Dans quelle mesure le gouvernement allemand a-t-il tenté d’influencer les médias lors de la crise du Coronavirus ? Un ancien porte-parole de l’administration Merkel confirme la confiscation de l’indépendance journalistique face à la narration officielle. Ceux qui osaient évoquer une telle question en pleine crise Covid étaient relégués au rang de complotistes.
Influencer les médias pour influencer les Länder
Dans un entretien-portrait de l’ancien porte-parole du Steffen Seibert, le rédacteur du Tagesspiegel Georg Ismar a raconté comment la chancelière de l’époque, Angela Merkel, avait secrètement convoqué des journalistes choisis à la veille d’importantes rencontres de coordination Covid entre le gouvernement fédéral et les Länder, afin de “sensibiliser” les médias sur les raisons du durcissement des mesures.
En Allemagne les Länder (Etats fédérés), très autonomes en matière de santé publique, ne doivent pas forcément appliquer les recommandations fédérales. Selon Georg Ismar, ces rencontres présentaient la situation sanitaire “avec une telle insistance qu’elle faisait chaque fois la une des journaux et des portails d’information en ligne. On faisait ainsi pression sur les Länder [pour qu’ils suivent la politique de Merkel]”.
Ismar précise que les ministres-présidents de certains Länder, informés de ces rencontres secrètes, auraient à leur tour contacté des journalistes la veille aussi afin d’influencer le discours public. C’est au rédacteur en chef d’un magazine bien connu en Allemagne, Ralf Hanselle de Cicero, que l’on doit la levée de ce lièvre.
Le même journal niait
Anecdote piquante, le Tagesspiegel, placé à gauche de l’échiquier (donc censé être opposé à Merkel), s’en prenait régulièrement aux critiques des mesures Covid gouvernementales – notamment aux opposants qui affirmaient justement que les médias étaient contrôlés par Merkel et servaient de porte-paroles du gouvernement durant la crise.
L’affaire Walder-Ringier, en Suisse et à l’étranger
Cette affaire rappelle les révélations qui ont eu lieu plus tôt en Suisse. En janvier 2022 est publiée une vidéo destinée à la base à rester en cercle restreint, dans laquelle Marc Walder, PDG de l’empire médiatique suisse Ringier et ami d’Alain Berset, raconte comment, dès le début de la crise, il a demandé à ses rédactions de soutenir les politiques sanitaires officielles et d’éviter de les critiquer. Une collusion qui a finalement influencé le contenu de 186 médias dans 13 pays avec plus de 6000 employés. Et donc plusieurs dizaines de millions de lecteurs et auditeurs.
Volet suisse: enquête pénale en cours
Dans le cadre de ces jeux d’influence, les autorités judiciaires suisses sont intervenues cet été au siège du Blick, appartenant au groupe Ringier, pour déterminer si celui-ci avait été systématiquement approvisionné en informations privilégiées par l’Office fédéral de la santé publique.
L’ancien porte-parole d’Alain Berset, Peter Lauener, avait d’ailleurs été placé en détention par le procureur fédéral extraordinaire Peter Marti, dans le cadre d’une enquête de fuites concernant l’affaire Crypto. L’enquêteur spécial aurait ensuite découvert fortuitement que Peter Lauener était à l’origine d’autres fuites auprès des médias dans le cadre de la pandémie.
Mais l’affaire n’est pas encore close et la présomption d’innocence prévaut. Le procureur est même devenu lui-même la cible d’une enquête pour abus d’autorité déclenchée par l’ancien collaborateur d’Alain Berset, ce qui suspend la procédure en cours contre lui. Et réduit les chances du public de connaître la vérité sur ces affaires pourtant importantes.
Sources
- “Les médias en période Corona, de loin trop proches?”, Cicero, 20 décembre 2022, en allemand
- “Il y a bien eu des réunions secrètes de Corona entre les médias et la chancelière”, Boris Reitschuster, en allemand