Article d’Icaros d’Essentiel News
En ce moment, les médias de masse publient presque quotidiennement de nouveaux articles sur le «scandale P. Diddy». Ce nom fait référence à Sean Combs, star américaine du hip-hop, et anciennement connu sous le nom de «Puff Daddy».
Il est extrêmement probable que cette affaire ne représente que la partie émergée de l’iceberg. On découvre en effet que des sujets apparemment sans lien sont pourtant connexes: infiltration de la scène hip-hop par la CIA, opérations psychologiques contre les jeunes noirs américains, violences sexuelles, et pédophilie.
En effet, la première chose à noter est que les accusations à l’encontre de M. Combs, comme à l’encontre d’autres stars du hip-hop, existent de longue date; et qu’elles vont largement au-delà des accusations judiciaires dont il fait actuellement l’objet.
Effectuer une recherche sérieuse, et efficacement débroussailler le terrain, demande du temps. Cet exercice est rendu d’autant plus difficile par le bruit (et la grande quantité de rumeurs non vérifiées) qui circulent en ce moment.
En l’état, et malgré la quantité d’articles qui traitent du sujet, «l’affaire P. Diddy» reste caractérisée par une certaine opacité. Le rôle trouble tenu par différentes célébrités (témoins et accusés), la nature variée des allégations et allusions, et les très nombreuses pistes de recherche, rendent l’investigation difficile.
En tout état de cause, on peut déjà sans risque affirmer que Sean Combs joue un rôle clé dans l’industrie du hip-hop, et que ce rôle ne se limite pas à la production de musique.
Dans la première partie de cet article, nous tenterons d’apporter un éclairage sur la nature des accusations et des soupçons qui pèsent sur M. Combs. En deuxième partie, nous peindrons le contexte dans lequel ils s’inscrivent; en effet, les évènements actuels ne peuvent être compris que s’ils s’envisagent dans le cadre plus large de ce qui afflige la scène hip-hop américaine.
Courte biographie
Sean John Combs, né le 4 novembre 1969, également connu sous ses noms de scène Diddy, Puff Daddy et P. Diddy, est un rappeur, producteur de disques et directeur artistique américain. Trois fois lauréat d’un Grammy Award, il a découvert, représenté et promu des artistes tels que Notorious B.I.G., Mary J. Blige et Usher.
Né à Harlem et élevé à Mount Vernon (New York), Combs a travaillé comme directeur artistique chez Uptown Records avant de fonder son propre label, Bad Boy Records, en 1993. Il a démarré sa carrière de producteur après le succès de son premier artiste, Notorious B.I.G.
Il a également travaillé comme producteur pour d’autres médias, notamment MTV et sa série de télé-réalité Making the Band. Il a lancé en 1998 la chaîne de magasins de vêtements Sean John, entre 2007 et 2023 il a été ambassadeur de la marque de vodka Cîroc, et en 2013 il cofondé la chaîne de télévision Revolt.
Il est l’un des artistes musicaux les plus riches du monde.
Accusations et activités criminelles
Depuis les années 1990, Sean Combs défraie la chronique pour son comportement violent. Ci-dessous figurent quelques-unes de ses affaires principales.
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En 1999, il est accusé d’avoir agressé un dirigeant de l’industrie musicale, et il est arrêté pour délit grave.
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En décembre 1999, un procureur l’accuse d’avoir déclenché une fusillade dans une boîte de nuit de Times Square; il le qualifie d’«arrogant, effronté et criminel» et «se croyant au-dessus des lois». Il indique que M. Combs a menti lors de sa déposition devant un grand jury, et a tenté de soudoyer des témoins. À l’époque, Jennifer Lopez était la petite amie de Sean Combs, et elle était présente lors de l’incident.
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En 2007, il est poursuivi pour coups et blessures à l’extérieur d’une boîte de nuit.
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En 2008, un journaliste du LA Times affirme que Notorious B.I.G. et Sean Combs ont orchestré le cambriolage et l’assassinat de Shakur Tupac en 1994, en s’appuyant sur des documents du FBI; le journal s’est ensuite rétracté, indiquant que les documents avaient été falsifiés. L’article de rétraction et d’excuses du LA Times date du 19 mars 2008, et constitue une lecture intéressante.
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En 2017, son ancien chef cuisinier le poursuit pour harcèlement sexuel et rétorsions.
