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Un malentendu à l’origine du projet suisse de relance du nucléaire

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En confondant pollution de surface et gaz à effet de serre, le mode de production énergétique le plus sale est désormais vendu comme le plus propre.

Article d’Icaros d’Essentiel News :

A l’issue d’un processus démarré après l’accident de Fukishma en 2011, le peuple suisse avait voté en 2017 en faveur de la nouvelle loi sur l’énergie, visant notamment à empêcher la construction de nouvelles centrales.

Or, à peine sept ans après ce résultat, le Conseil fédéral annonce vouloir revenir sur cette interdiction, citant un «changement de paradigme.»

Devant les médias à Berne, le ministre de l’Énergie Albert Rösti a exprimé cette intention la semaine dernière. En substance, il a justifié cette position en prétendant que le nucléaire était une énergie propre, c’est-à-dire la seule qui permette d’atteindre l’objectif «zéro émission net [de gaz carbonique] d’ici à 2050».

C’est dans le contexte de l’initiative «Stop au blackout», rejetée par le Conseil fédéral mercredi dernier, que cette évolution a lieu. Le Conseil fédéral compte en effet proposer un contre-projet, qui divergera certes sur la forme, mais pas sur le fond. Il s’agit toujours d’assurer «la sécurité de l’approvisionnement en énergie» tout en considérant la question des émissions de gaz carbonique comme prioritaire et primordiale.

Ce changement de paradigme, qui consiste désormais à considérer l’énergie nucléaire comme propre alors qu’elle était encore désignée parmi les plus sales il y a moins d’une décennie, n’est pas dû à une révolution technologique.

Même si la presse s’est récemment faite l’écho de nouvelles technologies qui permettraient de construire de nouvelles mini-centrales qui recycleraient une partie des déchets, ces nouveaux réacteurs n’éliminent pas le problème du tout, ne sont pas la panacée que certains croient, et sont loin de remporter l’unanimité parmi les scientifiques.

La vérité, c’est que le renouveau récent de l’énergie nucléaire est dû à un changement de définition sur ce qui constitue une «énergie verte», et relève donc d’un malentendu.

Pollution de surface ou gaz à effet de serre

On distingue généralement deux catégories très différentes d’atteintes à l’environnement :

  • La pollution de surface. Il s’agit de la contamination des sols, des lacs, des rivières, des nappes phréatiques et des océans par des produits nocifs à la vie : métaux lourds, pesticides, herbicides, fongicides, polluants organiques persistants, perturbateurs endocriniens, polymères synthétiques, solvants, déchets industriels, composés organiques volatils, etc.
  • Les émissions de gaz à effet de serre. Principalement, il s’agit de gaz carbonique et de méthane, dont les modèles mathématiques modernes affirment qu’ils contribuent à un réchauffement de l’atmosphère, et donc à une modification du climat à terme.

Il est un cas où ces deux catégories d’atteintes à l’environnement divergent fortement, et il s’agit précisément du nucléaire. En effet, si on exclut l’extraction minière de l’uranium ainsi que la construction et le démantèlement des centrales, la fission de l’atome ne produit que chaleur et vapeur d’eau; elle est donc «propre» pour ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. En revanche, c’est de loin la pire en terme de pollution de surface, puisque les déchets qui subsistent représentent une menace pour la vie pendant des siècles.

La dialectique environnementale a donc subi un étonnant virage ces dix dernières années. En redéfinissant ce qui constitue de la pollution, et en détournant l’attention de l’opinion au profit des gaz à effet de serre, on arrive désormais à qualifier de propre le mode de production énergétique qui est en réalité le plus sale.

En tout état de cause, et qu’on adhère aux conclusions des modèles climatiques ou pas, on peut affirmer que de qualifier le gaz carbonique de «polluant» est trompeur. C’est, à la limite, un gaz à effet de serre; mais en aucun cas ne représente-t-il une menace directe aux écosystèmes.

Une tendance mondiale

Ce changement de définition, et ce revirement idéologique, dépasse largement le contexte suisse; il s’agit d’une véritable tendance mondiale.

Un des partisans les plus connus de l’énergie nucléaire est sans doute Elon Musk. Dans une interview en 2022, largement relayée par les médias institutionnels, le milliardaire a qualifié le démantèlement de centrales de «folie».

Le patron de SpaceX et de Tesla est en effet connu pour avoir à de maintes reprises désigné l’énergie nucléaire comme «la plus sûre de toutes», un argument nouveau et désormais souvent entendu, mais qui ne tient pas compte des effets à long terme sur la santé, qui sont très difficiles à comptabiliser, à fortiori lorsque la pollution de surface continue d’avoir lieu après le démantèlement des centrales.

Les partisans de l’énergie nucléaire omettent aussi souvent de rappeler que le problème du démantèlement est immense, d’un point de vue technique, financier et environnemental. Pour l’instant, on se contente de renouveler les autorisations d’exploitation, et de renvoyer le problème au lendemain.

Un autre partisan assidu de l’énergie nucléaire, qu’il présente comme une panacée pour «lutter contre le réchauffement climatique», est Bill Gates. Via son entreprise TerraPower, il annonce que ses «mini-centrales» représentent «les fondements de l’avenir énergétique de l’Amérique» et qu’elles constituent «un grand pas vers une énergie sûre, abondante et sans carbone.»

Ces deux milliardaires sont soutenus par le législateur américain, encouragé par le lobby nucléaire qui a complètement revu son positionnement commercial en insistant désormais sur le fait qu’il s’agit d’une énergie propre.

