Par Philippe Oswald, LSDJ
La censure resserre son étreinte sur la liberté d’expression dans des pays réputés y être attachés de toutes leurs fibres, dont la France. Elle s’exerce au nom du «wokisme», de l’activisme LGBT, d’un féminisme exacerbé, et plus généralement d’une «bien-pensance» lovée au cœur de l’État, des grandes organisations internationales (ONU, UE), des plateformes numériques (GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), et de nombreux médias. Sans oublier les agences de publicité qui rompent avec les médias suspects de dissidence.
La censure atteint même l’Assemblée nationale, un lieu où la parole devrait être libérée non certes de la bienséance, mais des diktats de la bien-pensance. Lorsque, par exemple (en octobre dernier), la présidente de l’Assemblée inflige des sanctions à un député RN parce qu’il a qualifié le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye de «communautariste», et à une députée Renaissance parce qu’elle a traité le RN de parti «xénophobe», on frôle la police de l’expression : pour être désagréables et contestables, ces deux termes ne sont pas à proprement parler des insultes.
Les lointains prédécesseurs de nos représentants sur les bancs parlementaires s’envoyaient sans vergogne des noms d’oiseaux, mais ils les servaient généralement dans un français dont le bon usage s’est perdu… Aujourd’hui, privés du recul et de l’humour que donne la culture, tout un chacun s’estime offensé pour un mot jugé malsonnant ou pour une expression réputée «incorrecte». Petit bagage intellectuel, énorme ego victimaire…
La dictature du wokisme
Cette hypersensibilité est exploitée à fond et portée à l’incandescence par le «wokisme» qui nous est revenu d’Outre-Atlantique, tel un boomerang: c’est à la Sorbonne et à Nanterre qu’ont été enseignées dans les années soixante les théories marxisantes, libertaires et «déconstructivistes» qui ont inspiré le gender (la théorie du genre) et la cancel culture (culture de l’annulation), idéologies concoctées dans les universités américaines (cf. LSDJ n°319).
Aujourd’hui, le wokisme prétend annuler le passé supposé «genré», «racisé», «colonial» … et interdire par tous les moyens de penser autrement. En France aussi, il impose son terrorisme intellectuel jusque dans un lieu où la liberté de s’exprimer devrait être sacrée : l’université. Or il y règne un totalitarisme qui prétend museler l’expression de toute pensée dissidente en interdisant le débat, au mépris de la liberté académique.
Conférenciers critiques annulés à la pelle
On ne compte plus les conférenciers empêchés de s’y exprimer : Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Élisabeth Badinter, Sylviane Agacinski, Michel Onfray, Régis Debray, Jacques Julliard, intellectuels pourtant classés plutôt à gauche mais critiques de cette cancel culture. Cette nouvelle «révolution culturelle» qui traque les opposants assimilés à des «racistes» et des «fascistes», attachés à la suprématie de l’homme blanc hétérosexuel, et à des «islamophobes» ou «homophobes» – en réalité des opposants à l’islamisme ou à la GPA (gestation pour autrui).
En octobre 2019, l’université de Bordeaux avait déprogrammé une conférence de l’académicienne Sylviane Agacinski sous la pression menaçante d’associations LGBTI+. Pourtant, cette même université de Bordeaux a complaisamment ouvert ses portes, le 28 mars 2023, à un conférencier inattendu: le terroriste (non repenti) Jean-Marc Rouillan, co-fondateur d’Action Directe, coupable, entre autres crimes, des assassinats de l’ingénieur général Audran (1985) et du PDG de Renault Georges Besse (1986).
Les classiques expurgés des passages «offensants»
Les annulations ne touchent pas seulement des conférences. En mars 2019, une des pièces de théâtre les plus célèbres de la littérature universelle, «Les Suppliantes» d’Eschyle (Ve siècle av. J.-C.), n’avait pu être représentée à la Sorbonne sous prétexte que des «vigilants» y auraient discerné du «racisme»…
Après l’université, l’édition a embrayé sur la mode woke en s’exerçant à supprimer ou à réécrire tous les passages potentiellement «offensants» de la littérature universelle ! Là encore, le mauvais exemple vient des pays anglo-saxons. Les éditeurs ont engagé des sensitivity readers chargés d’expurger les livres de tout passage jugé contraire à l’«inclusivité».
Cela peut conduire à changer jusqu’au titre: le célèbre roman policier «Dix petits nègres» d’Agatha Christie est désormais appelé dans sa version française: «Ils étaient dix». Même mésaventure pour le sublime «Nègre du Narcisse» du grand romancier Joseph Conrad, rebaptisé «Les Enfants de la mer» (nb : «nègre» sonne aujourd’hui désagréablement mais ne dit rien d’autre que «noir»: niger en latin).
Le cinéma a naturellement suivi voire précédé cette «révolution culturelle» que le ridicule n’est pas encore parvenu à enrayer… En témoigne la dernière exclusion en date, celle du journaliste Eric Naulleau: ce collaborateur de «Marianne vient d’être viré du jury du festival du film de Cabourg pour avoir accordé un entretien sur la liberté d’expression au magazine de droite Valeurs actuelles.