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Fin 2023, son ancienne partenaire Cassie Ventura porte plainte contre lui pour agression sexuelle, et réclame plusieurs millions de dollars. L’affaire est réglée à l’amiable. En mai 2024, des images de vidéosurveillance montrant Combs en train d’agresser Ventura sont diffusées; Combs présente des excuses publiques pour cette agression.
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Au cours des neuf mois qui suivent, 11 plaintes civiles sont déposées par des plaignants se disant victimes d’abus sexuels de la part de Combs entre 1991 et 2009.
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En septembre 2024, il est inculpé par un grand jury fédéral à Manhattan, et arrêté. Il est accusé de trafic sexuel avec violence, de racket et de «création d’une entreprise criminelle dans laquelle il a abusé, menacé et contraint des femmes et d’autres personnes de son entourage à satisfaire ses désirs sexuels, à protéger sa réputation et à dissimuler sa conduite». Il plaide non coupable. La liberté sous caution lui est refusée à deux reprises.
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A l’heure qu’il est, Combs attend son procès en détention fédérale au Metropolitan Detention Center de Brooklyn. Il fait l’objet d’une surveillance anti-suicide.
L’affaire Rodney Jones
Un épisode manque à la liste ci-dessus, et qui est intéressant car il commence à dévoiler le contexte dans lequel s’inscrivent les activités de M. Combs, ainsi que l’impunité dont il semble avoir profité pendant longtemps.
Rodney «Lil Rod» Jones, un producteur ayant travaillé avec Combs, a vécu et voyagé avec ce dernier de septembre 2022 à novembre 2023. A l’époque, ils travaillent ensemble sur l’album sorti en 2023 et intitulé The Love Album: Off the Grid. En février 2024, Jones poursuit Combs pour agression sexuelle et participation à du trafic sexuel.
Le texte intégral de la plainte, déposée auprès du tribunal pour le district sud de New York, et qui comporte 73 pages, est extrêmement révélateur sur la nature sordide des agissements dont M. Combs est accusé:
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Rodney Jones prétend avoir des heures d’enregistrement vidéo et audio de Sean Combs et de son personnel «se livrant à de graves activités illégales».
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La plainte accuse également Justin Combs, le fils adulte de Sean, d’être son complice.
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Combs aurait forcé Jones à lui fournir des prostitué(e)s, aurait fait pression sur lui pour qu’il se livre à des actes sexuels non désirés, et aurait subrepticement drogué des boissons alcoolisées distribuées lors de fêtes organisées chez lui.
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La plainte comporte des photos de réunions organisées au domicile de Combs, auxquelles participaient des mineures et des prostituées, et dont certaines auraient reçu des boissons additionnées de drogues sur l’ordre de Combs.
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Jones déclare que Sean Combs s’est vanté à de nombreuses reprises de s’être tiré d’affaire alors qu’il avait tiré sur des gens, et d’être effectivement le responsable de la fusillade en 1999 avec le rappeur Shyne (Jamal Barrow), alors qu’un jury l’avait acquitté tout en condamnant Barrow à 10 ans de prison.
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Jones déclare dans sa plainte qu’il pense que Combs l’a également drogué le 2 février 2023. Il affirme s’être réveillé nu, étourdi et confus dans un lit où se trouvaient Combs et deux prostituées.
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Jones indique que M. Combs a toujours affirmé disposer d’un immense pouvoir dans l’industrie musicale, et auprès des forces de l’ordre.
En plus de Sean Combs, de son fils Justin et de certains de ses employés, la plainte accuse également Universal Music Group et un grand nombre de célébrités. Tous auraient profité financièrement des crimes de Combs, et auraient commis du trafic d’influence pour aider leur complice à se tirer d’affaire.
Dans cette liste de célébrités accusées, un nom ressort en particulier: celui du «prince» Harry.
Dans la mesure où les liens entre la famille «royale» britannique et des pédocriminels notoires tels Jimmy Savile (confident probable du «roi» Charles) et Jeffrey Epstein (complice présumé du «prince» Andrew), ce lien entre Sean Combs et un énième membre de cette même famille s’inscrit peut-être dans une sorte de continuité.
Soupçons de pédocriminalité
Au-delà des allégations de violences, d’agressions sexuelles, et de traite d’êtres humains, c’est la question de la pédophilie qui se retrouve en filigrane derrière ces différentes affaires.
Pour l’heure, Sean Combs n’est pas formellement inculpé de pédocriminalité; pourtant, des doutes existent sur les relations qu’il aurait entretenues avec des mineurs dont il avait la charge. Deux exemples se distinguent particulièrement.