Cette position est également appuyée par le World Economic Forum (WEF), qui écrit en janvier 2024:

À l’échelle mondiale, l’énergie nucléaire joue également un rôle clé dans la transition vers le «net zéro». Les craintes suscitées par le nucléaire cèdent peu à peu la place à une compréhension fondée sur les faits. Cette année, pour la première fois, le document adopté lors de la COP a soutenu l’investissement dans l’énergie nucléaire parmi les technologies à faibles émissions.

Le changement de paradigme en faveur de l’énergie nucléaire a lieu en Europe également. En 2022, le parlement européen a approuvé un texte qui désigne l’énergie nucléaire comme «énergie verte.» Cette position a été confirmée en novembre 2023, lorsque le parlement européen a voté en faveur de l’inclusion du nucléaire parmi «les technologies vertes à soutenir.»

Cette décision, loin d’être anodine, marque un tournant dans la manière dont l’Europe envisage son mix énergétique.

Pour ce qui concerne la Chine, elle construit sans retenue. En dix ans, 37 nouvelles centrales ont été construites, portant l’inventaire chinois à 55 centrales au total. Le journal The Economist, détenu par les familles Agnelli et Rothschild, commente cela de la façon suivante:

D’une manière générale, l’énergie nucléaire n’émeut ni ne divise l’opinion publique chinoise comme elle le fait dans d’autres pays. […] C’est une bonne chose, car si la Chine veut éliminer progressivement le charbon et devenir neutre en carbone d’ici à 2060, elle aura besoin d’une source d’énergie qui lui permette de répondre de manière fiable à la demande de base (le niveau minimum d’énergie nécessaire pour faire fonctionner les choses). L’énergie éolienne et l’énergie solaire sont moins adaptées à cet objectif, car elles dépendent de la coopération de la nature. En revanche, le nucléaire fait l’affaire.

De nouveau, on constate que l’argument principal en faveur de l’énergie nucléaire est celui du dioxyde de carbone: le gaz naturel ou les autres combustibles dits «fossiles» ne sont même pas considérés; la seule dichotomie acceptable est celle qui oppose les panneaux solaires et les éoliennes aux centrales nucléaires.

Positions axiomatiques

Pour aborder la question environnementale avec rigueur, il convient de commencer par comprendre les contrevérités sur lesquelles elle repose. En résumé:

  • L’humanité n’est capable que de consommer et de produire des déchets; si on la laisse se multiplier de façon incontrôlée, elle détruit nécessairement son écosystème, comme des algues qui causent l’eutrophisation de leur plan d’eau lorsqu’elles prolifèrent. Cette position nie la capacité productive de l’humanité, qui la distingue nettement des règnes animal et végétal.
  • Les ressources naturelles sur Terre sont comptées et insuffisantes, et constituent le principal déterminant de prospérité. C’est ignorer que c’est la transformation des ressources naturelles qui est source de prospérité, et donc l’ingéniosité humaine. Un pays comme la Suisse ne dispose d’aucune ressource naturelle et pourtant est un exportateur net, y compris avec la Chine.
  • La pollution et le gaspillage sont des conséquences naturelles de la liberté et de la croissance économiques, et donc du désir des Hommes d’accroître leur confort de vie. Cette croyance ignore l’incommensurable gaspillage causé par la planification économique centrale et la manipulation des taux d’intérêt qu’elle implique; ce sont les banques centrales, via le système de crédit bon marché qu’elles régissent, qui sont responsables de ce gaspillage; c’est la croissance exponentielle du crédit qui est en cause, pas la croissance de la prospérité.
  • En criminalisant les pailles en plastique et les ampoules à incandescence, on agit de façon déterminante en faveur de l’environnement. C’est ignorer que les premiers pollueurs, et de très loin, sont les États pléthoriques, leurs armées et leurs multinationales; au sommet du pouvoir, les secteurs public et privé convergent, et ce sont eux qui causent pollution, gaspillage, misère et mort; pas les libertés individuelles.
  • Un impôt mondial sur le CO2 est la solution par excellence pour sauver l’environnement. C’est ignorer que si une telle disposition devait être adoptée, chaque enfant naîtrait avec un important et inéluctable fardeau de dette, puisque le gaz carbonique est le sous-produit naturel de la vie animale. Cela ne contribuerait qu’à enrichir et renforcer encore davantage les États et les banques auxquelles ils sont inféodés, qui sont les principaux pollueurs.
  • L’action environnementale, on l’entreprend avant tout pour la Terre elle-même. C’est oublier que la Terre a 5 milliards d’années, qu’elle a un jour été couverte de magma, que son atmosphère a pendant longtemps été constituée de méthane, et qu’elle a déjà subi des cataclysmes dont la violence dépasse l’entendement. Si on agit en faveur de l’environnement, c’est pour protéger les écosystèmes dont l’humanité a besoin pour vivre et prospérer, pas pour la Terre à proprement parler; elle se préoccupe sans doute très peu de ce que les humains y font depuis un petit siècle.
  • Le «réchauffement climatique» est l’enjeu environnemental principal auquel l’humanité est confronté. C’est ignorer et oublier la pollution de surface, qui nous aura empoisonné bien avant que les flatulences de vache aient causé un nouveau déluge.

En conclusion, pour défendre l’environnement et sauver les écosystèmes, qui sont effectivement en danger, il convient tout d’abord de contredire les positions axiomatiques sur lesquelles l’orthodoxie repose. Avant cela, il est probable que les planificateurs auront un certain succès à requalifier l’énergie nucléaire.