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Slobodan Despot et “L’Antipresse”: l’aventure d’une revue anti-conformiste

Cet e-hebdomadaire se veut un antidote à la pensée unique, une communauté d’esprits libres, une interrogation ouverte et une voie vers l’indépendance plutôt qu’une lessiveuse à cerveaux.

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L’Antipresse est une e-revue éditée également sous format papier. Pour comprendre la ligne éditoriale de cet ovni médiatique, un retour sur le parcours d’un de ses fondateurs et auteur principal, Slobodan Despot, s’impose.

Riche de sa double nationalité suisse et serbe, ainsi que d’un parcours éminemment lié au monde littéraire, il s’évertue dans ses productions écrites à mettre l’actualité en lumière dans ce monde où,
trop souvent, la fiction dystopique a rejoint le réel.

« Maîtriser la langue, c’est maîtriser sa vie »

La vie de Slobodan est jalonnée de personnages et d’expériences ayant contribué à forger la personnalité de l’homme de lettres qu’il est.

Né en 1967 dans l’actuelle Serbie, alors Yougoslavie, Slobodan Despot arrive à l’âge de 6 ans en Suisse.
Il intègre un établissement tenu par des Chanoines à Saint Maurice dans le Valais où il apprend la langue française. Malgré des conditions d’apprentissage très strictes, il n’en tiendra jamais rigueur à ses maîtres
qui lui auront permis d’acquérir la maîtrise de sa langue d’adoption, le français :

Maîtriser la langue c’est maîtriser sa vie, c’est à dire maîtriser ses pensées, sa communication avec autrui et son environnement immédiat. On remplace l’absence de maîtrise linguistique et culturelle par de l’idéologie, parce que l’idéologie peut se formuler en des termes plus simples que la culture”.

Chez les Chanoines régnait paradoxalement une relative liberté de penser, de s’exprimer. Il y était possible d’exprimer une idée contraire à celle du professeur, les Chanoines préférant “un refus motivé à
une adhésion immotivée”, favorisant ainsi le développement du sens critique.

Dans le vif de la création littéraire et intellectuelle

Quelques années plus tard, un passage à l’université aura la vertu de lui révéler l’absurdité du sytème éducatif où le conformisme régnait en maître, où les valeurs érigées en dogmes étaient à l’opposé de ce
que lui avaient enseigné les Chanoines.

Ainsi, à l’instar de l’auteur Jean-Paul Brighelli, le fondateur de l’Antipresse voit dans le système éducatif actuel une “fabrique du crétin”. C’est pourquoi très tôt il quitte l’université et rejoint dès ses 19 ans les éditions “L’Âge d’Homme” basées à Lausanne, où il devient rédacteur et traducteur d’auteurs slaves, notamment de dissidents russes. Il y restera 18 ans.

De cette période, faite de travail assidu et d’effervescence intellectuelle, Slobodan gardera le souvenir d’une “immersion complète dans la matière, le vif de la création littéraire et intellectuelle”. Cette période est également marquée par la rencontre de ceux qu’il aime appeler “les grands esprits”. Parmi eux, Georges Haldas (écrivain et poète, 1917 – 2010), Vladimir Volkoff (écrivain, 1932 – 2005), le général et politologue Pierre Marie Gallois (1911 – 2010), un des pères de la dissuasion nucléaire française, Franz Weber (écrivain et journaliste, 1927 – 2019), ou encore Alexandre Zinoviev (philosophe et écrivain 1922 – 2006).

C’est surtout ce dernier qui aura eu un impact déterminant dans la construction de la vision critique de Slobodan Despot. Très tôt, Alexandre Zinoviev dépeint le système occidental comme proche de
celui de l’ancienne URSS ; la différence, selon lui, ayant longtemps tenue dans le fait que l’Occident a des circonstances historiques et matérielles plus favorables.

Toutefois, très tôt le philosophe russe voyait dans le système soviétique l’avant-garde de ce qui allait arriver en Occident. La pensée de Zinoviev pourrait se résumer dans l’importance d’être souverain tout en évitant de s’ancrer dans des certitudes :

“L’existence de convictions chez l’homme est un signe de sous-développement intellectuel. Elles ne font que compenser son incapacité à comprendre rapidement et exactement tel ou tel phénomène dans sa réalité concrète. Ce sont des idées a priori permettant d’agir dans une situation concrète sans en comprendre le caractère concret. L’homme à convictions est rigide, dogmatique, assommant et, comme il se doit, stupide. Le plus souvent, d’ailleurs, les convictions n’ont aucune influence sur la conduite des gens. Elles ne font qu’enjoliver la vanité, justifier les consciences troubles et masquer la sottise”.
Alexandre Zinoviev, Homo Sovieticus.