Usher
Usher Raymond IV (né le 14 octobre 1978) est un chanteur, auteur-compositeur et danseur américain. Il est reconnu comme une figure influente de la musique R&B et pop contemporaine.
À l’âge de 13 ans, Usher a été envoyé vivre chez Sean Combs. Dans une interview réalisée par le magazine Rolling Stones en 2004, il raconte avoir été témoin d’orgies:
[…] en 1994 [il] est arrivé à New York, là où Los Angeles l’a envoyé pour se créer une image et produire un album avec Puff Daddy. «Les jours les plus difficiles de ma vie», dit-il. «J’ai dû me serrer les coudes, me débrouiller tout seul à New York». On l’appelait Baby Huey, et il était le plus jeune membre du groupe Bad Boy. «Puff m’a fait découvrir des choses totalement différentes – le sexe, en particulier», explique Usher. «Le sexe est très en vogue dans l’industrie, mec.» Lorsqu’il était à New York, il vivait dans la maison de Puffy à Scarsdale. «Il y avait toujours des filles autour. On ouvrait une porte et on voyait quelqu’un en train de baiser, ou plusieurs personnes dans une pièce en train de faire une orgie. On ne savait jamais ce qui allait se passer».
Dans une interview d’Usher datant de 2018 et réalisée dans le cadre du Howard Stern Show, lorsqu’en parlant des orgies qui s’y déroulent l’animateur lui demande s’il enverrait ses enfants au Flavor Camp (l’euphémisme désignant la maison de Combs), Usher répond par un «absolument pas!» (hell, no!) catégorique.
L’ancien garde du corps de Sean Combs, Gene Deal, a accusé Combs dans une interview réalisée au printemps 2024 de s’être livré à du «grooming» sexuel avec Usher, et indique qu’une situation entre eux a obligé Usher à être hospitalisé; il refuse toutefois de rentrer dans les détails, en disant que c’est une question sensible. La vidéo de l’interview se trouve encore sur Youtube.
Depuis l’inculpation de Sean Combs, Usher a supprimé tous ses Tweets et maintient le silence sur l’affaire. Il a justifié la suppression de ses Tweets en déclarant que son compte «avait été piraté».
Justin Bieber
Justin Drew Bieber (né le 1er mars 1994) est un chanteur canadien. Il est considéré comme une icône de la chanson populaire anglo-saxonne. Il a été présenté à Sean Combs par Usher alors qu’il était adolescent.
Plusieurs vidéos ont refait surface récemment, qui ont porté certains à soupçonner qu’une relation de type «grooming sexuel» aurait également pu avoir lieu.
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Le New York Post s’est fait l’écho récemment d’une vidéo que le journal qualifie de sordide, dans laquelle Sean Combs indique qu’il s’apprête à «passer 48 heures avec Justin Bieber», qu’il ne peut pas révéler ce qu’ils vont faire mais que même s’il n’a pas la «tutelle légale de Bieber», ce sera «le rêve d’un ado de 15 ans».
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Une autre vidéo présentant une interaction entre Sean Combs et Justin Bieber adolescent est récemment devenue virale sur les réseaux sociaux; partagée sous l’appellation de «dérangeante», Bieber y apparaît manifestement mal à l’aise, et Combs se plaint de ne plus avoir autant de contacts avec lui qu’auparavant.
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Une autre courte vidéo a refait surface, virale elle aussi, et prise lors d’une fête organisée par Sean Combs. On y voit Justin Bieber adolescent agenouillé devant Odell Beckham se faire relever précipitamment par ce dernier lorsqu’il s’aperçoit qu’ils sont filmés. Le soupçon en l’occurrence est que Bieber aurait été en train de pratiquer une fellation à Ordell en présence de Sean Combs.
Tout comme Usher, Bieber est resté muet au sujet des accusations à caractère sexuel portées contre Combs. Le magazine américain Forbes le cite en compagnie de nombreuses autres célébrités américaines, dont Jay-Z, Naomi Campbell, Ahston Cutcher, Lil’ Kim et Jennifer Lopez qui se distinguent par leur silence, et dont certaines ont supprimé tous les messages sur les réseaux sociaux faisant référence à Sean Combs.
Autres témoins
Outre le faisceau d’indices qui précède, deux témoins se sont manifestés cette année, avant l’arrestation récente de Combs, en apportant du poids à l’idée que les accusations judiciaires actuelles contre Combs ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.
