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Rudolf Steiner: L’homme spirituel entre les abîmes

Maurice Le Guerrannic, conférencier, éditeur et fin connaisseur sur la vie de Rudolf Steiner, répond à une interview sur le Christ intérieur, "prototype" de l'Homme Nouveau.

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Article et interview d’Isabelle Alexandrine Bourgeois pour Essentiel News, journaliste et fondatrice du média en ligne Planète Vagabonde

À l’occasion du centième anniversaire de la mort de Rudolf Steiner, Maurice Le Guerrannic, auteur, conférencier et éditeur spécialisé dans les ouvrages du grand enseignant allemand, répond à une interview sur le Christ intérieur au temps du numérique.

Parmi ceux qui prolongent l’œuvre de Steiner, Maurice Le Guerrannic joue un rôle central. Ancien professeur dans les écoles Steiner entre 30 et 49 ans, il explore ce qu’il nomme le chemin d’initiation moderne, à travers ses groupes de travail à Bâle, Paris et Neuchâtel. Son objectif est d’accompagner le développement des nouvelles facultés de perception spirituelle, que Steiner considérait comme essentielles pour l’avenir.

Considéré comme l’un des grands connaisseurs de la vie et l’œuvre de Rudolf Steiner, il donne plusieurs conférences au printemps en commémoration au 100ème anniversaire de la mort du grand homme.

Cent ans après sa disparition, Rudolf Steiner demeure une figure marquante de la pensée spirituelle et sociale. Philosophe, scientifique et ésotériste, il a fondé l’anthroposophie, une vision du monde qui cherche à réconcilier la science, l’art et la spiritualité dans un projet global pour l’avenir de l’humanité. Son influence se retrouve aujourd’hui dans des domaines aussi divers que l’éducation, l’agriculture, la médecine et l’économie. Mais qu’en reste-t-il réellement un siècle après sa mort ?

Flashback

Né en 1861 à Kraljevec, petit village austro-hongrois, Rudolf Steiner grandit dans un monde où cohabitent la nature sauvage des montagnes et les progrès techniques incarnés par le chemin de fer et le télégraphe. Son père, employé des chemins de fer, le sensibilise à l’innovation et à la rationalité, tandis que lui-même nourrit une soif de connaissance précoce. À seize ans, il se plonge dans les œuvres de Kant, Fichte, Hegel et Schelling, cherchant à comprendre la nature de la pensée et de la réalité spirituelle.

Sa formation universitaire à Vienne, à l’École Polytechnique, lui donne des bases solides en sciences et en philosophie. Il est profondément influencé par Karl Julius Schröer, professeur de littérature allemande, qui l’incite à travailler sur l’édition des œuvres scientifiques de Goethe.

Ce travail le mène aux Archives de Weimar en 1890, où il rédige sa thèse de doctorat, Vérité et science, puis son œuvre majeure, La philosophie de la liberté. Dans ce texte fondamental, Steiner cherche à dépasser les limites imposées par Kant pour affirmer que la pensée humaine peut être un véritable acte créateur de réalité.

L’éducation Steiner-Waldorf : un modèle pédagogique international

L’un des héritages les plus durables de Steiner est sa pédagogie, qui a donné naissance aux écoles Waldorf. Créée en 1919 à Stuttgart, la première école Waldorf visait à offrir aux enfants des ouvriers une éducation basée sur le développement équilibré de l’intellect, des émotions et des compétences pratiques.

Aujourd’hui, cette pédagogie s’est répandue dans le monde entier:

  • 1 200 écoles Waldorf dans plus de 64 pays, dont 250 en Allemagne
  • 2 000 jardins d’enfants et séminaires de formation
  • 88 050 élèves en Allemagne, avec une moyenne de 345 élèves par établissement

Ce modèle éducatif met l’accent sur l’autonomie, l’apprentissage par l’expérience et l’éveil artistique, s’écartant des approches pédagogiques classiques fondées sur l’accumulation de connaissances abstraites.

Dans les années 1920, Steiner pose les bases de ce qui deviendra l’agriculture biodynamique, une approche respectueuse de la terre, fondée sur les cycles naturels et cosmiques. Pour Steiner, la fertilité des sols et la qualité des aliments dépendent d’une harmonie entre les forces terrestres et les influences planétaires.

On peut penser notamment aux célèbres fermes Demeter en Suisse et en France, de même que la ferme Sekem en Egypte ou ailleurs dans le monde. En Suisse, le domaine de l’Aubier est une entreprise engagée depuis 44 ans dans le dévelop­pement de nombreux projets autonomes, responsables et humains.