Pour Slobodan Despot, le meilleur moyen de raconter le réel reste l’oeuvre littéraire car “toute la vérité est contenue dans la littérature”. C’est tout naturellement qu’il se consacre alors à l’écriture romanesque. Son premier roman “Le miel” publié chez Gallimard en 2014 raconte ainsi, à travers quelques personnages, le drame survenu 20 ans plus tôt en Serbie lors de l’épuration ethnique de la Krajina que les médias occidentaux n’ont alors presque pas évoquée.

En 2017, “le rayon bleu”, publié également chez Gallimard, évoque le risque de la destruction mutuelle assurée ; roman inspiré de sa fréquentation avec le général Pierre Marie Gallois.

Qu’est-ce que l’Antipresse ?

L’Antipresse est née en 2015 à l’initiative de Slobodan Despot et Jean-François Fournier, comme étant  “une réponse que nous avons donnée au désarroi des gens vis-à-vis de la médiocrité de l’information qu’ils recevaient”. Tout commence un peu “comme une blague” avec deux petits articles envoyés via une mailing-list.

Rapidement, une version plus aboutie voit le jour sous la forme d’une lettre confidentielle, adressée chaque dimanche à ce que Slobodan définit comme étant une communauté de lecteurs restreinte, ayant souscrit à un abonnement, préférant “l’influence plutôt que l’affluence”.

Ce média est l’aboutissement de toute l’expérience accumulée au fil du temps par ses auteurs : Slobodan Despot en premier lieu, mais aussi Eric Wermer et plus récemment Ariane Bilheran. L’Antipresse se veut être une métaphore de la presse papier dans la presse électronique, tant dans la forme (l’esthétique s’inspirant largement de la presse écrite et de l’édition), que dans le contenu éditorial, parfaitement résumé par son manifeste :

L’Antipresse est née de notre sentiment d’étouffement et de désarroi face à l’appauvrissement constant de l’information des médias grand public, au déclin de leur langue et de leur style, à leur incohérence intellectuelle, à leur parti pris devenu structurel, à leur éloignement préoccupant de la réalité vécue par la plupart des gens. L’Antipresse n’est pas contre la presse, mais à l’extérieur. Sa mission n’est pas de réfuter les lieux communs médiatiques, mais d’élargir les perspectives sur les choses qui nous concernent tous. L’Antipresse ne prétend pas réinformer, elle veut simplement informer.

Mais aussi captiver, faire réfléchir et divertir ses lecteurs sans leur faire la leçon. Bref, faire de la bonne presse! L’Antipresse s’intéresse à toute l’actualité, en particulier celle qu’on “couvre” peu dans le domaine francophone. L’Antipresse n’est ni de droite, ni de gauche, et encore moins du milieu.

Aux phrases toutes faites, nous opposons un langage vivant. Aux stéréotypes, une vision individuelle. À la communication superficielle, une connaissance basée sur le meilleur support de mémoire jamais inventé: le livre. À l’intelligence artificielle, l’intelligence naturelle. À la pensée unique, la variété des points de vue. À l’hypocrisie de rigueur, la franchise du ton et du regard. Au détachement cynique, un investissement total dans tout ce que nous écrivons.

Nous voulons voir dans les choses plus que les choses (selon le mot de Victor Hugo). La poésie n’est pas dans la forme des idées mais dans les idées elles-mêmes. La poésie, c’est tout ce qui a d’intime dans tout. L’Antipresse est une fabrique de sens et de pensée durable. Vous nous relirez!”

L’Antipresse à l’heure de la “pandystopie”

Les événements survenus à partir de 2020, que Slobodan aime à nommer la “pandystopie”, ne laissent plus de temps à la production d’oeuvres romanesques pour conter le réel. L’accélération des événements amène les auteurs de l’Antipresse à produire régulièrement un contre narratif de la doxa officielle.

Mon travail romanesque de restitution honnête du réel, mais du point de vue intérieur, conforme à l’injonction de Victor Hugo de voir dans les choses plus que les choses, ce travail, donc, je devais le convertir en une chronique. Je n’avais plus le temps de créer des allégories littéraires dans la mesure où tout ce qui se passe aujourd’hui ressemble à un roman dystopique”.

La revue en ligne décortique les mécanismes de manipulation d’un “coup d’Etat technologique” où le monde numérique, par son souci de perfection, ne laisse plus de place à la liberté ; ce que semble avoir prédit en 1994 le penseur et essayiste Theodore Roszak dans son essai “The cult of information”.

Par son regard sans complaisance sur un monde en pleine déliquescence, Slobodan Despot nous invite à faire un pas de côté et prendre le temps de penser différemment, tout en évitant de tomber dans le piège du conformisme et des convictions. Tâche difficile mais ô combien stimulante.

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