Article d’Isabelle Alexandrine Bourgeois pour Essentiel News, journaliste et fondatrice de Planète Vagabonde
À l’ombre des mélodies entêtantes et des refrains que l’on a plaisir à entonner, se tapit un phénomène étrange, à la frontière entre art et manipulation. La musique pop, cette machine à rêves qui domine les ondes et les plateformes numériques, n’est-elle qu’une célébration de l’émotion déclinée en musique, ou cache-t-elle des intentions plus sombres ?
Depuis des décennies, des soupçons planent sur l’utilisation de techniques subliminales – infrasons, battements binauraux, messages enfouis – dans les chansons des superstars mondiales, mais aussi dans d’autres formes de musique. L’encodage subliminal de la musique désigne l’intégration intentionnelle de messages, fréquences ou motifs sonores imperceptibles à l’oreille consciente, mais conçus pour influencer l’inconscient de l’auditeur.
À l’intersection de la neurotechnologie moderne et de l’héritage trouble du programme MK-ULTRA, un projet secret de la CIA visant à maîtriser le contrôle mental, la musique populaire pourrait bien être un outil discret de conditionnement de masse. Plongeons dans cet univers où les notes flirtent avec l’inconscient, en explorant les œuvres de figures comme Beyoncé et Lady Gaga, avant de remonter le fil de l’histoire et de chercher des moyens de nous en protéger.
MK-ULTRA : les racines d’une manipulation silencieuse
L’histoire commence dans les années 1950, en pleine Guerre froide, lorsque la CIA lance MK-ULTRA, un programme clandestin destiné à explorer les confins de la psyché humaine. Drogues, électrochocs, hypnose : les méthodes étaient brutales, mais l’objectif clair – plier les esprits à la volonté d’un maître invisible. Si le projet a officiellement pris fin en 1973, son spectre continue de hanter les théories sur les médias modernes. Grâce à l’avènement de la neurotechnologie, capable de cartographier les réactions cérébrales aux stimuli sonores, l’idée d’un contrôle mental par la musique n’a rien d’absurde.
En 1977, dans son livre Bruits, un essai sur l’économie politique de la musique, Jacques Attali analyse la musique comme un outil de pouvoir et un révélateur des transformations sociales et économiques. Selon lui, la musique ne se contente pas de refléter la société, elle anticipe et façonne les mutations culturelles, politiques et économiques à venir. Il soutient que chaque époque possède un système musical dominant qui précède les grands changements sociaux. Par exemple, l’essor de la musique polyphonique à la Renaissance aurait préfiguré l’émergence du capitalisme en structurant de nouvelles façons d’organiser l’harmonie et la société. De la même manière, la montée du rock et du jazz au XXᵉ siècle aurait accompagné les bouleversements liés à l’individualisme et à la mondialisation.
L’auteur admet que la musique peut servir l’ordre établi, être un instrument de propagande, ou, au contraire, être un espace de résistance et de subversion. Elle aurait la capacité à organiser les comportements et à influencer les consciences, un pouvoir exploité par les industries culturelles et les États.
Infrasons et rythmes binauraux : la science de l’influence sonore
Récemment, des événements comme le concert du Super Bowl, les performances de stars comme Madonna ou The Weeknd, ont relancé les débats sur l’influence subliminale.
Les infrasons, ces fréquences inférieures à 20 Hz, imperceptibles à l’oreille consciente, peuvent provoquer des sensations d’angoisse ou d’euphorie en stimulant l’amygdale, siège des émotions primaires. Les battements binauraux, eux, naissent de la différence entre deux tons joués simultanément dans chaque oreille, synchronisant les ondes cérébrales pour induire des états de relaxation ou, à l’inverse, de vulnérabilité. Ces outils, autrefois expérimentaux, sont aujourd’hui à la portée des ingénieurs du son. Et qui mieux que les titans de la pop pour les déployer à l’échelle planétaire ?
Beyoncé et Lady Gaga : les reines des fréquences cachées?
