Chronique d’Icaros d’Essentiel News
Avant que la nature scénarisée du catch professionnel ne soit connue, le terme kayfabe était utilisé comme un code par les initiés du secteur pour discuter de sujets en public sans révéler le caractère arrangé de leur discipline. Or il existe des parallèles intéressants entre le catch et l’actualité mondiale qui permettent de mettre en lumière ce qui s’y passe.
Le terme kayfabe était également utilisé pour avertir les autres initiés que quelqu’un qui ne l’était pas, un profane, se trouvait dans les parages; il pouvait même s’agir de membres de la famille des lutteurs qui n’avaient pas été informés de la nature scénarisée du catch.
Une «interview kayfabe», par exemple, signifiait que la personne interviewée restait dans la peau de son personnage; lorsqu’on parlait d’une «petite amie kayfabe», cela signifiait qu’elle n’était pas réellement impliquée dans une relation amoureuse, mais qu’elle était présentée comme telle dans le contexte du spectacle (qui dépasse largement les pseudo-combats se déroulant dans le ring).
Beaucoup ont oublié que la nature scénarisée du catch est restée longtemps secrète, et inconnue de la plupart des gens; le premier aveu publique a eu lieu en 1989, lorsque le propriétaire du WWF (World Wrestling Federation), Vince McMahon, a déclaré devant le Sénat de l’État du New Jersey (et à la surprise générale) que le catch n’était pas un sport de compétition. Et en effet, jusqu’au milieu des années 1990, les acteurs de l’industrie pensaient qu’il agissait d’un secret qu’il fallait protéger à tout prix.
La plupart de gens sont désormais convaincus qu’il est évident que le catch relève du divertissement et non du sport, et qu’ils l’auraient su même si on ne le leur avait jamais révélé.
Pourtant – et c’est tout à fait fascinant – même après que la nature scénarisée de cette discipline soit devenue un secret de polichinelle, la plupart des fans ont refusé de l’admettre. Aujourd’hui encore, la plupart des passionnés suspendent leur incrédulité et se sentent, agissent et réagissent comme si tout cela était réel.
Ce phénomène d’immersion totale dans le spectacle, comparable à celle d’un enfant captivé par un dessin animé, qui sait intellectuellement que rien de tout ce qu’il voit n’est réel mais qui ne peut néanmoins l’admettre affectivement, n’est bien sûr pas exclusif au catch.
On sait par exemple qu’une ménagère éprise de télénovelas ressent de véritables émotions lorsque ses personnages préférés se livrent à quelque prévarication, et qu’elle est susceptible de se disputer sincèrement avec quelqu’un qui ne partage pas son interprétation du spectacle. De la même façon, beaucoup de fans de téléréalité pensent et agissent comme si ces émissions présentaient des intrigues spontanées, même s’il a été admis et documenté mille fois qu’elles sont entièrement mises en scène.
Le catch pourtant, qui représente la première vraie forme de téléréalité, relève d’une véritable science. Rien n’y est laissé au hasard, et tout est fait pour renforcer le phénomène d’immersion et d’incrédulité suspendue décrit ci-dessus. De surcroît, en dehors des cercles spécialisés, peu de gens sont familiers avec cette science; c’est regrettable, car elle permet de mettre en lumière ce qui se passe en politique également.
Le catch en bref
La science du catch s’appuie sur une compréhension sophistiquée de l’identité sociale, de la psychologie comportementale, des neurosciences sociales, et des sciences affectives. Il en découle un champ lexical important qui révèle le soin particulier mis à captiver et fidéliser le public.
Par exemple, les héros de ce théâtre sont appelés faces (abréviation de «babyfaces»); leur personnalité est façonnée de manière à susciter l’adhésion par des traits tels que l’humilité, le patriotisme, la détermination, etc. Les faces gagnent généralement leurs matchs grâce à leurs compétences techniques et sont parfois présentés comme des outsiders pour enrichir l’histoire.
De l’autre côté de la dialectique, les heels sont des personnages antagonistes, dont la personnalité sert ostensiblement à susciter une réaction négative; ils adoptent des traits traditionnellement négatifs tels que le narcissisme, l’égocentrisme, la colère intempestive ou le sadisme, et emploient des tactiques sournoises comme l’astuce ou la tricherie.