Tout d’abord, une certaine Jaguar Wright, qui semble bien connaître Sean Combs et ses soirées orgiaques. Son interview se trouve ici. Ensuite Gene Deal, ancien garde du corps de Combs, qui relate plus en longueur que dans l’extrait mentionné ci-avant ce dont il a été témoin.
Mais c’est surtout depuis l’arrestation du mois de septembre que les accusations se sont multipliées. En particulier, l’avocat texan Tony Buzbee a annoncé dans une conférence de presse qu’il représenterait 120 victimes de Combs dans plusieurs procédures et de nombreux États américains.
Dans ses déclarations, l’avocat dit notamment que les noms des complices sera «choquante», et que la plus jeune des victimes qu’il représente avait seulement 9 ans lorsqu’elle aurait été violée par Combs.
Hip-hop américain: un rappel historique
L’affaire qui défraie la chronique en ce moment ne peut pas être véritablement comprise sans saisir le contexte dans lequel elle s’inscrit. En effet, la scène hip-hop américaine est caractérisée par la promotion d’un style de vie de gangster.
Or il se trouve que cela ne relève très vraisemblablement pas d’un phénomène spontané. On découvre en effet les mêmes protagonistes derrière cette industrie de divertissement et derrière l’industrie hautement lucrative des prisons privées américaines.
Concernant les crimes à caractère sexuel, des figures de proue de la scène hip-hop des années 70, 80 et 90, telles qu’Afrika Bambaataa, bien que sujettes à des allégations accablantes de viols d’enfants et de trafic sexuel, ont été maintenues à l’écart des prisons, sont demeurées intouchables, et ont été autorisées à poursuivre leur néfaste influence sur l’esprit d’une génération.
De nouveau, il ne s’agirait pas là de l’œuvre du hasard: un ancien agent de la CIA, John Hameston, a en effet révélé que l’industrie du hip-hop a été infiltrée dans les années 80 par son employeur, et utilisée à des fins de propagande auprès de la jeunesse noire américaine pour promouvoir la consommation de drogues et un style de vie criminel.
Notre mission était d’utiliser l’angoisse des adolescents à notre avantage et de transformer la génération X en une culture décadente, pro-drogue et anti-establishment qui créerait des soulèvements et accentuerait les divisions au sein de la société. Nous avons même infiltré les radios grand public pour promouvoir leur musique et toucher des millions de personnes chaque jour.
Pour beaucoup d’entre nous à la CIA, l’infiltration de la scène hip-hop des années 1980 a été l’une des expériences de propagande les plus réussies de la CIA à ce jour.
Dans cet entretien, Hameston allègue également que Lyor Cohen, communément surnommé dans l’industrie «le grand Israélien» (tall Israeli), qui depuis plus de 30 ans est un producteur et magnat de la scène hip-hop américaine dont le rôle a été fondamental pour développer ce qu’elle est devenue, est un agent de la CIA.
Bien qu’un tel comportement de la CIA ne soit pas encore directement prouvé aux USA, l’agence de renseignement américaine s’est ouvertement félicitée d’avoir secrètement infiltré la scène hip-hop à Cuba pour y promouvoir «la démocratie et les droits de l’homme». On peut donc dire au minimum qu’utiliser la musique pour influencer les esprits est quelque chose qu’elle sait faire.
Divertissement et complexe industriel pénitentiaire
Les États-Unis battent tous les records en matière de population carcérale. Un adulte sur 108 est en prison, soit 2.3 millions de prisonniers en tout. Sur ce total, près de 10% se trouvent dans une des nombreuses prisons privées du pays, autrement appelées les «prisons à but lucratif». Entre elles, ces entreprises représentent ce qu’on appelle le complexe industriel carcéral.
CoreCivic, anciennement connu sous le nom de CCA (Corrections Corporations of America), a obtenu son premier contrat fédéral en 1983 et a rapidement commencé à acquérir des contrats dans tout le pays pour gérer à titre privé des prisons d’État. Désormais, l’entreprise construit ses propres prisons et est la plus grosse entreprise de prisons privées du pays.
Son succès est dû à l’accroissement considérable de la population carcérale aux États-Unis depuis le début des années 1980, et à ses stratégies audacieuses, comme celle qui consiste à traiter directement avec les comtés lorsque les lois d’un État américain limitent le nombre de prisons qu’ils peuvent construire, ou comme d’exiger contractuellement des taux garantis d’occupation minimale des prisons.