Les chiffres témoignent de son succès:

  • 6 396 fermes biodynamiques dans le monde, couvrant 208 327 hectares
  • En Allemagne, 1 695 fermes sur 93 000 hectares
  • En Suisse, 297 fermes sur 5 070 hectares

Malgré les critiques, notamment sur son aspect spirituel, l’agriculture biodynamique a largement inspiré l’agriculture biologique moderne et est reconnue pour son respect des écosystèmes.

La biodynamie dans le monde

Une médecine intégrative : la santé selon Steiner

Steiner a également révolutionné la médecine avec la médecine anthroposophique, une approche qui associe médecine classique et traitements naturels, en accordant une place centrale aux dimensions psychique et spirituelle du patient.

Aujourd’hui, cette médecine est particulièrement développée en Allemagne :

  • 1 300 médecins et 1 750 thérapeutes anthroposophes
  • 260 institutions spécialisées en pédagogie curative
  • Weleda, entreprise fondée sur ses principes, affiche un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros en 2020

Un rayonnement dans des domaines variés

L’anthroposophie ne se limite pas aux domaines de l’éducation, de l’agriculture et de la médecine. Elle a influencé de nombreux secteurs, dont la finance et les arts :

  • Les banques éthiques, comme la GLS Bank et Triodos Bank, financent des projets sociaux et écologiques inspirés par Steiner.
  • L’eurythmie, discipline artistique fondée sur le mouvement et la musique, est enseignée dans plusieurs institutions.
  • Les institutions pour personnes en situation de handicap, où les principes anthroposophiques inspirent une approche pédagogique bienveillante et individualisée.

Des tensions positives et salutaires

Mais tout n’est pas rose chez les anthroposophes. Le mouvement est traversé par des tensions entre fidélité aux enseignements originels et adaptation aux évolutions contemporaines. Une remise en questions bienvenue et nécessaire au risque de se scléroser dans un dogme. Le débat d’idées est essentiel pour maintenir une idéologie vivante, car il permet son évolution et son adaptation aux réalités changeantes du monde. Certains membres considèrent l’anthroposophie comme un système de pensée immuable, tandis que d’autres plaident pour une réinterprétation intégrant les avancées scientifiques et sociales.

L’une des principales divergences concerne la place du suprasensible. Pour certains, l’anthroposophie est avant tout une quête spirituelle et initiatique, tandis que d’autres privilégient son application concrète en éducation, en agriculture ou en médecine, sans nécessairement adhérer à ses fondements ésotériques. Ce débat se retrouve notamment dans la médecine anthroposophique, où une partie du mouvement rejette les avancées médicales modernes, alors que d’autres cherchent un équilibre avec la médecine conventionnelle. Les mesures sanitaires obligatoires et l’injection contre le Covid ont généré de profondes querelles au sein de la société anthroposophe entre les pro et les anti vaccin.

L’éducation Steiner-Waldorf fait également l’objet de tensions. Certains puristes défendent une stricte application des principes steinériens, notamment l’exclusion des technologies numériques, tandis que d’autres militent pour une adaptation aux réalités actuelles. Dans l’agriculture biodynamique, le clivage se situe entre ceux qui adhèrent aux principes spirituels de Steiner et ceux qui privilégient une approche pragmatique fondée sur les bénéfices écologiques.

La place de la science divise également. Si certains rejettent certaines théories contemporaines en biologie ou en physique, d’autres cherchent à concilier l’anthroposophie avec les connaissances modernes. Ces tensions se reflètent jusque dans la gouvernance du mouvement, opposant ceux qui souhaitent préserver son orthodoxie et ceux qui militent pour une approche plus évolutive. Ainsi, l’anthroposophie oscille entre tradition et adaptation, soulevant la question de son avenir face aux défis du monde moderne.

Une rencontre de commémoration du 100e anniversaire de la mort de Rudolf Steiner se déroulera au Goetheanum (Bâle) du 28 au 30 mars, après une importante série de conférences et congrès dans le monde entier. Rudolf Steiner est mort dans son atelier le 30 mars 1925.

Maurice Le Guerranic donnera une conférence sur la vie et le parcours initiatique de Rudolf Steiner à Aubonne le vendredi 11 avril. Avant cela, Marie-Pascale Rémy, autre experte sur la sagesse steinerienne, viendra donner une conférence et deux ateliers à Aubonne les 20, 22 et 23 mars.

Nota Bena: Isabelle Alexandrine Bourgeois est l’invitée temporaire de notre média jusqu’à fin mars (en remplacement de l’une de nos journalistes), après quoi elle proposera son contenu en exclusivité pour les adhérents de son média Planète Vagabonde.