Malgré ces archétypes, les metteurs en scène savent que le public réagit très différemment, selon des critères psychologiques entièrement connus. De manière grossière, on sait par exemple que les fans masculins plus âgés ont tendance à encourager les heels et à huer les faces, tandis que les enfants et les femmes ont tendance à encourager les faces et à huer les heels.
Chaque intrigue, chaque action et chaque scandale dans le catch sont minutieusement étudiés pour renforcer l’adhésion des divers profils psychologiques et démographiques connus, et pour provoquer des émotions et des convictions dont la nature, la durée, et la profondeur sont modélisés.
Et de nouveau, tout cela ne se limite pas du tout à ce qui se passe dans le ring. Par exemple, si un lutteur apparaît subir une attaque brutale lors d’un match, il se présentera boitant ou en ayant le bras dans le plâtre dans la presse ou lors d’interviews. Il arrive aussi que des décès soient inclus dans le récit, les producteurs trouvant une «raison kayfabe» d’intégrer l’événement dans l’intrigue, et allant jusqu’à mettre en scène enterrements, deuils, etc.
Et il faut le répéter, tellement cela est important: ces émotions de soutien ou de rejet, de joie et de désespoir, d’enthousiasme et de deuil sont entièrement réelles, comme si rien n’était scénarisé. Les fans de catch ne sont de surcroît pas des imbéciles, ils savent intellectuellement qu’il s’agit d’un spectacle; mais la science du divertissement est tellement sophistiquée qu’ils n’ont aucun mal à suspendre leur incrédulité et à demeurer captivés, et réagiront souvent avec hostilité si on leur demande pourquoi ils sont si épris de quelque-chose de si manifestement faux.
Kayfabe et l’actualité
Où va-t-on avec tout ça? Après tout, il ne s’agit pas de rédiger une thèse sur le catch professionnel. Ça a été suggéré plus haut: le kayfabe ne se limite pas au catch, aux télénovelas, et à la téléréalité.
L’essence du propos, c’est en effet que les mêmes dynamiques, les mêmes principes, la même compréhension, la même science, les mêmes archétypes et les mêmes outils psychologiques sous-jacents sont utilisés dans ce que l’on appelle communément «l’actualité» et «la politique».
Le monde est une scène. Presque tout ce qui passe à la télévision ou «dans les nouvelles», que ce soit sous les acclamations ou les huées, est faux et/ou scénarisé.
Comme pour le catch, l’aspect le plus fascinant est la mesure dans laquelle les gens sont capables de suspendre leur incrédulité et d’ignorer des éléments tangibles et factuels qui contredisent le récit théâtral présenté; pire, ces éléments produisent souvent une émotion viscérale de rejet, comme tout ce qui contredit un système de croyance ancré.
Ce phénomène a été mis en évidence pour catch, il peut être observé aussi par le succès considérable de la «presse people» et des divers potins ayant attrait aux «célébrités».
On peut dire et démontrer qu’il s’agit d’une fiction, on peut même annoncer la fin et essayer de rassurer l’enfant en lui disant que Lex Luthor ne l’emportera pas et qu’il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter; tout de même, il s’inquiétera réellement lorsque la kryptonite sera autour du cou de Superman, et que le héros se trouvera sur le point de se noyer. Son esprit rationnel sait que c’est ridicule, que l’émotion est disproportionnée, mais la musique et le scénario sont tels que la partie affective l’emporte tout de même.
Donald Trump, qui au passage est inscrit au Hall of Fame du catch américain, est en ce moment l’exemple parfait d’un personnage kayfabe dans le paysage politique audiovisuel. Le fait qu’un mondain, milliardaire et apparatchik de New York, propriétaire de casino et star de la télé-réalité, dont tout l’entourage représente le marais le plus profond, ouvertement sioniste et étatiste, soit considéré, par des gens à priori intelligents et instruits et sans que place soit laissée au doute, comme un outsider, est en effet une chose étonnante à voir. Pire, affirmer que c’est le cas produira souvent chez eux une émotion disproportionnée d’hostilité.
