Élections: la liste des anomalies et des idées pour y remédier

Discriminations, erreurs, opacité, manque de recours. En France et en Belgique, citoyens et "petits partis" accusent le système.

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Au sein des systèmes de démocratie parlementaire, les élections sont censées être organisées de manière libre et équitable, c’est même un droit fondamental inscrit dans la Charte européenne des droits de l’homme. Pourtant, de nombreux citoyens estiment qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas. En France comme en Belgique, plusieurs forces politiques s’insurgent contre la manière dont les élections récentes se sont déroulées.

Qu’il s’agisse des règles qui déterminent la campagne et les votes, des innombrables irrégularités qui ont été rapportées, de l’opacité des processus et de la difficulté d’obtenir des voies de recours, la séparation des pouvoirs fait défaut et la question se pose: sommes-nous encore dans des États de droit?

Loin d’être exhaustif, le relevé de nombreuses “anomalies” dans ces deux pays voisins laisse apparaître des manquements à chaque étape du processus électoral. Et, même si cela semble illusoire, certains candidats appellent à annuler les élections, ne fût-ce que pour attirer la conscience collective sur les dérives en cours.

Ce tableau déplorable devrait, à tout le moins, conduire à repenser le processus électoral en profondeur, estiment ces mêmes acteurs politiques.

Freins lors de la constitution des listes

En Belgique, la plupart des nouvelles formations étaient dans l’obligation de récolter des milliers de signatures pour constituer des listes dans chaque circonscription électorale. Si cela fait en quelque sorte partie du jeu, de nombreuses formations politiques se sont plaintes du système informatique (nommé “Martine”) qui a “buggé” de manière constante et rejeté des centaines de candidatures sans que l’on comprenne pourquoi. Malheureusement, il n’était pas possible de faire les formalités par simples documents papiers. Ainsi, dès le départ, la technologie censée faciliter les processus a constitué un véritable obstacle qui a entravé la constitution de listes complètes dans le temps imparti.

Temps de campagne raccourci

En France, de nombreux partis ont été pris de court par la décision du Président qui a surpris toute la nation avec la dissolution de l’Assemblée et la tenue de nouvelles élections dix jours plus tard. Si la plupart des partis et des candidats n’ont même pas eu le temps de lancer une campagne, il est évident que le “camp Macron” a eu l’avantage de s’y préparer avant d’annoncer cette élection surprise.

En Belgique, la date des élections fédérales et régionales était connue depuis longtemps, puisqu’elles se tiennent en même temps que les élections européennes. Mais les partis élus précédemment ont eu le privilège de connaître leur numéro de liste deux semaines avant les autres (sans motif valable). Ceci leur a donné l’avantage de démarrer plus tôt la diffusion du matériel visuel, notamment les affiches et les publicités toutes boîtes.

Espace d’affichage réduit

En Belgique, les partis non élus précédemment ont souvent dû se partager des espaces d’affichage très limités, alors que les grands partis ont eu le loisir de s’étaler partout. Dans plusieurs communes, c’est l’administration en place qui se chargeait de l’affichage avec le matériel remis par les différents partis. De nombreux oublis et retards d’affichage ont été constatés au détriment des nouveaux candidats (qui avaient déjà 2 semaines de retard), mais ceux-ci n’ont pas pu y remédier, car ces communes imposaient des amendes sévères à ceux qui collaient eux-mêmes leurs affiches. En somme… certains se sont retrouvés “coincés”.

Le financement des partis

Il va de soi que le budget des partis joue un rôle majeur dans une campagne électorale.

En Belgique, les partis élus peuvent s’appuyer sur l’argent qui leur est attribué en dotation publique. En 2023, c’est une somme de 80 millions d’euros qui a été distribuée aux différents élus. Ceux-ci ont donc bénéficié d’un avantage structurel sur les petits partis pour faire leur campagne. En dépit de cette inégalité, les “petits partis” ont été soumis aux mêmes restrictions en matière de levée de fonds et de dépenses électorales (un particulier ne peut par exemple verser que maximum 500 euros par candidat et les entreprises ne peuvent pas contribuer).

