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L’ombre des scandales : quand la culture dicte le verdict public

L'affaire Brigitte Macron soulève la question de l'origine des rebuffades populaires dans le monde

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Chronique d’Isabelle Alexandrine Bourgeois pour Essentiel News, journaliste et fondatrice du média en ligne Planète Vagabonde

L’affaire « Brigitte Macron », qui repose sur une manipulation d’identité présumée d’une ampleur inédite en France, est solidement cadenassée malgré le sérieux de l’enquête du journaliste d’investigation Xavier Poussard et la mise en jeu de la crédibilité de la journaliste-star américaine Candace Owens. Cette omerta médiatique et l’absence de réaction populaire soulèvent la question du rôle de la culture et des conditionnements dans la destitution ou non d’une personnalité politique.

Pour tenter de comprendre pourquoi la presse française se désintéresse de cette affaire qui tient pourtant du « scandale du siècle » avec le jackpot qui va avec, il est intéressant de souligner la spécificité culturelle des peuples plus ou moins sensibles aux baffes qu’on leur donne. Avant de revenir sur la « saga Brigitte », je vous propose un petit tour d’horizon mondial des intolérances à la corruption.

Indices de sensibilité régionale

Lorsqu’un dirigeant tombe sous le poids d’un scandale, la sentence de l’opinion publique varie considérablement selon les latitudes. À l’heure où l’information circule à la vitesse d’un éclair et où les accusations se répandent comme une traînée de poudre, la manière dont une société réagit aux fautes de ses élites en dit long sur ses valeurs et ses priorités.

De l’Europe à l’Amérique, en passant par l’Asie et l’Afrique, la tolérance aux scandales politiques est un prisme révélateur des sensibilités culturelles. Parallèlement au facteur culturel, les peuples, à travers le monde, ont vu leur rapport à l’autorité évoluer profondément. Ce qui était jadis une propension naturelle à la contestation et à la révolte a progressivement laissé place à une acceptation de plus en plus passive des décisions gouvernementales.

Ce phénomène trouve ses racines dans des mutations sociologiques, technologiques et politiques majeures qui, en l’espace d’un siècle, ont transformé la capacité des citoyens à remettre en question le pouvoir. Cas d’école de la « mollesse citoyenne », le « dossier Brigitte » est un mode d’emploi pour les stagiaires en communication et politique: comment ajuster sensibilité culturelle et exposition à l’endoctrinement par doses homéopathiques.

Dans le cadre de cette analyse, j’ai retenu deux critères permettant de mettre en lumière les différences de perception et d’impact de scandales politiques dans différentes régions du monde : les détournements de fonds et les scandales sexuels.

Les détournements de fonds
Dès lors qu’un détournement de fonds est avéré, dans certains pays plus que d’autres, la chute d’un élu est presque inévitable. Dans les pays occidentaux, notamment en Europe et en Amérique du Nord, les affaires de corruption financière ont toujours provoqué un séisme politique, même si depuis quelques années, ces séismes se réduisent à des répliques qui ne secouent plus personne. Nous verrons pourquoi en fin d’article.

Aux États-Unis, en 1974, l’affaire du Watergate avait précipité Richard Nixon hors de la Maison Blanche. En France, les années 1990 et 2000 ont été marquées par des scandales financiers et politiques à répétition (affaires Elf, Clearstream, Bygmalion, Cahuzac), renforçant l’idée que la classe dirigeante fonctionne en vase clos. Plus récemment, la Cour de cassation a rejeté les pourvois de Nicolas Sarkozy et rendu définitive la condamnation inédite de l’ancien chef de l’État pour corruption et trafic d’influence. Quant à François Fillon, ancien locataire de Matignon, la Cour de cassation a définitivement validé sa condamnation en appel dans l’affaire des emplois fictifs de sa femme Penelope à l’Assemblée nationale. L’Italie, elle, a montré plus d’entrain pour la révolte. L’opération Mains propres (Mani pulite) au début des années 1990 a été un moment clé dans l’histoire italienne de la lutte contre la corruption politique.

En Asie, la corruption est plus tolérée si elle ne nuit pas à la stabilité nationale. Bien que démocratiques, certains pays ont connu des scandales de corruption impliquant des dirigeants de haut rang. Les citoyens acceptent de se percevoir comme « des moutons que l’on tond pour sauver le troupeau » pour que le pays reste économiquement prospère.