Or les deux principaux actionnaires de CoreCivic sont, et de loin, BlackRock et Vanguard, qui contrôlent également dans une large mesure les entreprises Warner Records, Universal Music Group, and Sony Music Group, qui produisent 90% des morceaux de hip-hop qui sortent dans le pays. En d’autres termes, les propriétaires des prisons privées aux États-Unis sont également propriétaires de l’industrie du hip-hop.
Existerait-il donc un conflit d’intérêt? Peut-on imaginer que les mêmes protagonistes promeuvent un style de vie criminel d’une part, pour mieux incarcérer d’autre part?
C’est ce qu’un lanceur d’alerte a directement allégué via le site hiphopisread.com, une nouvelle dont certains médias se sont fait le relai à l’époque où elle est sortie.
Le cas Afrika Bambaataa
Lance Taylor (né le 17 avril 1957), également connu sous le nom d’Afrika Bambaataa, est un DJ, rappeur et producteur de disques américain originaire du South Bronx, à New York. Il est connu pour avoir joué un rôle fondamental dans le développement et la propagation de la culture hip-hop aux États-Unis et dans le monde dès les années 80.
Le parallèle avec Sean Combs est emblématique: Bambaataa, fondateur et président jusqu’en 2016 de l’organisation Universal Zulu Nation, est un pilier international de la culture hip-hop. Or il a été accusé de prédation sexuelle, traite d’êtres humains, et pédocriminalité, qu’il aurait commis en toute impunité depuis les années 1970. Nous retraçons brièvement ci-dessous la chronologie de ce scandale, dont peu de gens ont entendu parler.
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En avril 2016, Ronald Savage accuse Afrika Bambaataa de l’avoir agressé sexuellement au début des années 80, alors qu’il avait 15 ans.
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Une semaine après ces accusations, Bambaataa réagit en les niant. Il déclare que «les allégations sont sans fondement et constituent une tentative lâche de ternir ma réputation et mon héritage dans le hip-hop».
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A la même occasion, son organisation Universal Zulu Nation défend son chef en affirmant que ces accusations s’inscrivent dans le cadre d’une «attaque médiatique parrainée par le gouvernement américain». Elle ajoute qu’il s’agit d’une «continuation de la campagne HIP HOP COINTELPRO menée depuis des décennies pour discréditer et détruire» l’organisation.
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Dans la foulée de ces premières accusations, d’autres hommes se manifestent, et accusent Bambaataa de les avoir également violés.
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L’un des accusateurs qui se fait connaître publiquement s’appelle Hassan «Poppy» Campbell. Il accuse Bambaataa de l’avoir violé alors qu’il était enfant, à la fin des années 80. Il affirme aussi en avoir parlé en 2015 directement à Bambaataa et à Universal Zulu Nation. Au cours de cette réunion, Bambaataa aurait reconnu les faits, présenté ses excuses à Campbell, et promis de suivre une thérapie, ouvrir un centre pour les jeunes en difficulté et démissionner de la Zulu Nation.
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Campbell indique par suite que Bambaataa n’a pas tenu sa promesse, que «c’est un manipulateur et un menteur», et qu’il attendait simplement que le «chaos se dissipe pour qu’il puisse retourner dans son trou sombre et miteux et reprendre ses vieilles habitudes.» Selon Campbell, il faut que Bambaataa «dépose les bonbons et laisse partir les petits garçons».
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Malgré cela, Universal Zulu Nation reste fidèle à son fondateur. L’organisation qualifie Campbell de «menteur et d’informateur de la police payé par le gouvernement».
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Campbell surenchérit: dans une vidéo publiée sur Youtube, il accuse Bambaataa d’être un pédophile et d’avoir violé des centaines d’enfants dans le quartier du Bronx, dont certains se sont suicidés. Il accuse des personnalités du quartier d’avoir contribué à passer ces crimes sous silence. Hassan mentionne aussi que Bambaataa a commencé à participer à des rituels à caractère pédocriminel dès lors qu’il est entré dans l’industrie musicale.
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C’est ensuite l’ancien garde du corps de Bambaata, Shamsideen Shariyf Ali Bey, qui l’accuse à son tour d’avoir violé «des centaines de garçons». Il dit l’avoir surpris en flagrant délit.
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C’est ensuite le rappeur Mel Melle, qui lors d’une interview indique que les accusations portées contre Bambaataa sont véridiques, que «tout le monde le savait» et que c’est «le secret le mieux gardé du hip-hop».