Les nouveaux venus (ou l’opposition) sont donc discriminés par ces dispositions et réclament des mesures correctives, telles que par exemple l’attribution d’une part de la dotation publique ou des facilités pour lever des fonds durant la campagne (plafonds de donations plus élevés, déductions fiscales, etc.), ceci afin de pouvoir se présenter aux élections avec des chances égales.

Les sondages

En France, les instituts de sondage (IFOP, IPSOS, etc.) ont diffusé leurs prédictions jusqu’à la veille du scrutin en fin de journée, avec parfois des changements radicaux d’une heure à la suivante, en mettant en avant la menace d’une domination du Rassemblement National et de la droite radicale, entre les deux tours. Nul n’ignore l’influence énorme des sondages sur le comportement des électeurs, dont les votes expriment moins le soutien à des candidats ou à un parti que la peur de voir un ennemi remporter la victoire (les votes de barrage).

Pourtant, ces sondages sont de moins en moins crédibles. Comme l’explique Didier Maïsto, journaliste, ancien patron de Sud Radio, avec 20 d’expérience dans les sondages, lors d’un entretien sur Tocsin, leurs méthodes ont sensiblement changé.

Aujourd’hui les questionnaires sont confiés à des sous-traitants qui opèrent essentiellement sur internet, sans critères solides. La plupart des enquêteurs ne font plus des entretiens en face à face avec les sondés, et les panels qui étaient soigneusement sélectionnés pour refléter la diversité de la population sont nettement moins représentatifs (souvent ce sont des panels associés à des achats en ligne). Tout ceci rend la qualité des sondages plus difficile à vérifier.

Et, bien entendu, il ne faut pas perdre de vue que les instituts de sondages sont tributaires de leurs commanditaires, et donc de la couleur politique des médias et de leurs actionnaires. Alors que faire?

Pour Didier Maïsto, il faudrait instaurer un véritable contrôle de qualité des sondages politiques et imposer des pénalités, lorsque ceux-ci dévient trop de la marge d’erreur acceptable.

Lors de la même discussion sur Tocsin, François Asselineau, président de l’UPR, est même allé plus loin, en se demandant si finalement “il ne faudrait tout simplement pas interdire les sondages électoraux? À quoi servent-ils en réalité, si ce n’est à orienter l’opinion et le comportement des citoyens?”

En Belgique, c’est surtout l’exclusion de certains partis des sondages qui a été relevée. Tout au long de la campagne, les médias ont commenté des chiffres dont les “petits partis” étaient absents, même s’ils avaient pourtant des listes électorales complètes.

Le boycott des médias

Nul n’ignore leur rôle décisif dans les élections. L’influence de la presse s’exerce non seulement dans la manière d’encenser ou de diaboliser certains partis ou candidats, ou dans la formation de l’opinion via les sondages, mais aussi et surtout dans la visibilité qui leur est accordée. Le boycott médiatique est aujourd’hui le principal obstacle auquel les opposants aux majorités en place sont confrontés.

Aux États-Unis, après plus d’une année de campagne et malgré de nombreux recours en justice contre les médias, le 3ème candidat Robert Kennedy, Jr est toujours absent sur les grandes chaînes. Aucun temps de débat ne lui a jamais été accordé.

En Belgique, plusieurs partis se sont aussi vu refuser l’accès aux médias de service public, malgré leurs demandes répétées d’intervenir. Le parti flamand Voor U a même saisi le tribunal des référés pour forcer quelques instants d’audience sur la chaîne publique VRT. La justice leur a donné raison en vertu du devoir de pluralité et d’impartialité qui incombe aux médias, mais les effets de cette décision sont restés fort limités.

L’on sait que ce sont les partis en place qui siègent au Conseil d’administration des médias de service public, raison pour laquelle le gouvernement se retranche un peu facilement derrière la liberté de la presse pour ne pas intervenir.