Les pays ayant une forte culture démocratique et une société civile active, comme la Corée du Sud et les Philippines, connaissent des taux d’insurrection plus élevés. En Corée du Sud par exemple, la présidente Park Geun-hye a été impliquée en 2017 dans un scandale de corruption avec des conglomérats (chaebols) comme Samsung. Ce n’est que sous la pression médiatique et populaire que la justice est intervenue. Au Japon, plusieurs Premiers ministres ont été impliqués dans des affaires de financement illégal sans que cela ne provoque de mouvements de révolte massifs.

Le Japon a une culture fortement influencée par le confucianisme, qui met l’accent sur le respect des hiérarchies. De plus, après la Seconde guerre mondiale, les Japonais ont développé une méfiance à l’égard des troubles sociaux et politiques pouvant mener au chaos. En 2014, la Thaïlande connaît des mois de protestations sous le nom de « Shut Down Bangkok ». Des centaines de milliers de manifestants dénoncent la corruption du gouvernement de Yingluck Shinawatra, aboutissant à son renversement par un coup d’État militaire. À l’inverse, les régimes autoritaires comme la Chine et le Cambodge parviennent à éviter les renversements grâce à un contrôle strict de l’information et une canalisation constante des dissidences.

Un diagramme circulaire montrant la répartition des principales causes de soulèvements : inégalités économiques; demandes de démocratie; corruption; hausse du coût de la vie; revendications sociales

En Amérique du Sud, face aux abus du pouvoir, le peuple descend plus spontanément dans la rue, à grand renfort de banderoles, flûtes de pan ou casseroles et cuillères en métal. Quand ces malheureux ne sont pas instrumentalisés par des ingérences étrangères, comme ce fut le cas avec la destitution du président chilien Salvador Allende, renversé en 1973 par un coup d’État militaire mené par Augusto Pinochet avec le soutien de la CIA.

L’Afrique, elle, offre un tableau contrasté où la corruption est une plaie endémique. Nombreux sont les chefs d’État empêtrés dans des affaires de détournement de fonds, sans que cela ne les empêche de se maintenir au pouvoir. Jacob Zuma, ancien président sud-africain, a survécu à des accusations de corruption pendant des années avant d’être finalement contraint à la démission sous la pression populaire et judiciaire. Si la rue gronde souvent, la justice peine encore à traduire cette colère en sanctions effectives.

Au Burkina Faso, une insurrection populaire a forcé le président Blaise Compaoré à démissionner en 2014 après 27 ans au pouvoir. A Madagascar, des manifestations et des troubles politiques ont conduit au renversement du président Marc Ravalomanana. En Afrique, la dégringolade des hommes politiques vient de la rue. En Europe, elle vient de la presse, si la presse veut bien faire son travail. Le temps des barricades est révolu.

De manière générale, le nombre de mouvements de protestation dans le monde a plus que triplé entre 2006 et 2020. En 2020, le nombre annuel de mouvements de protestation a atteint son plus haut niveau depuis le début du 21e siècle. 54% des mouvements sociaux enregistrés étaient motivés par la perception d’un échec des systèmes politiques et de leur représentation. A ce stade, je n’ai pas trouvé de statistiques démontrant la corrélation entre le niveau de vie (PIB) et la capacité à se mobiliser contre le pouvoir dans un pays. On peut toutefois observer que l’absence de remise en question des « mesures sanitaires » pendant le Covid était symptomatique aux pays occidentaux où peu de citoyens sont prêts à perdre leur confort pour s’engager collectivement contre la peur et pour le respect des libertés individuelles.

Indice de sensibilité par région sur les scandales sexuels

Sur la question de la moralité, la réaction populaire varie aussi selon les façonnages culturels. Du Capitole américain au palais de l’Élysée, en passant par les mairies canadiennes, les affaires de mœurs sont encore étouffées ici, sous les feux des projecteurs médiatiques là, précipitant des carrières entières dans l’abîme.

Près de 84% des Américains jugent l’infidélité « moralement inacceptable », avec un impact électoral croissant : 46% refuseraient de voter pour un candidat ayant eu une liaison (contre 39% en 2007). A noter aussi un fossé partisan, puisque 57% des Républicains s’y opposent fermement, contre 42% des Démocrates.

Les affaires Clinton-Lewinsky (1998) et Petraeus (2012) ont déclenché des procédures judiciaires et médiatiques intenses, contraignant souvent à des démissions malgré l’absence de corruption financière. Rappelons-nous du cas David Petraeus. Ce militaire de haut rang, auréolé de ses succès en Irak et en Afghanistan, adulé comme un héros national, dirigeait la CIA depuis moins d’un an lorsqu’une liaison extraconjugale avec sa biographe, Paula Broadwell, éclate au grand jour. La chute de Petraeus symbolise la fragilité des icônes, la rapidité avec laquelle la gloire peut se transformer en déshonneur, si on n’a pas la chance d’avoir à ses côtés la presse comme bouclier.