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Le 6 mai 2016, Bambaataa quitte officiellement ses fonctions à la tête de l’Universal Zulu Nation. Un mois plus tard, l’organisation publie une lettre ouverte reconnaissant les faits et présentant ses excuses aux victimes.
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Dès 2021, les médias de masse commencent à relater l’affaire. Des articles publiés en 2021 par le Guardian et le Daily Beast informent le public que Bambaataa se serait rendu coupable dans les années 1990 de viols et de trafic d’enfants.
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En août 2021, une victime qui souhaite garder l’anonymat intente un procès contre Bambaataa, l’accusant de l’avoir soumis à un trafic sexuel alors qu’il n’avait que 12 ans.
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Dans un article subséquent, au sujet de ce procès qui démarre le 1er novembre 2021, le journaliste souligne que les hommes victimes de crimes sexuels sont accablés par la stigmatisation et la honte, surtout s’ils sont hétérosexuels, et que Zulu Nation emploie l’intimidation pour réduire les victimes au silence. L’article inclut un enregistrement de l’ex porte-parole de Zulu Nation, Tony Bell, dans lequel il parle des menaces de mort reçues après avoir dénoncé Bambaataa. Or trois semaines après l’enregistrement, Tony Bell est assassiné. Son assassin, Taleeb Paige, condamné à 30 ans de prison, n’a aucun lien connu avec Zulu Nation ou Bambaataa, mais le journaliste indique que cet assassinat a effrayé les victimes présumées de Bambaataa.
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En août 2024, Ronald Savage revient sur ses déclarations de 2016. Il affirme que Bambaataa n’est tout compte fait «pas un pédophile», que toutes les relations sexuelles entre eux étaient consenties, et que Bambaataa croyait qu’il était majeur car il lui aurait présenté une «fausse pièce d’identité».
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À l’heure qu’il est, le procès intenté en 2021 n’est toujours pas conclu. En mars 2024, le plaignant anonyme exhorte le juge à trancher l’affaire vieille de 3 ans. Dans son courrier, il insinue que l’affaire est volontairement retardée et mise de côté.
Lettre ouverte de la Universal Zulu Nation
Nous faisons figurer quelques extraits de la lettre d’excuses susmentionnée pour quatre raisons.
Primo, parce que la Universal Zulu Nation a joué et joue encore un rôle fondamental dans le développement de la culture hip-hop dans le monde. La façon dont elle a couvert les crimes de son fondateur et intimidé ses victimes reflète donc certainement une tendance plus large.
Secundo, parce que la lettre contient la mention du fait que le viol et la prédation sexuelle d’enfants est un phénomène qui dépasse largement le cadre de cette organisation; en filigrane, on comprend que c’est toute l’industrie du divertissement qui serait infectée.
Tertio, parce que l’organisation indique qu’à son avis, la solution au problème (dont elle a été complice) est «l’éducation à la sexualité, à l’orientation sexuelle, à l’exploitation sexuelle et à la violence domestique, dispensée par des experts». Autrement dit, ce sont les enfants qui doivent être sensibilisés et éduqués aux diverses déviances qui existent, plutôt que les prédateurs qui doivent être mis hors d’état de nuire. Le lettre ne fait aucune référence à une quelconque sévérité pénale; c’est presque comme si la pédocriminalité était un phénomène de société au sujet duquel il faudrait développer une espèce de tolérance.
Et finalement, parce que cette lettre et son contenu ont largement été passés sous silence. Aucun média de masse n’en a fait état; et aucun journal ou média n’en a rappelé l’existence dans le contexte de l’affaire Sean Combs qui pourtant défraie la chronique en ce moment, alors que les ressemblances entre ces différentes affaires est manifeste.
[…] Nous présentons également nos excuses à Ronald «Bee-Stinger» Savage et Hassan «Poppy» Campbell, qui ont fait l’objet d’attaques injustes et inexcusables contre leur personnalité dans des déclarations officielles de notre organisation alors qu’ils avaient choisi de dire leur vérité – nous vous entendons, nous vous croyons et nous sommes à vos côtés. En outre, nous reconnaissons l’impact négatif de la réponse de notre organisation sur les survivants d’exploitation et d’agression sexuelles partout dans le monde, en particulier au sein des communautés que nous appelons nos foyers; nous devons faire partie de la solution, et non du problème, et les déclarations et actions précédentes des anciens dirigeants n’ont pas été à la hauteur de cette promesse. […]
Nous souhaitons à présent exprimer clairement le consensus de la Universal Zulu Nation – nos membres du monde entier s’expriment à travers nous en déclarant que nous nous opposons sans équivoque au viol des enfants, à l’exploitation sexuelle et/ou à la violence sous quelque forme que ce soit. En outre, nous nous opposons à la dissimulation des agressions et à la protection des agresseurs, quels qu’ils soient et quel que soit leur statut. En outre, nous nous opposons au recours à la diffamation, à l’intimidation ou à toute autre tentative de coercition visant à réduire au silence ou à manipuler les accusateurs et les autres personnes susceptibles de parler en leur faveur.
