En France, le Sénat s’est réuni le 19 décembre 2023 pour voter l’adoption du projet de loi sur les dérives sectaires présenté par la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache. Ce texte a été amendé par le Sénat et sera transmis à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture.
Haro sur les “gourous”
Le texte du projet de loi associe toujours les dérives sectaires à « des groupes ou individus qui investissent les domaines de la santé, du bien-être, de l’alimentation, du développement personnel, du coaching et de la formation », ainsi qu’à la « sphère complotiste ».
Selon les propos de la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache :
Les dérives sectaires ont changé de visage et progressent depuis l’essor des réseaux sociaux et surtout la crise du Covid. Notamment dans le domaine de la santé. Des « gourous 2.0 » fédèrent vite des communautés en ligne.
L’État se doit d’adapter son organisation et sa réponse pénale pour tenir compte des transformations du phénomène des dérives sectaires.
Deux nouveaux délits
Avant d’être adopté par le Sénat, le projet de loi a été abondamment corrigé par la commission des lois et expurgé de ses principales fragilités juridiques selon le rapporteur du texte, la sénatrice Lauriane Josende.
À cet égard, la commission déplore que le Gouvernement ait fait le choix de proposer des solutions juridiquement fragiles aux victimes, sans que la nécessité de légiférer soit avérée ou en proposant des mesures de portée générale, au risque de déstabiliser tout l’arsenal pénal existant.
En effet le projet de loi initial, déposé par le Gouvernement le 15 novembre 2023, prévoyait la création de deux nouveaux délits dans les articles 1er et 4 qui ont été supprimés par la commission.
- le délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique (article 1er du projet de loi – supprimé) ;
- le délit de provocation à l’abandon ou l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques présentées comme bénéfiques pour la santé des personnes, alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que cet abandon, cette abstention ou l’adoption de ces pratiques est susceptible d’entraîner pour elles des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique (article 4 – supprimé).
La commission des lois craignait que la focalisation de la réflexion sur la réponse pénale répressive, et la rédaction maladroite et précipitée de ces deux articles, risquaient d’alimenter les discours en faveur de la défense des droits de l’Homme et de la liberté d’expression.
Dans son communiqué de presse, la commission précise que :
Soucieuse de préserver les libertés publiques et individuelles, la commission a considéré que toute atteinte disproportionnée à celles-ci, quand bien même elle serait fondée sur la volonté de préserver la santé des personnes, ne pourrait qu’affaiblir la lutte contre les dérives sectaires et au contraire renforcer les arguments de ceux qui les soutiennent.
Cependant la commission approuve la direction générale du projet de loi. De son côté, une majorité du Sénat espère que l’article 4 pourra être réintroduit après réécriture.
L’article 5 du texte, qui prévoit des sanctions disciplinaires à l’encontre des praticiens dits « déviants » en collaboration avec les ordres de santé, a été adopté.
MIVILUDES ou chasse aux sorcières?
La commission des lois a ajouté des articles supplémentaires au texte qui mettent l’accent sur la prévention, l’information, l’accompagnement des victimes des dérives sectaires, ainsi que sur la protection des mineurs.
C’est ainsi qu’elle consacre un statut législatif à la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), afin de la conforter dans ses missions. Cet organisme est notamment célèbre pour s’inquiéter et surveiller des disciplines comme la naturopathie, le reïki, la kinésiologie… qu’il estime pouvoir conduire à des dérives sectaires. Le pouvoir nouveau donné à la MIVILUDES confirme l’intention du Gouvernement et du Sénat d’orienter « la chasse aux sorcières » à l’encontre des pratiquants d’une santé non conventionnelle.
Risque de prison
De plus, la commission des lois renforce les peines prévues pour la répression des infractions en lien avec les dérives sectaires (abus de faiblesse, exercice illégal de la médecine et pratiques commerciales trompeuses) commis par l’entremise d’un service de « communication en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique », de manière à viser les « gourous 2.0 qui utilisent des plateformes comme Youtube pour élargir leur cible ».
Insérés dans le chapitre « Protéger la Santé – Article 4 A (nouveau) », ces amendements entendent porter les peines à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque l’infraction a été commise par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique. La commission prévoit également une peine complémentaire de suspension des comptes d’accès aux services en ligne, ainsi que 75 000 euros d’amende pour le fournisseur d’accès qui ne procéderait pas au blocage des comptes en ligne.