En France, seulement 47% des Français considèrent l’infidélité comme moralement condamnable, le taux le plus bas parmi 39 pays étudiés (cf graphique). Peu étonnant lorsque l’on sait que ce pays est encore marqué par une culture du secret et une certaine indulgence pour la vie privée des élites. François Hollande avait pu survivre tranquillement aux révélations de ses escapades galantes : 77% des Français avaient estimé que l’affaire Hollande-Gayet (2014) relevait de la sphère privée. Les précédents de Mitterrand (affaire Mazarine) ou de Félix Faure, président décédé dans les bras de sa maîtresse en 1899, montrent une tolérance historique pour les liaisons extraconjugales des dirigeants ou pour leur vie intime en général.

Pour les Français, les débats se concentrent sur la corruption institutionnelle plutôt que sur les écarts de mœurs. Mais ce que les médias français ne semblent pas comprendre, c’est qu’en respectant la vie privée du président, ils pourraient bien se rendre complices actuellement d’une imposture qui remettrait en cause la légitimité même du couple présidentiel.

La récente affaire Gennaro Sangiuliano, en Italie, illustre en revanche la persistance des tourbillons médiatiques au-delà des Alpes. En septembre 2024, le ministre italien de la Culture, membre du gouvernement de Giorgia Meloni, est contraint à la démission après la révélation publique d’une liaison avec une influenceuse, Maria Rosaria Boccia. Si l’affaire Petraeus mettait en lumière les risques liés à la sécurité nationale, le cas Sangiuliano souligne l’importance de l’éthique et de la transparence dans la conduite des affaires publiques italiennes.

Du côté du Canada, John Tory, maire de Toronto, est emporté par la même vague dévastatrice. En 2023, il avoue une relation avec une collaboratrice de 37 ans sa cadette. Face au tollé médiatique et à la pression de l’opinion publique, le maire démissionne, reconnaissant avoir manqué à ses responsabilités envers les citoyens de Toronto.

En Amérique du Sud, la tolérance aux liaisons extraconjugales est à géométrie variable. Les pays d’Asie de l’Est (Japon, Corée, Singapour) sanctionnent davantage les délits financiers que les écarts moraux, comme le montre leur classement dans l’Indice de perception de la corruption. Les statistiques révèlent que les scandales financiers provoquent un rejet plus massif (63% d’impact négatif) que les affaires de mœurs sans abus de pouvoir (49%).

Quant au Moyen-Orient, les scandales sexuels, lorsqu’ils éclatent, prennent une dimension dramatique, tant ils entrent en contradiction avec des normes sociales rigoureuses. Une analyse sur 39 pays place, sans trop de surprise, la France en tête des pays qui s’en contrefichent.

Comment expliquer ces variations ?

Premièrement, l’imprégnation religieuse d’un peuple a un impact indiscutable sur sa réactivité aux affaires de mœurs. L’influence des valeurs judéo-chrétiennes aux États-Unis contraste avec la laïcité française. Deuxièmement, la médiatisation : le modèle anglo-saxon de « watchdog journalism » amplifie les scandales privés, contrairement au traitement plus sobre, voire étouffé, en Europe continentale. Aussi, la pression médiatique joue un rôle clé au Royaume-Uni et aux États-Unis, contrairement à la France où les procédures judiciaires sont plus longues.

Troisièmement, le levier politique du chantage sur le genre : en Amérique latine, 40% des candidates rapportent des violences politiques liées à des chantages sexuels. Enfin, il faut relever le niveau de développement démocratique. Les jeunes démocraties africaines par exemple priorisent la lutte contre la corruption économique, perçue comme plus menaçante pour la stabilité que les frasques sexuelles de leurs élus.

Cette diversité des réactions révèle une constante : la gravité d’un scandale ne dépend pas uniquement des faits reprochés, mais plutôt de la grille de lecture qu’en a une société. Chaque peuple a ses lignes rouges, ses indignations légitimes et ses pardons tacites. L’indice de perception de la malhonnêteté institutionnelle, qui mesure le degré de tolérance à la corruption et aux abus de pouvoir, met ainsi en évidence des disparités frappantes.