Alors que nous nous attaquons au grave problème du viol des enfants, nous reconnaissons que ce problème dépasse notre organisation et mérite l’attention de l’ensemble de nos sociétés, et nous appelons nos communautés à s’associer activement à cette cause. Nous demandons que l’éducation à la sexualité, à l’orientation sexuelle, à l’exploitation sexuelle et à la violence domestique, dispensée par des experts, soit une priorité. En outre, nous appelons les communautés à s’informer sur la culture du viol et à s’y attaquer de manière proactive; nous réalisons que nous avons été coupables d’acquiescer à des normes culturelles qui mettent implicitement en danger les enfants et les membres adultes de la société au quotidien et nous demandons à nos communautés de partager notre engagement à faire évoluer ce paradigme dans un sens plus favorable […].
Conclusion
Dans cet article pourtant déjà long, nous n’avons fait qu’effleurer le sujet. Par souci de concision, certaines informations ont été omises, comme par exemple la mention de Faheed Muhammad dans la plainte de Rodney Jones contre Sean Combs; cela demanderait un article à part entière, car selon Jones, Combs se serait appuyé sur Faheed Muhammad «en cas de problème avec la police», et ce serait lui qui aurait évité les poursuites à Justin Combs quand il a tiré sur quelqu’un.
Or Faheed Muhammad était le responsable de la sécurité de Michael Jackson, présent lors de sa mort, et deuxième personne à arriver sur la scène du crime après le médecin Conrad Murray (condamné pour homicide involontaire de M. Jackson). Vu les conditions troubles de la mort de Jackson, et l’impunité dont Combs semble avoir profité pendant longtemps, cette piste est donc sans aucun doute passionnante.
De façon générale, nous n’avons pas décrit le réseau qui gravit autour de Sean Combs, nous ne nous sommes pas plongés dans la biographie détaillée des piliers de la scène hip-hop américaine, et nous n’avons pas traité de nombreuses autres affaires de viols, meurtres et morts suspectes qui ont égrené l’actualité du hip-hop au fil des décennies.
Nous n’avons pas non plus décrit la nature de la guerre psychologique, et la manière dont certains ténors de cette industrie utilisent la musique pour empoisonner l’esprit des jeunes. Il existe pourtant beaucoup d’artistes eux-mêmes qui en parlent, et de nombreux livres ont été écrits sur le sujet.
Tout de même, en replaçant les événements actuels autour de Sean Combs dans le contexte de l’histoire du hip-hop américain, on brosse un portrait plus large. On explique l’implication des services de renseignement, du système carcéral privé, des entreprises multinationales telles BlackRock et Vanguard, et on tisse un lien autour de la traite d’êtres humains; qu’il s’agisse d’incarcération ou de trafic sexuel.
Bon.
Je n’ai fait que survoler cet article qui me met mal à l’aise.
Le problème qu’il soulève est celui de comment délimiter espace public, espace privé et intime dans un monde dont les valeurs judéo-chrétiennes s’éclipsent au profit d’une religion d’état qui privilégie la justice avec une majuscule pour résoudre des problèmes qui relèvent, ou devraient relever de la sphère privée.
Le problème est également notre effacement en tant que personnes singulières, dignes, au profit des types, des catégories en tous genres qui nous agglutinent dans la masse.
Il est intéressant de savoir que dans son autobiographie, Barbara Hendricks, Noire américaine cantatrice d’opéra d’un certain âge, née dans le Sud des U.S., et fille de pasteur protestant, décrit l’opposition de son père à son entrée dans une université américaine du Nord pour étudier la musique. C’était dans les années ’50, je crois.