L’affaire de «collusion avec la Russie», «l’enquête Mueller», le «procès en destitution», «l’élection volée» de 2020, et même la «tentative d’assassinat» étaient vraisemblablement des actes du même théâtre. Que Trump soit le heel et Soros le face, ou que ce soit l’inverse, n’a aucune importance, dès lors que chacun joue un rôle attribué, s’adressant à un groupe démographique et psychologique différent.
Il faut dire que la plupart des gens qui ont voté pour Trump étaient (et sont toujours) bien intentionnés; leur droiture, leur sentiment légitime de révolte contre «l’État profond» ont été utilisés contre eux. Un peu comme les militants anti-guerre, vertueusement dégoûtés par la guerre d’Irak de 2003, ont été amenés à aduler Obama, un pire va-t-en-guerre que son prédécesseur.
Chez les opposants de Trump, le syndrome est encore plus marqué. La haine viscérale et disproportionnée qu’ils ressentent à son endroit est entièrement fabriquée et artificielle, et n’émane pas de leur propre esprit. Ils ont été conditionnés, comme le chien de Pavlov qui entend tinter la cloche, à détester tout ce qu’il est, tout ce qu’il dit, et tout ce qu’il fait.
Ainsi le kayfabe peut être observé dans l’indignation toujours changeante dirigée par les médias de masse. C’est un peu comme la haine en deux minutes d’Orwell. Le motif d’indignation change regulièrement, et on oublie tout de la précédente. Les étiquettes et les caricatures n’en finissent pas. Les différents groupes démographiques ont des ennemis différents, mais le dénominateur commun est que l’indignation change constamment et qu’elle est canalisée vers des catégories fluctuantes, loin de l’oligarchie occulte qui contrôle le système monétaire et agit dans les coulisses.
Ce qui est horrible dans «La haine en deux minutes», ce n’est pas que l’on soit obligé de jouer un rôle, mais qu’il soit impossible d’éviter d’y participer. En l’espace de trente secondes, il n’est plus nécessaire de faire semblant. Une hideuse extase de peur et de vindicte, un désir de tuer, de torturer, d’écraser des visages avec un marteau de forgeron, semblaient traverser tout le groupe de personnes comme un courant électrique, transformant quelqu’un, même contre son gré, en un fou grimaçant et hurlant. Et pourtant, la rage que l’on ressentait était une émotion abstraite, non dirigée, qui pouvait passer d’un objet à l’autre comme la flamme d’un chalumeau. — George Orwell, 1984
Kayfabe et la guerre froide
Dans la pure tradition orwellienne, Oceania a toujours été en guerre contre Eastasia.
De nombreux chercheurs et historiens ont démontré que la stratégie géopolitique de tension du 20e siècle, généralement dénommée la «guerre froide», a été un théâtre cousu de toutes pièces. Elle a été imaginée et scénarisée au plus haut niveau; c’était un autre exemple de kayfabe, sauf que cette fois-ci elle a coûté des millions de vies.
Antony C. Sutton, économiste, historien, professeur et écrivain de renom, a été contraint de quitter son poste de chercheur à la Hoover Institution on War, Revolution, and Peace de l’université de Stanford, après avoir démontré que les conflits de la guerre froide n’étaient pas menés pour freiner le communisme; au contraire, ils ont été organisés, au minimum, pour générer des contrats d’armement; il a par exemple démontré de façon irréfutable et irréfutée que les États-Unis ont armé les deux côtés des conflits en Corée et au Vietnam.
Dans son livre The Best Enemy Money Can Buy, Sutton a examiné le rôle des transferts de technologie militaire jusqu’aux années 1980. L’annexe B de cet ouvrage contient le texte de son témoignage de 1972 devant la sous-commission VII d’un comité du parti républicain, dans lequel il résume l’aspect essentiel de l’ensemble de ses recherches:
En quelques mots: la technologie soviétique n’existe pas. La quasi-totalité – peut-être 90 à 95% – provient directement ou indirectement des États-Unis et de leurs alliés. En fait, les États-Unis et les pays de l’OTAN ont construit l’Union soviétique, et ses capacités industrielles et militaires. Cet important projet de construction a duré 50 ans, depuis la révolution de 1917. Il a été réalisé par le biais du commerce et de la vente d’usines, d’équipements et d’assistance technique.
