 auquel le texte suivant a été ajouté:

Si le Directeur général détermine qu’un événement constitue une urgence de santé publique de portée internationale, il doit en outre établir, après examen des éléments figurant au paragraphe 4, si l’urgence de santé publique de portée internationale constitue également une urgence due à une pandémie.

De nombreux autres passages du RSI ont été amendés pour y ajouter la notion de «prévention» d’une crise sanitaire (en plus d’une simple réaction). L’évaluation du risque revient toujours au directeur général de l’OMS. Cette notion de «prévention», omniprésente dans le Règlement amendé, est sans aucun doute la modification philosophique la plus significative du document.

Nouvelle bureaucratie

Le nouveau Règlement prévoit ensuite que les États membres doivent mettre en place une nouvelle bureaucratie pour s’assurer de la mise en œuvre du Règlement international.

On lit à l’article 4 ce nouveau passage:

Chaque État Partie met en place ou désigne, en vertu de sa législation et eu égard au contexte national, une ou deux entités faisant office d’autorité nationale compétente en matière de RSI et d’un point focal national RSI, ainsi que les autorités responsables, dans sa propre juridiction, de la mise en œuvre des mesures sanitaires prévues au présent Règlement.

L’autorité nationale compétente en matière de RSI coordonne la mise en application du présent Règlement dans la juridiction de l’État Partie. […]

Les États parties prennent les mesures nécessaires pour appliquer les paragraphes précédents y compris, le cas échéant, en ajustant leurs dispositions législatives et/ou administratives.

«Produits de santé utiles» et thérapies géniques

Une autre définition a été ajoutée à l’article 1, et concerne la notion de «produits de santé utiles», qui inclut désormais des «thérapies cellulaires et géniques». On lit:

«Produits de santé utiles» s’entend des produits de santé nécessaires pour agir en cas d’urgence de santé publique de portée internationale, y compris d’urgence due à une pandémie, qui peuvent comprendre des médicaments, des vaccins, des produits de diagnostic, des dispositifs médicaux, des produits de lutte antivectorielle, des équipements de protection individuelle, des produits de décontamination, des aides techniques, des antidotes, des thérapies cellulaires et géniques et d’autres technologies de la santé.

La façon dont la diffusion de ces «produits de santé utiles» est régie par l’OMS est décrite dans un nouveau passage de l’article 13:

L’OMS facilite l’accès rapide et équitable des États Parties aux produits de santé utiles après qu’il a été établi qu’il existe une urgence de santé publique de portée internationale, y compris une urgence due à une pandémie, en fonction des risques et des besoins en matière de santé publique, et s’emploie à éliminer les obstacles à cet accès. À cet effet, le Directeur général […]

  • utilise les mécanismes coordonnés par l’OMS ou, en consultation avec les États Parties, facilite leur mise en place en fonction des besoins, et assure la coordination, le cas échéant, avec d’autres mécanismes et réseaux d’allocation et de distribution qui facilitent l’accès rapide et équitable aux produits de santé utiles en fonction des besoins en matière de santé publique; […]
  • communique à un État Partie qui en fait la demande le dossier relatif à un produit de santé utile particulier, tel qu’il a été fourni à l’OMS par le fabricant pour approbation et lorsque ce dernier a donné son accord, dans les 30 jours suivant la réception de cette demande, afin d’en faciliter l’évaluation et l’autorisation réglementaires par l’État Partie.

Ce principe est également traité dans un nouveau passage de l’article 15, qui concerne les «recommandations temporaires» de l’OMS.

Lorsqu’il communique aux États Parties la publication, la modification ou la prolongation de recommandations temporaires, le Directeur général devrait transmettre les informations sur les éventuels mécanismes coordonnés par l’OMS concernant l’accès aux produits de santé utiles et l’allocation de ces produits, ainsi que sur les autres mécanismes et réseaux d’allocation et de distribution qui pourraient exister.

Il en est également question plus loin, dans l’article 16, au sujet des «recommandations permanentes» de l’OMS, et qui reprend le texte ci-dessus en remplaçant «recommandations temporaires» par «recommandations permanentes».

Identification numérique et «sécurité sanitaire»

Les amendements au RSI ajoutent, sous le titre 6 «documents sanitaires», le texte suivant :

Les documents sanitaires prévus par le présent Règlement peuvent être établis sur support numérique ou non numérique, sous réserve des obligations de tout État Partie concernant le format de ces documents découlant d’autres accords internationaux.