Le père de Barbara Hendricks avait son idée sur l’ambiance d’une université américaine (mixte) dans le Nord. Il pressentait, à juste titre, que sa fille subirait des pressions importantes pour être… sexuellement “libre”. Déjà en 1950, les femmes à l’université étaient poussées à être.. libertines, c’est bien ça, le mot. Non pas “libre”, mais libertine. Une des pratiques du libertinage est bel et bien l’orgie. Est-on “libre” quand on est “libertine”, ou poussée à l’être ? J’aurais tendance à dire que je ne vois pas comment un tel… impératif pour être “libre” pourrait être concilié avec une réelle liberté.
Mon père dans les années ’50… profitait du libertinage de certaines femmes à l’université du Nord. Sans doute se disaient-elles qu’elles étaient.. libres dans leur libertinage. Ce discours est toujours avec nous, d’ailleurs.
Et moi-même, dans les années ’70, j’ai subi d’importantes pressions pour être libertine à l’UNIVERSITE américaine. Ces pressions n’étaient pas le simple fait d’hommes désirant coucher un soir avec une femme. Ces pressions émanaient et émanent encore d’une société qui confond “libre” et “libertin”, et encourage ses membres à le faire. Il y a un parti pris idéologique, un préjugé qu’une personne intelligente est une personne SOPHISTIQUEE, et une personne sophistiquée est.. forcément libertine.
Ces préjugés remontent… aux Lumières, et au-delà, à Rome, la scène d’orgies, d’excès en tous genres où les enfants payaient le prix d’une société en grand état de confusion sur la nature de la liberté.
La justice va-t-elle venir à bout de notre très grand désordre et confusion ?
J’en doute. Elle est le fait d’hommes et de femmes, et elle supporte déjà trop le poids de notre idéalisation.
Excellent travail d’investigation. Il n’y a rien de comparable sur l’Internet francophone.
Ce lien avec le chef de la sécurité est très intéressant. Je me souviens avoir entendu parler de la connexion avec Faheem Muhammad. Sans savoir ce qu’il faut chercher et en utilisant les bons mots-clés, il semble que les informations en ligne sur Faheem Muhammad soient devenues plus difficiles à trouver qu’au début de cette année.
Les enregistrements officiels du témoignage de Faheem Muhammad lors des procès de 2011 sur la mort de MJ, qui ont abouti à la condamnation du médecin pour homicide involontaire, sont toujours disponibles sur Youtube. Les biographies indiquent que Muhammad est diplômé de l’université d’État de Sacramento en 2008, avec une licence en administration des affaires, y compris l’immobilier et le marketing. On se demande comment un tel homme a pu devenir le chef de la sécurité du roi de la pop, décédé 2009 un an plus tard.
Peu après que R. Jones a intenté son procès au début de l’année 2024, des personnes bien intentionnées, comme la personne dans la vidéo sur Twitter, ont attiré l’attention sur Faheem Muhammad et ses relations. Je dois souligner que la biographie de Muhammad présentée dans cette vidéo semble être devenue très difficile à trouver.
Par exemple, son invitation en tant qu’orateur d’honneur à l’événement immobilier de Wharton, publiée sur le site web de PennAlumni. L’événement auquel Muhammad a participé en tant qu’orateur, y compris sa biographie, peut toujours être trouvé sur le site officiel de la Wharton School. https://web.archive.org/web/20240423172541/https://www.whartonsocal.com/wharton_club_of_southern_california_and_penn_club_of_la_real_estate_entrepreneurship_panel_tues_oct_25_6pm_pdt
Le type dans la vidéo affirme que la Wharton School est connue pour ses liens avec les agences de renseignement et les personnes associées à la C.I.A et au F.B.I. Si Muhammad est un atout des agences de renseignement, il serait logique que dans l’affaire P.Diddy, son personnel ait reçu l’instruction de toujours contacter Faheem Muhammad en cas de problème avec la police.
Cet article de Forbes est également intéressant. Il parle de sa société d’investissement immobilier appelée Oasis. Cependant, ce site n’existe plus. Le message d’erreur indique : ce domaine n’est pas encore connecté à un site web. Il est suspect qu’une telle société, qui « s’enorgueillit d’un portefeuille immobilier de 10 millions de dollars en seulement deux ans » (citation de l’article de Forbes), disparaisse soudainement. https://web.archive.org/web/20230511095546/https://www.forbes.com/sites/yolandabaruch/2023/05/03/oasis-an-invest-development-firm–teaches-young-men-and-women-in-chicago-about-real-estate/
Peut-être s’agit-il en fait d’une organisation de façade pour des agences de renseignement?