En résumé, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord se situent dans la tranche des nations où la transparence est exigée, tandis que l’Asie et l’Afrique, bien que de plus en plus sensibles aux questions de gouvernance, restent marquées par une acceptation relative de certaines pratiques. L’Amérique latine et le Moyen-Orient, quant à eux, oscillent entre révolte et résignation.

Les quatre ingrédients de la super glue « Brigitte » !

Revenons à l’enquête autour de la femme du président dont les moindres fuites sont colmatées avec de la super glue.

Ce que le dossier « Brigitte » offre de totalement inédit, c’est qu’il pourrait mêler mensonge d’État, corruption, chantage et scandale sexuel. Tout y est pour réaliser la série Netflix de tous les temps. Car cette intrigue, à en croire Xavier Poussard et Candace Owens, ne se limiterait pas à une affaire d’identité. Elle exposerait une structure de pouvoir corrompue, où la presse, la justice et les services secrets seraient mobilisés pour protéger un président sous l’influence d’un transgenre (Brigitte Marcon serait anciennement Jean-Michel Trogneux) dépourvu de légitimité populaire.

Le journal algérien El Watan a qualifié Macron de président manipulé, soulignant que Jean-Michel Trogneux influencerait la politique française sans avoir jamais été élu par le peuple. A ce sujet, nous vous invitons à découvrir notre article « Affaire Brigitte Macron : et si la France était «hackée» par des maîtres-chanteurs? »

Alors, pourquoi cette chape de plomb ? Pourquoi l’Élysée a-t-il verrouillé la moindre source, rendant toute vérification indépendante impossible ? Montrer une simple photo de Brigitte avec son supposé frère Jean-Michel Trogneux ferait pourtant taire en une seconde toutes les mauvaises langues et les rumeurs les plus folles.

Autre étrangeté : alors qu’il s’agirait d’un secret de Polichinelle pour beaucoup de représentants de l’élite française et internationale, personne ne parle. Pourquoi ? Et comment expliquer cette absence de curiosité populaire sur la légitimité d’un couple dont les décisions politiques mettent la France à genoux?

L’augmentation du seuil de tolérance des Français face aux abus du pouvoir est un phénomène complexe qui s’inscrit dans une évolution historique, sociale et politique. Depuis plusieurs décennies, la confiance des Français envers leurs élites politiques s’est profondément dégradée. Cette défiance ne s’est toutefois pas traduite par une réaction de rejet immédiat, mais plutôt par une forme de résignation face aux abus de pouvoir.

La Ve République, instaurée en 1958 par Charles de Gaulle, a donné à l’exécutif une place prépondérante, parfois perçue comme autoritaire. Depuis les années 1980, des affaires de corruption et des promesses non tenues ont progressivement sapé l’espoir d’un pouvoir réellement au service du peuple.

1.
Saturation ou silence médiatique

L’explosion des médias numériques et des chaînes d’information en continu a radicalement changé la perception des abus de pouvoir. Jadis, un scandale politique pouvait provoquer une onde de choc nationale ; aujourd’hui, il est rapidement noyé dans un flux constant de nouvelles crises qui se chassent les unes des autres.

Cette saturation médiatique a pour effet de diluer l’impact de chaque révélation dans une lassitude grandissante. Et plutôt que de provoquer une insurrection généralisée, l’accumulation de scandales alimente une forme d’accoutumance, où le cynisme remplace l’indignation. De plus, la multiplication des sources d’information crée une polarisation qui pousse certaines franges de la population à relativiser, voire à justifier, des abus qui devraient pourtant être dénoncés unanimement.

Dès l’arrivée d’Emmanuel Macron sur la scène politique, un véritable rempart médiatique s’est dressé autour de son épouse, rendant toute enquête impossible. À la manœuvre, Mimi Marchand, figure incontournable de la presse people et politique, a orchestré une vaste opération de communication pour imposer une image lisse et bienveillante de son amie Brigitte Macron. Articles élogieux, apparitions soigneusement mises en scène, photographies subtilement retouchées : tout a été savamment agencé pour détourner les regards des sujets embarrassants.

Mais le contrôle de l’information ne s’est pas arrêté à cette mise en scène. Lorsque des journalistes indépendants, comme Xavier Poussard, ont tenté d’explorer les zones d’ombre de cette histoire, la riposte a été immédiate. Natacha Rey, l’une des premières à dévoiler des éléments troublants, a subi des poursuites judiciaires et une pression implacable. Entre perquisitions, menaces judiciaires et harcèlement fiscal, les autorités ont multiplié les moyens pour dissuader ceux qui osaient poser les questions interdites.