Beyoncé, icône incontestée, ne se contente pas de chanter : elle hypnotise. Des titres comme Spirit ou Black Parade ont été scrutés par des observateurs qui y détectent des infrasons subtils, oscillant autour de 19 Hz, une fréquence connue pour susciter un malaise diffus, appelée d’ailleurs la «fréquence de la peur». Sa société de production, Parkwood Entertainment, et l’ingénieur Derek Dixie ont été engagés dans le cadre d’un contrat classifié NDA (Non Disclosure Agreement, accord de non-divulgation), signé le 3 octobre 2018, pour intégrer ces déclencheurs dans son travail, en commençant par sa compilation The Lion King: The Gift, un album inspiré par le film «Le Roi lion».
Certains chercheurs affirment que sa chanson Black Parade s’alignerait sur la gamme d’ondes cérébrales thêta liée à la suggestibilité. Les ondes cérébrales thêta sont associées à des états de relaxation profonde, de méditation et de conscience modifiée. Ces ondes apparaissent principalement lors de la transition entre l’éveil et le sommeil, ainsi que pendant des états de rêverie. En hypnose, les ondes thêta sont souvent exploitées pour faciliter l’accès au subconscient. Cette capacité à générer des ondes thêta est liée à une porosité accrue à l’hypnose et à des réponses hypnotiques plus marquées.
«J’ai eu l’occasion de travailler sur un programme de musique original qui accompagnait une machine comportant des ondes alpha dans une optique de sophrologie et de bien-être, un peu comme si on ajoutait un ingrédient dans une recette, afin d’inviter le cerveau à se sentir bien dans un environnement paisible, dans le but de lâcher prise. Or, à ce jour, rien ne permet d’affirmer que ces ondes, mélangées à un environnement pop et dynamique, puissent induire une tendance sur les comportements humains» explique François Maurice, ingénieur du son.
Sans oublier les voix subliminales : Partition, qui a fait l’objet d’une rétro-ingénierie, révèle des phrases masquées «Obey the crown, kneel to the sound» («obéissez à la couronne, agenouillez-vous devant le son»). Dans ce contexte, la «couronne» pourrait être une métaphore du pouvoir caché, d’une hiérarchie occulte contrôlant les humains. À quelle couronne s’agit-il de faire allégeance ? En découvrant les images érotico-agressives du clip, on a du mal à imaginer qu’elles rendent hommage au “petit enfant Jésus”… Toutefois, les allégations de contrôle de type MK-ULTRA dans les morceaux de Beyoncé auraient besoin de quelques expérimentations supplémentaires. Est-ce un hasard si ses clips, souvent saturés de symboles – lions majestueux, rituels mystiques –, évoquent une transe collective, une soumission presque spirituelle à son aura ?
Lady Gaga, quant à elle, va plus loin encore. Ses clips, tels que Bad Romance ou Telephone, regorgent de symboles évoquant le traumatisme et la dissociation psychologique, thèmes centraux des expériences de contrôle mental. Dans Bad Romance, les battements binauraux, perceptibles à l’écoute attentive, oscillent autour de 7 Hz, une fréquence thêta liée à la réduction de la pensée critique et à l’état méditatif. Ses productions intègrent aussi la présence d’images subliminales – des flashs de quelques millisecondes, des battements binauraux, notamment dans Born This Way, où des oscillations subtiles entre les canaux stéréo créent un effet hypnotique, rapprochant l’auditeur d’un état de transe. Comme l’écrit Nicolas Ballet dans Psychic Driving: Les Techniques de Contrôle Mental et leur Détournement dans les Musiques Industrielles (2019), ces techniques, autrefois expérimentales, sont désormais un art maîtrisé par certains producteurs.
D’autres artistes, comme Kanye West avec Yeezus ou Billie Eilish dans Bury a Friend, flirtent également avec ces outils sonores. Les basses grondantes de Kanye West et les chuchotements entrelacés d’Eilish exploitent des fréquences qui perturbent, captivent et, peut-être, manipulent. Mais est-ce une volonté consciente ou le fruit d’une esthétique moderne obsédée par l’innovation sonore ? La frontière reste floue.