Quel que soit le support sur lequel les documents sanitaires prévus par le présent Règlement ont été établis, lesdits documents sont conformes aux annexes visées aux articles 36 à 39, selon le cas, et leur authenticité peut être vérifiée.

L’OMS, en consultation avec les États Parties, élabore et met à jour, selon les besoins, des orientations techniques, y compris des spécifications ou des normes relatives à la délivrance et à la vérification de l’authenticité des documents sanitaires, qu’ils soient établis sur support numérique ou non numérique. Ces spécifications ou normes sont conformes à l’article 45 relatif au traitement des données à caractère personnel.

Il s’agit donc là sans ambiguïté d’entériner les codes QR et autres dispositifs techniques d’identification, de surveillance et de contrôle. A la différence de ce qui s’est passé entre 2020 et 2023, ces mesures techniques de contrôle devraient désormais se conformer aux prescriptions édictées par l’OMS.

Un pouvoir extraordinaire au directeur général de l’OMS

En résumé, le RSI amendé confère un nouveau pouvoir extraordinaire au directeur général de l’OMS: il devient capable de décréter un «risque d’urgence pandémique», et par là-même d’imposer aux États membres une série de mesures contraignantes. C’est-à-dire que même si aucune pandémie n’existe, les libertés individuelles et fondamentales des gens peuvent se trouver entravées.

Prochaines étapes

Le nouveau RSI n’est pas encore contraignant pour la Suisse. L’OFSP déclare sur son site Web :

L’AMS a approuvé par consensus la version adaptée du texte. Les modifications apportées ne déploient pas encore d’effet contraignant pour la Suisse, qui doit d’abord examiner si elle accepte ou rejette ces adaptations, conformément à ses procédures et à ses bases constitutionnelles et légales. Elle prend cette décision en toute souveraineté. […]

L’AMS a décidé de prolonger d’une année au maximum les négociations concernant cet accord. Le résultat sera présenté au plus tard lors de la 78e AMS, en mai 2025. […]

L’OMS, sur sa propre page explicative, est plus catégorique :

La Soixante-Dix-Septième Assemblée mondiale de la Santé a adopté l’ensemble d’amendements par consensus, c’est-à-dire sans vote, le 1er juin 2024. Les amendements entreront en vigueur pour tous les États Parties, à l’exception de ceux qui notifieront au Directeur général un rejet ou une réserve dans un délai déterminé, qui sera communiqué par l’OMS à tous les États Parties.

Conformément à l’article 59 du RSI (tel qu’amendé en 2022), les amendements adoptés par la Soixante-Dix-Septième Assemblée mondiale de la Santé entreront en vigueur 12 mois après leur notification par le Directeur général à tous les États Parties.

Dans le communiqué de l’OMS qui a suivi l’assemblée, on lit de surcroît:

[L’AMS] a approuvé un ensemble d’amendements essentiels au Règlement sanitaire international (2005) et a pris des engagements concrets en vue de faire aboutir les négociations sur un accord mondial sur les pandémies, au plus tard dans un délai d’un an et si possible en 2024. […]

L’ensemble d’amendements au Règlement permettra de renforcer la préparation, la surveillance et la riposte face aux urgences de santé publique, y compris les pandémies.

Les États Membres de l’OMS ont décidé de prolonger le mandat de l’organe intergouvernemental de négociation, créé en décembre 2021, de sorte qu’il achève ses travaux de négociation d’un accord sur les pandémies dans un délai d’un an, d’ici à l’Assemblée mondiale de la Santé en 2025, ou si possible plus tôt lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée de la Santé en 2024.

En d’autres termes, les déclarations rassurantes de l’OFSP, selon lesquelles «la Suisse continuera à décider souverainement de sa propre politique de santé», risquent de ne pas se traduire dans les faits.

A moins d’un retournement de situation, le nouveau Règlement deviendra contraignant pour la Suisse l’année prochaine au plus tard. L’opinion suisse pourrait-elle se mobiliser rapidement pour obtenir que la Suisse signifie explicitement à l’OMS son rejet des amendements? Telle est la question.

En tout état de cause, une pétition pour obtenir le rejet du nouveau RSI circule déjà en Suisse alémanique via le site ABF Schweiz.