“Il faut passer d’une économie de guerre à une économie de paix, les médias doivent y contribuer!”

Une course contre la montre s'est engagée pour mobiliser les journalistes en vue de créer un contre-pouvoir face aux complexe militaro-industriel. Notre interview d'un pacifiste allemand, le producteur de cinéma Jimmy Gerum.

Partager

L’humanité ne peut plus continuer dans une logique de guerre. Pour faire cesser les conflits, il faut mettre fin aux mensonges et à l’hypocrisie des médias qui les alimentent. Il est temps de rallier les journalistes du monde entier au renouement d’un dialogue de paix et de vérité. Nous sommes 8 milliards d’êtres humains à le vouloir, nous pouvons le faire !

L’allemand Jimmy Gerum a lancé une véritable course contre la montre pour mobiliser les journalistes et activistes tout autour de la planète, afin de créer un contre-pouvoir citoyen face aux politiques meurtrières du complexe militaro-industriel. Porté par l’élan de l’initiative Leuchtturm pour rétablir un dialogue médiatique dans les pays germanophones, il tente de rassembler les forces vives partout ailleurs, via la plateforme Lighthouse Media Evolution.

Propos recueillis par la journaliste Senta Depuydt

“Il y a en ce moment 240 conflits armés!”

Senta Depuydt: Jimmy Gerum, à la base vous êtes producteur de cinéma, mais vous avez mis toutes vos activités de côté pour vous consacrer à cette mission de paix et de vérité. Alors de quoi s’agit-il ?
Jimmy Gerum: Selon le centre de recherche sur les conflits en Allemagne, il y a en ce moment dans le monde 240 conflits armés, pas seulement l’Ukraine ou Gaza. Certaines guerres sont médiatisées, parce qu’elles servent les intérêts économiques et géopolitiques de quelques individus puissants, d’autres sont ignorées de tous. En ce moment la population est sidérée par la diffusion quotidienne des atrocités et des discours de propagande liés aux conflits. Cela alimente les idéologies et crée la division au sein des peuples. L’amplification et la polarisation constante du conflit par les médias contribue à générer encore plus de violence et à précipiter le monde vers une troisième guerre mondiale. Il n’y a pas de temps à perdre, il faut tout mettre en oeuvre pour créer un changement.

Je pense qu’avant tout, il y a une vision à transmettre. Il faut accompagner l’humanité vers un saut de conscience éthique :  pour survivre, ce monde doit passer d’une économie de guerre à une économie de paix durable.

En effet, la situation actuelle est catastrophique, les enfants et les civils en payent clairement le prix. Les seuls gagnants dans cette situation semblent être les banquiers et le complexe militaro-industriel. Pouvons-nous faire quelque chose?
Collectivement, nous avons un pouvoir énorme, celui de partager l’information. Cela devient difficile, à cause de tous les moyens qui sont mis en œuvre pour empêcher les gens de comprendre les véritables enjeux derrière les événements. Vous savez, les lois de censure comme le Digital Service Act, les ‘fact checkeurs’ ou les consortiums comme le Trusted News Initiative sont dissuasifs à ce niveau… mais pour l’instant, c’est encore possible. Et la bonne nouvelle, c’est que nous pouvons tous le faire sans que cela ne coûte un centime!

Les médias doivent redevenir le 4e pouvoir

Quel est le rôle des médias dans tout cela?
Le journalisme doit redevenir le 4ème pilier du pouvoir. Il lui incombe de contrôler le pouvoir politique en informant le public de manière ouverte et équilibrée sur les enjeux qui se déroulent à l’arrière-plan de l’actualité. Malheureusement, cela n’existe plus dans le service public, ni dans les grands groupes de presse. Par contre, on peut dire que depuis une décennie, il y a des canaux d’information très pointus sur internet, grâce au journalisme indépendant. Le problème, c’est qu’une grande partie de l’opinion publique reste sous l’influence du mainstream, qui est au service de cette économie de guerre.