Le cas Pink Floyd
Le masquage subliminal est bien réel dans l’histoire de la musique – pensez à The Wall de Pink Floyd. Dans cet album, la chanson Empty Spaces contient un message caché notable. Ce message, enregistré à l’envers, est une illustration de la technique du backmasking. Lorsqu’on écoute cette section à l’envers, on entend la voix de Roger Waters déclarer : «Congratulations. You have just discovered the secret message. Please send your answer to Old Pink, care of the funny farm, Chalfont…» Cette phrase est interrompue par une autre voix annonçant : «Roger! Carolyne’s on the phone!» Ce message est souvent interprété comme une référence à Syd Barrett, ancien membre du groupe, surnommé «Old Pink», qui avait quitté la formation en raison de problèmes de santé mentale. Le terme «funny farm» est une expression familière désignant un hôpital psychiatrique, et «Chalfont» pourrait faire allusion à une localité britannique.
Selon le batteur Nick Mason, l’inclusion de ce message était une réponse humoristique aux spéculations de l’époque concernant les messages subliminaux dans la musique. Il a expliqué que, face à l’engouement pour la recherche de messages cachés dans les albums, le groupe a décidé d’en insérer un délibérément. Mason a précisé que ce message n’avait pas de signification profonde et relevait davantage de la plaisanterie.
Contrôle de masse : une symphonie en boucle
L’histoire récente offre des précédents troublants. Dans les années 1980, le régime de Manuel Noriega au Panama fut confronté à une guerre psychologique orchestrée par les forces américaines, qui diffusaient du heavy metal à des volumes assourdissants pour briser sa résistance – un usage brutal des infrasons et de la saturation sonore. Plus subtilement, la pop soviétique des années 1970, analysée par Alexei Yurchak dans Everything Was Forever, Until It Was No More (2005), intégrait des rythmes monotones et des fréquences étudiées pour apaiser les masses et renforcer l’adhésion au régime.
Le mystère de la transition du diapason standard de 432 Hz à 440 Hz
Sous le IIIᵉ Reich, Goebbels orchestrait une propagande musicale où les hymnes nazis et les opéras de Wagner résonnaient comme des outils de conditionnement idéologique. La transition du diapason standard de 432 Hz à 440 Hz a suscité diverses théories, certaines suggérant une tentative de manipulation des populations à travers la musique. Historiquement, l’accordage des instruments variait considérablement jusqu’au XIXᵉ siècle. En 1859, la France a standardisé le La à 435 Hz, suivi par d’autres pays. Ce n’est qu’en 1939, lors d’une conférence internationale à Londres, que le La à 440 Hz a été adopté comme norme. Des allégations attribuent cette standardisation à des influences politiques, notamment à Joseph Goebbels, qui aurait imposé le 440 Hz pour perturber la conscience humaine. Voici deux versions du Canon de Pachelbel, la première à 432 Hz et la seconde version à 440 Hz. Comparez et jugez par vous-même si vous sentez une différence à l’oreille et dans votre corps.
Des études scientifiques n’ont pas démontré de différences significatives sur le bien-être humain entre les musiques accordées à 432 Hz et 440 Hz. Certains musiciens et théoriciens affirment que la musique accordée à 432 Hz, souvent appelée «fréquence naturelle», est plus harmonieuse avec les vibrations de la Terre et du corps humain, procurant ainsi une sensation de calme et de bien-être. Cette fréquence est également associée à des proportions mathématiques présentes dans la nature, telles que le nombre d’or. Une étude pilote a comparé les effets de la musique accordée à 440 Hz et à 432 Hz sur des paramètres vitaux tels que la fréquence cardiaque et la pression artérielle. Les résultats ont montré une légère diminution de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle après l’écoute de musique à 432 Hz.
La musique, une arme pour des larmes
Au-delà de l’influence des foules par des fréquences subliminales, l’utilisation de la musique pour impacter des individus n’est pas nouvelle. Dans les années 1950, la paranoïa autour du «lavage de cerveau» atteint son apogée pendant la guerre de Corée, où des prisonniers américains, exposés à des sons répétitifs, semblaient adhérer à l’idéologie ennemie. Plus près de nous, les années 1980 voient surgir des paniques morales autour du heavy metal : le groupe Judas Priest est accusé d’avoir inséré des messages inversés (Do it !) dans ses chansons, poussant prétendument deux adolescents au suicide. Bien que le tribunal ait rejeté ces allégations et acquitté le groupe en 1990, l’épisode révèle une peur viscérale de l’influence sonore.