Imposer du temps médiatique

L’organisation d’élections libres et équitables par les gouvernements en place est un devoir inscrit dans la Charte européenne des droits de l’homme. En cas de manquement à leur devoir de pluralité, les pouvoirs publics devraient donc prévoir des sanctions pour les médias de service public.

L’avocat de Voor U a également évoqué une décision particulièrement intéressante de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans le cadre des élections menées en Turquie. La Cour avait estimé que lorsque des partis politiques sont défavorisés par le fait de ne pas bénéficier de financement d’État, le gouvernement qui organise les élections est dans l’obligation de prendre des mesures correctives pour permettre aux partis non financés par dotation publique d’avoir des chances égales durant la campagne.

La principale ‘correction’ à mettre en oeuvre étant de s’assurer que ces partis bénéficient d’une couverture médiatique suffisante (voir l’arrêt Özgürlük ve Dayanisma Partisi c. Turquie du 10 mai 2012).

Selon Maître Verstraeten, son gouvernement devrait donc, si nécessaire, acheter du temps d’audience sur les chaînes publiques pour garantir une visibilité équitable à tous les partis.

Bien entendu, comme le rappelle le mouvement Collectif Citoyen, il y a aussi urgence à placer le “4ème pouvoir” sous un contrôle indépendant, puisque les médias de service public sont financés avec l’argent de la collectivité. Instaurer une commission composée de professionnels et de citoyens tirés au sort, avec un mandat annuel pour encadrer les services audiovisuels serait déjà un pas de géant pour retrouver un espace démocratique.

Le parti flamand Voor U a dû faire intervenir la justice pour obtenir un passage minimal dans les médias de service public.

Les votes électroniques

La question de la manipulation des votes est particulièrement illustrée par les différences enregistrées entre les résultats des votes électroniques en ligne (en France), les votes électroniques en bureau avec des “machines de vote” (en France et en Belgique) et les votes par bulletin papier (Belgique, France).

En France, certains candidats ont vu des différences notoires entre leurs scores selon ces deux méthodes. Exemple frappant: le député LR hors de France Meyer Habib a par exemple obtenu 56,8% des voix dans les votes à l’urne, et seulement 44,7% au vote électronique.

Ensuite le vote électronique commence plus tôt que le vote aux urnes, mais ses résultats ne sont communiqués qu’après ceux des urnes. Les votes électroniques représentant 50 à 80% des votes, la question a donc une énorme importance. Par ailleurs, il est étrange d’observer que plusieurs partis (RN, LFI, Asselineau) ont vu leur score baisser de manière systématique entre les résultats des urnes et ceux des votes électroniques, en particulier dans les 11 circonscriptions des français à l’étranger (où, de manière surprenante, les candidats du camp macroniste ont fait un bond).

En Belgique, près de 230 machines de vote sont tombées en panne, dans 175 bureaux électoraux. Alain Maingain, bourgmestre de la commune de Woluwe-Saint-Lambert et ancien président du parti Défi, qui a perdu 4 sièges sur 10, a décrit les faits:

Nous avions fait le contrôle le jour précédent. Tout fonctionnait bien. Dimanche matin, par contre, énorme bug. Nous avons dû attendre l’intervention de la société agréée par le Ministère de l’Intérieur. Cela a pris du temps parce que des problèmes ont aussi surgi dans d’autres communes. Les problèmes techniques ont touché 10 bureaux sur 31!

Les retards ont provoqué des files interminables, la prolongation de l’ouverture des bureaux et l’abandon de nombreux électeurs. Finalement, on en vient donc à souhaiter le retour du vote papier, comme le bourgmestre de cette commune.

Les votes par procuration

En décembre 2023, le député René Pilato avait interpellé le ministère de l’intérieur français sur le fait que la vérification du registre des procurations avait été rendue impossible par une série de décrets et que le temps imparti n’était pas suffisant. L’enquête ‘post-électorale” qu’il avait menée ensuite dans sa circonscription avait montré que près de la moitié des procurations étaient fausses.

Or, cette question revêt une énorme importance, puisque le nombre de procurations utilisées vient d’atteindre un chiffre record, pour ne pas dire suspect: soit 3,3 millions au 1er tour et 2,2 millions au second tour; un chiffre surprenant puisque les électeurs ont aussi la possibilité de s’exprimer par des votes en ligne.