Ses trois livres suivants (Wall Street and the Bolshevik Revolution, Wall Street and FDR et Wall Street and the Rise of Hitler) détaillent l’implication de Wall Street dans la révolution bolchevique pour détruire la Russie, et ses contributions décisives à l’ascension d’Adolf Hitler. Sutton conclut que tout cela faisait partie du programme à long terme des élites économiques pour nourrir le collectivisme et promouvoir le corporatisme afin d’assurer «l’acquisition monopolistique de la richesse».
Au début des années 1980, Sutton a utilisé une combinaison d’informations publiques sur les Skull and Bones (comme les annuaires officiels de Yale) et de documents inédits qui lui ont été envoyés par Charlotte Thomson Iserbyt (dont le père était membre des Skull and Bones) pour écrire America’s Secret Establishment qui est, selon lui, son œuvre la plus importante.
Dans ce livre, il souligne, entre autres, que la prise de contrôle de la Chine par les maoïstes et, plus tard au 20e siècle, la montée en puissance de la Chine en tant que superpuissance rivalisant avec les États-Unis, constituaient un autre «bras de la dialectique».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont aidé les communistes chinois à prendre le pouvoir. […] L’histoire de la trahison de la Chine et du rôle de l’Ordre [Skull and Bones] devra attendre un autre volume. Pour l’instant, nous voulons seulement rappeler la décision de faire de la Chine communiste un nouveau bras de la dialectique, une décision prise sous la présidence de Richard Nixon et mise en œuvre par Henry Kissinger (Chase Manhattan Bank) et George «Poppy» Bush (l’Ordre [de Skull and Bones]).
En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’organisation Yale in China a été l’un des principaux instruments utilisés par l’establishment américain et son Office of Strategic Services (OSS) pour installer les maoïstes au pouvoir. Yale in China était dirigée par l’agent de l’OSS Reuben Holden, le mari de la cousine de Bush, et également membre de Skull and Bones. Tout au long du 20e siècle, des personnalités telles que Sidney Rittenberg, Jakob Rosenfeld, David Crook, Israel Epstein, Sidney Shapiro, Rewi Alley, Solomon Adler, Frank Coe ou Robert Lawrence Coe, même si elles sont moins connues, ont toutes joué pour la Chine un rôle aussi déterminant que les plus célèbres Henry Kissinger ou Michel Oksenberg.
Il est important de noter que les travaux de Sutton n’ont jamais été falsifiés et que ses livres contiennent une multitude de preuves et de références qui corroborent ses découvertes. Le professeur Richard Pipes de Harvard l’admet dans son livre Survival Is Not Enough: Soviet Realities and America’s Future:
Dans son rapport détaillé en trois volumes sur les achats soviétiques d’équipements et de technologies occidentaux […], Sutton arrive à des conclusions qui mettent mal à l’aise de nombreux hommes d’affaires et économistes. C’est pourquoi son travail a tendance à être rejeté d’emblée comme «extrême» ou, plus souvent, à être tout simplement ignoré.
D’autres chercheurs que Sutton sont arrivés aux mêmes conclusions, sur l’implication essentielle des élites économiques mondiales dans l’histoire du 20e siècle. On peut notamment citer:
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Carroll Quigley, professeur à l’université de Georgetown, soutient dans son livre Tragedy and Hope: A History of the World in Our Time (1966) qu’une élite d’intérêts financiers, centrée sur Londres et New York, a joué un rôle important dans l’évolution de l’histoire mondiale récente. Il démontre en particulier comment les institutions financières occidentales ont contribué au développement de l’Union soviétique et de la montée en puissance de l’Allemagne nazie.
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Guido Giacomo Preparata, professeur d’économie politique à l’université de Washington, explique dans son livre Conjuring Hitler: How Britain and America Made the Third Reich (2005), que les élites financières britanniques et américaines ont délibérément alimenté l’Allemagne nazie pour faire contrepoids au communisme soviétique, et démontre que les élites occidentales ont facilité l’ascension d’Hitler afin d’organiser une guerre qui affaiblirait l’Allemagne.