À la prison de Guantanamo Bay, la musique n’a pas seulement servi de divertissement, mais s’est transformée en une arme psychologique redoutable. Diffusée à plein volume pendant des heures, voire des jours, elle a été utilisée pour priver les détenus de sommeil, les désorienter et les soumettre à un stress extrême. Des morceaux de Britney Spears, Metallica, Eminem ou encore Rage Against The Machine résonnaient dans les cellules, mais aussi des chansons enfantines comme le thème de Barney & Friends, dans un but d’humiliation. La répétition incessante de ces sons à des niveaux assourdissants provoquait anxiété, confusion et épuisement mental, brisant la résistance psychologique des prisonniers. D’ailleurs, même l’artiste Tom Morello de Rage Against The Machine a dénoncé cette pratique, pointant ses effets dévastateurs sur le système nerveux et le cerveau.
À travers cette stratégie sonore, la musique, habituellement vectrice d’émotions et de culture, a été détournée pour devenir un instrument de contrôle et de souffrance, inscrivant Guantanamo parmi les lieux où le son a été utilisé comme un outil de coercition inhumain. Ces exemples, tirés de l’ouvrage Bad Vibrations de James Kennaway (2012), illustrent une constante : la musique, par sa capacité à contourner la raison, est une arme potentielle de contrôle
De la musique pour « faire acheter » ou calmer
Dans les centres commerciaux, elle est soigneusement sélectionnée pour influencer le comportement des consommateurs, en les encourageant à rester plus longtemps et à acheter davantage. Dans les supermarchés, des mélodies douces et lentes favorisent une déambulation paisible, tandis que dans les magasins de mode, des rythmes plus dynamiques stimulent l’énergie et la spontanéité des achats.
Certaines gares utilisent des musiques classiques ou apaisantes pour dissuader les comportements indésirables et limiter les attroupements. Par exemple, à Copenhague, des morceaux de musique classique sont diffusés à un niveau sonore élevé dans la gare afin d’éloigner les populations toxicomanes. En Île-de-France, la SNCF a expérimenté cette approche dès 2012, notamment en gare de Poissy, pour réduire les incivilités et le vandalisme. Cette initiative a ensuite été étendue à d’autres gares de la région.
Comment déjouer les risques?
Face à cette symphonie invisible, comment reprendre le contrôle ? D’abord, il faut apprendre à écouter autrement. Les signes d’une manipulation sonore ne sont pas toujours évidents, mais certains indices se détachent : une sensation de malaise diffus sans raison apparente, une fatigue mentale après une écoute prolongée, ou une répétition excessive qui engourdit la réflexion. Les infrasons se trahissent parfois par une pression physique, un léger bourdonnement dans le corps plutôt que dans les oreilles. Les battements binauraux, eux, demandent une écoute au casque pour être pleinement actifs – un premier réflexe est donc de privilégier les haut-parleurs.
Ensuite, la diversification des sources musicales est un excellent moyen de ne pas nous faire piéger. S’éloigner des hits formatés pour explorer des artistes indépendants ou des genres moins standardisés – folk acoustique, jazz improvisé – réduit l’exposition aux productions suspectes. Éviter les bars et les restaurants où la musique tourne bruyamment en boucle. Des outils technologiques existent aussi : des applications d’analyse sonore, comme Sonic Visualiser, permettent de détecter les fréquences inhabituelles dans une piste. Enfin et surtout, la pratique d’une conscience éveillée de façon permanente, invite à observer nos réactions émotionnelles face à la musique. Pourquoi ce refrain me hante-t-il ? Pourquoi cette mélodie me laisse-t-elle vide ou me rend euphorique ? Que me dit mon corps lorsqu’il est exposé à telle ou telle musique ?
La musique pop n’est pas une ennemie, mais elle n’est plus une simple amie. Sous ses airs innocents, elle porte parfois les échos d’un passé où le contrôle mental était un objectif assumé. Beyoncé, Lady Gaga et leurs pairs ne sont peut-être que des pions dans un jeu plus vaste, orchestré par des producteurs et des ingénieurs du son fascinés par le pouvoir des fréquences. À nous, auditeurs, de déchirer le voile du son pour en reprendre la maîtrise.
Comme l’écrivait Oliver Sacks dans Musicophilia, la musique peut être «une force libératrice ou une cage dorée». À nous de choisir sur quelle fréquence nous voulons danser…