Hors contrôle

Comme le dit François Asselineau:

On a le sentiment, pendant des décennies, que les pouvoirs publics ont essayé de rechercher honnêtement de recueillir la volonté des français, en supprimant tout ce qui pouvait truquer les votes. C’est tellement vrai qu’il y a 20 ans, les votes par correspondance avaient été interdits, en raison du nombre de fraudes.

Depuis une vingtaine d’années, c’est le phénomène inverse. On a l’impression que les pouvoirs publics s’ingénient, sous couvert de modernisation, à faire tout ce qui est possible pour que l’on ne puisse rien vérifier du scrutin. Les machines à voter, le transfert et la centralisation des votes (qui a même été effectué aux États-Unis sous Sarkozy), l’impossibilité de vérifier les votes en ligne. On ne sait rien de rien.

A la recherche de voies de recours

En Belgique, au début de la campagne, le parti Voor U avait été contraint de déposer une plainte au Bureau des institutions démocratiques et des droits humains de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe à Varsovie, afin d’interpeller le gouvernement belge dans le cadre des discriminations exercées envers les petits partis durant la campagne.

En France, François Asselineau porte plainte au Conseil constitutionnel pour deux motifs: il s’insurge contre l’impossibilité de faire campagne en 9 jours de temps, et il dénonce l’opacité et le manque de contrôle des votes électroniques. Il exige donc l’ouverture d’une enquête de police, non seulement sur les rapports de bureaux de vote, mais aussi sur le code source des applications de vote électronique.

Cela étant dit, le président de l’UPR rappelle qu’il est difficile de trouver une instance de contrôle indépendante. En effet, la question est bien de savoir comment l’on peut s’adresser à un organe de contrôle indépendant qui ne soit pas juge et partie.

En Belgique aussi, au lendemain des élections, plusieurs partis (notamment Collectif Citoyen, Voor U, Team Fouad Ahidar, Transparentia) ont exigé d’être entendus devant une Commission de vérification des pouvoirs pour exposer les discriminations dont ils ont été victimes. Principal hic: ce sont des parlementaires fraîchement élus qui sont chargés de vérifier la validité de leur propre élection.

Souvent présentée comme un modèle de démocratie, la Belgique s’apparente ici aux républiques bananières. C’est d’autant plus sérieux qu’elle a déjà été pointée pour ce motif par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 2 mars 2010 (dans l’arrêt Grosaru c. Roumanie), que les gouvernements successifs n’y ont rien changé et qu’elle a été condamnée pour l’absence de possibilités de recours en 2019, (CEDH arrêt G.K. c. Belgique, 21 mai 2019) et en 2020 (affaire Mugemangango c-Belgique). En principe, le droit international prime et la Belgique est dans l’obligation d’instaurer un organe indépendant de vérification des pouvoirs.

C’est pourquoi les partis lésés qui citent l’État belge au tribunal envisagent aussi de demander des sanctions internationales contre leur pays.

Leçons réciproques

Le président de la Hongrie Viktor Orban entend bien donner des leçons à l’Europe

On imagine le surréalisme de la situation si ces partis se tournent vers la présidence de l’Union européenne, en la personne du hongrois Viktor Orban, pour lui demander d’imposer des sanctions à la Belgique, qui viole les règles démocratiques dans le cadre des élections nationales… d’autant plus que le commissaire européen en charge de la protection de l’État de droit est le belge Didier Reynders, dont le parti vient justement de triompher aux élections contestées.

La situation est risible, mais éminemment révélatrice du mal-être de nos démocraties. Toutefois, faire intervenir les organisations supranationales dans la vérification des pouvoirs d’une nation n’est peut-être pas une solution souhaitable pour des citoyens qui cherchent à reprendre le pouvoir qu’on leur confisque.

Pour beaucoup d’électeurs en colère, il n’y a en réalité qu’une seule solution: annuler les élections et recommencer le tout avec des règles décentes.