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Richard B. Spence, historien américain et professeur d’histoire à l’université de l’Idaho, dans son livre Wall Street and the Russian Revolution: 1905–1925 (2017) développe et complète l’oeuvre de Sutton, et explique comment les réseaux financiers de Wall Street ont joué un rôle crucial dans le financement des bolcheviks et d’autres factions de la révolution russe.
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Gary Allen, journaliste et chercheur américain, soutient dans son livre None Dare Call It Conspiracy (1976) qu’un petit groupe d’élites financières – souvent lié au Council on Foreign Relations, à la Trilateral Commission et à d’autres organisations et think tanks – a manipulé les événements historiques du 20e siècle pour centraliser le pouvoir et faire progresser un programme de domination mondiale. L’ouvrage démontre que le communisme et le fascisme n’étaient pas des mouvements indépendants, mais plutôt des outils utilisés par les élites financières pour consolider leur contrôle sur les économies et les gouvernements.
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James Perloff, dans son livre The Shadows of Power: The Council on Foreign Relations and the American Decline (1988), examine le rôle du Council on Foreign Relations et la manière dont un réseau de décideurs politiques et de financiers d’élite a façonné les événements historiques du 20e siècle, notamment le communisme soviétique et la mise en œuvre de la Seconde Guerre mondiale.
Si tous ces chercheurs ont raison, si Mao était effectivement un homme de Yale, si l’Union soviétique comme l’Allemagne nazie sont des créations des mêmes élites financières internationales, et si le communisme et le fascisme sont bien deux idéologies collectivistes adjacentes nées dans les mêmes esprits et servant un but commun, alors les implications d’une telle conclusion sont profondes, notamment sur l’actualité contemporaine.
D’abord, cela signifierait que de nombreuses anomalies connues prennent un nouveau sens, comme le fait que Vladimir Poutine ait depuis toujours ouvertement été un proche ami et confidant de Henry Kissinger, ou comme le fait que les incidents du Golfe de Tonkin justifiant l’entrée en guerre des États-Unis au Vietnam aient été inventés de toutes pièces sans que l’Union soviétique ne le dénonce publiquement.
Ensuite et surtout, cela signifierait qu’Orwell avait parfaitement raison, que la lutte d’Oceania contre Eastasia, ou autrement dit de l’Occident contre l’Orient, a été scénarisée et cousue de toutes pièces au 20e siècle, et continue donc de l’être au 21ème.
Haute hétérodoxie
Jusqu’où la manipulation et le kayfabe sont-ils poussés? Et dans quelle mesure faut-il prendre au pied de la lettre les citations suivantes?
Certains des plus grands hommes des États-Unis, dans le domaine du commerce et de l’industrie, ont peur de quelque chose. Ils savent qu’il existe quelque part un pouvoir si organisé, si subtil, si vigilant, si imbriqué, si complet, si envahissant, qu’ils feraient mieux de ne pas parler trop fort lorsqu’ils le condamnent. Woodrow Wilson, The New Freedom (1913).
Depuis l’époque de Spartacus-Weishaupt jusqu’à celle de Karl Marx, en passant par Trotsky, Bela Kun, Rosa Luxemburg et Emma Goldman, cette conspiration mondiale pour le renversement de la civilisation et la reconstitution de la société sur la base d’un développement arrêté, d’une malveillance envieuse et d’une égalité impossible, n’a cessé de croître. Winston Churchill, Illustrated Sunday Herald, 8 févrer 1920.
Le monde est gouverné par des personnages très différents de ce qu’imaginent ceux qui ne sont pas dans les coulisses. Benjamin Disraeli, Coningsby (1844).
Derrière le gouvernement ostensible trône un gouvernement invisible qui ne doit aucune allégeance et ne reconnaît aucune responsabilité envers le peuple. Theodore Roosevelt, 19 avril 1906.
Certains pensent même que nous [la famille Rockefeller] faisons partie d’une cabale secrète qui travaille contre les intérêts des États-Unis, nous qualifiant, ma famille et moi, d’«internationalistes» et de conspirateurs avec d’autres personnes dans le monde pour construire une structure politique et économique mondiale plus intégrée […]. Si telle est l’accusation, je suis coupable et j’en suis fier. David Rockefeller, Memoirs (2002).
La manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions organisées des masses est un élément important de la société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme invisible de la société constituent un gouvernement invisible qui est le véritable pouvoir en place dans notre pays. Edward Bernays, Propaganda (1928).
C’est une chose de démontrer qu’il existe une dialectique hégélienne et qu’on parle d’un théâtre de guerre précisément parce que c’est un théâtre, certes meurtrier mais néanmoins scénarisé. C’en est une autre de penser que la planification centrale va jusqu’à prévoir la date de l’armistice dès le début de la première guerre mondiale, ou qu’on a utilisé le même acteur principal de part et d’autre de la «course à l’espace».
A ces questions, aucune réponse n’est offerte, et c’est au lecteur de prendre le soin d’évaluer les photos suivantes. Peut-être ne s’agit-il que de synchronicités.
La voiture dans laquelle on dit que François-Ferdinand d’Autriche a été assassiné à Sarajevo le 28 juin 1914, un épisode qui aurait déclenché la première guerre mondiale, portait la plaque d’immatriculation A II I1 18. Certains y voient un sens caché: Armistice 11.11.18, ou la date de l’armistice du 11 novembre 1918 annoncée à l’avance.
À gauche: Neil Armstrong. A droite, Yuri Gagarin. Faire défiler vers la droite pour voir d’autres photos côte-à-côte. Chacun de ces deux personnages a joué un rôle de premier plan dans la «course à l’espace», respectivement pour les États-Unis et l’Union soviétique. Se pourrait-il que le même acteur ait tenu les deux rôles?
Conclusion
Il ne fait aucun doute que cet article suscitera beaucoup d’incrédulité, surtout chez ceux qui ont déjà investi un capital intellectuel important à «comprendre la géopolitique», et qui sont déjà capables de répéter de façon élaborée ce qu’ils croient que les gens intelligents pensent.
On entend déjà la critique: «cet auteur n’a pas l’intelligence et la sophistication d’esprit suffisantes pour comprendre la complexité de tout ce qui se passe, il se rabat donc sur des conclusions réductrices et simplificatrices qui le dispensent de saisir la subtilité du monde dans lequel il vit».
A cette critique, l’auteur ne peut répondre que deux choses: premièrement, vous n’êtes pas les seuls à avoir lu Le Grand Échiquier quand il est sorti, et à avoir été d’avides lecteurs du Foreign Affairs; fils de hauts fonctionnaires des Nations Unies, il a également cru pendant longtemps «comprendre la géopolitique», et s’est trouvé très intelligent pour cela; mais finalement, c’est le paradoxe socratique qui l’a emporté, il a été frappé par sa propre ignorance, et en poussant encore l’étude et l’analyse, dès lors qu’on est honnête avec soi-même, on arrive nécessairement aux conclusions exposées ci-dessus.
Deuxièmement, il se peut que toutes les idées exprimées aujourd’hui soient tellement en-deçà de la vérité, soient tellement dérisoires, qu’elles en deviennent fausses; il se peut qu’il existe un niveau de compréhension qui se situe tellement au-delà de la politique et de l’actualité, que de s’interroger sur la guerre froide, la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump n’a aucun véritable sens; il se peut qu’en cherchant à réfuter ce que la télévision déblatère, on fasse le jeu de la télévision et de la fausse réalité qu’elle présente.
Dans ce cas, la nature du kayfabe et du Truman Show dans lequel on vit dépasserait largement le contexte de la politique, et on rentrerait dans le domaine de la philosophie. C’est en effet beaucoup plus intéressant, et la seule chose qu’on puisse promettre, c’est qu’un tel article viendra.
En attendant, que faire de tout ça? D’abord, admettre que ça puisse être faux. Ensuite, dans l’hypothèse ou ça ne l’est pas, s’imposer une distance sur l’actualité qui serait celle qu’un enfant devrait avoir aussi lorsqu’il s’inquiète pour Superman.
Article d Icaros toujours tres interessant qui nous amene a prendre de la distance avec cette societe du spectacle