Dans le même temps, les grands médias, largement soutenus par l’État, ont systématiquement tourné en dérision ces investigations, reléguant au rang de fantasmes toute tentative de mise en question du récit officiel.

En outre, Bernard Arnault, président-directeur général du groupe de luxe LVMH, possède plusieurs médias français influents dont Paris Match. Quant à Vincent Bolloré, à travers son groupe Bolloré et sa participation majoritaire dans Vivendi, il contrôle lui aussi un vaste empire médiatique. Il détient notamment les chaînes de télévision du groupe Canal+ (Canal+, C8, CNews, CStar), les stations de radio Europe 1 et RFM, ainsi que des magazines tels que Gala, Voici, Télé-Loisirs, Géo, Femme Actuelle, Capital et Le Journal du Dimanche.

Cette concentration des médias entre les mains de quelques industriels proches du pouvoir suscite des débats sur l’indépendance éditoriale et la pluralité de l’information en France.

2. La fragmentation des luttes sociales et la répression accrue

Historiquement, la France est un pays de contestation et de révolution. Cependant, depuis les années 2010, on observe une fragmentation des mouvements sociaux. La convergence des luttes, qui était une force motrice des grandes révoltes passées, peine à se concrétiser. Le mouvement des Gilets Jaunes (2018-2019) a mis en lumière un rejet massif des élites, mais il s’est également heurté à une répression policière sans précédent sous la Ve République.

L’intensification des techniques de maintien de l’ordre, la criminalisation des manifestations et le renforcement du pouvoir exécutif face aux contestations ont progressivement découragé une partie de la population, qui préfère s’abstenir plutôt que de risquer des violences ou des sanctions dignes d’un régime totalitaire.

L’acceptation de ces méthodes coercitives par une partie du public témoigne d’un changement dans la perception des abus d’autorité : au lieu d’y voir une atteinte aux droits fondamentaux, certains considèrent cela comme un mal nécessaire pour maintenir l’ordre.

3. Un changement des priorités sociétales

Un autre facteur clé réside dans l’évolution des préoccupations des Français, celles artificiellement mises en avant par les médias d’une part, et celles issues du réel d’autre part. La présumée «urgence climatique», les inégalités sociales et les questions identitaires ont pris le dessus sur les débats strictement politiques.

Les citoyens se battent désormais sur plusieurs fronts, rendant la contestation généralisée plus difficile à organiser. La perte des repères, la confusion des genres et des causes neutralisent la capacité de discernement et la volonté de monter aux barricades. De plus, la montée de l’individualisme et la précarisation croissante ont affaibli la cohésion nécessaire à une opposition frontale au pouvoir.

4. Le désenchantement

Cette lassitude à s’engager pour sa dignité s’explique aussi par une forme de désenchantement des Français, désertés par leurs propres idéaux. Dès lors, comment nourrir un idéal commun ?

De 1990 à l’an 2000, l’augmentation des affaires politico-financières a créé une normalisation de la corruption. En 2005, la fracture entre le pouvoir et le peuple s’accentue avec le rejet du référendum sur la Constitution européenne, finalement contourné par le traité de Lisbonne en 2008. De 2015 à 2016, l’état d’urgence post-attentats (Bataclan, Charlie Hebdo, Nice) entraîne une restriction des libertés publiques, largement acceptée par la population sous prétexte de sécurité. De 2018 à 2019, la gestion du mouvement des Gilets Jaunes marque une rupture dans la répression des manifestations, perçue par certains comme légitime.

Enfin, la «crise sanitaire» du Covid-19 et les restrictions massives (couvre-feu, pass sanitaire, persécutions citoyennes) montrent une soumission accrue face à des mesures exceptionnelles adoptées par le gouvernement, même contraires aux droits humains les plus élémentaires.

Certes la pudeur, érigée en valeur, représente ordinairement une barrière saine. Néanmoins elle ne doit pas se muer en aveuglement face aux agissements de dirigeants qui ridiculisent leur peuple aux yeux du monde. L’accroissement de la tolérance des Français face aux abus du pouvoir est le résultat d’un long processus de désillusion, de saturation médiatique, de répression et de changement des priorités.

Si la France reste un pays familier de la contestation, celle-ci semble désormais plus diffuse, plus fragmentée et moins encline à renverser un système perçu comme gangréné en profondeur. Toutefois, l’histoire montre que cette résignation apparente peut être balayée du jour au lendemain par un événement catalyseur. A quand le sursaut salutaire ?