Mon objectif est de faire appel au sens éthique des journalistes. Si nous voulons changer le monde, il faut s’engager à respecter les principes déontologiques existants : apporter des informations véridiques, équilibrées, et oser dénoncer les intérêts particuliers qui sont derrière les politiques guerrières.

C’est un beau projet, mais concrètement comment s’y prendre ? De mon expérience personnelle, cela fait 10 ans que je suis confrontée en permanence à la censure. Vous savez comme moi que les médias sont aux mains de quelques milliardaires et que les agences de presse et les grands titres sont dirigés par les services de renseignements.
Oui bien sûr. Et non seulement il y a la censure, mais il y aussi le problème de l’auto-censure et de l’endoctrinement des journalistes. C’est tout le défi ! Notre initiative consiste à forcer le dialogue avec les chaînes publiques. En Europe, nous avons la chance d’être dans des pays où l’information est un service public financé par l’argent des citoyens. Ces médias ont donc l’obligation d’être neutres et de fournir des informations équilibrées. Cela n’est pas le cas, mais nous devons les y forcer.

“Ils n’ont pas conscience d’être dans un moule”

Oui c’est la même situation dans la plupart des pays d’Europe. Alors, concrètement qu’avez-vous fait?
Eh bien nous avons lancé des protestations citoyennes devant leurs portes! À partir du 14 juillet 2022 (en référence à la prise de la Bastille), nous sommes venus nous planter devant les rédactions chaque samedi. Nous leur avons envoyé des courriers, nous les avons invités à des conférences et nous les avons exhortés à participer à des tables rondes avec des journalistes indépendants. Au début ils nous ignorés. Mais après plusieurs mois d’insistance, nous avons réussi à organiser une vingtaine de tables rondes avec des journalistes du réseau public. C’était intéressant. En réalité, ils n’ont que très peu de connaissances au sujet des informations critiques ou des sources alternatives. Ils n’ont pas conscience d’être dans un moule, d’avoir des idées formatées ou de ne servir que des intérêts ou des agendas particuliers. C’est pourquoi, il est essentiel d’obtenir et de poursuivre un dialogue pacifique entre journalistes. J’insiste sur l’importance d’avoir une véritable discussion cordiale et de ne pas tomber dans la violence verbale.

Au début nous étions dans 50 villes, à présent il y a plus de 200 villes en Allemagne où la presse locale reçoit chaque semaine des invitations à participer à des débats, des conférences ou des événements qui contribuent à cette vision du futur. Que ce soit une initiative en faveur de la paix, de la vérité ou pour découvrir un projet porteur d’avenir. Maintenant il faut que cela se répande ailleurs, que des milliers d’éditeurs dans le monde soient interpellés pour rétablir un dialogue médiatique. Nous devons leur faire comprendre que nous avons le droit de recevoir une information loyale et équilibrée en vertu de la déontologie journalistique et qu’ils doivent cesser de servir une économie de guerre.

Donc en Allemagne cela a fonctionné?
En réalité, cela a marché pendant un certain temps. Mais après l’une ou l’autre table ronde, les rédactions ont reçu des ordres d’en haut et n’ont plus pu y participer. En attendant, nous continuons de les inviter. D’une part cela leur permet de réaliser qu’ils passent à côté de beaucoup de choses. Et puis, ce qui est très important, c’est que cela permet d’échanger toutes ces informations entre nous. Nous avons absolument besoin d’échanger nos idées, nos événements, nos manifestations, tout ce que nous créons. Même si les médias traditionnels nous ignorent, en nous unissant, notre force sera de nous informer mutuellement et de gagner progressivement une partie de l’opinion publique.

“Chacun doit agir dans le monde, là où il est!”

Dans la pratique, que faites-vous pour cela?
Depuis 3 mois, j’ai commencé à contacter des groupes de militants et de médias indépendants sur différents continents. Chaque semaine, je parle à des centaines de personnes. Nous disposons déjà d’un certain nombre de ressources. Il y a les associations qui créent des conférences, des manifestations, des événements et puis il y a les indépendants qui ont leur propre lettre ou canal. Nous sommes en train de créer une campagne, chaque journaliste peut y contribuer. L’important n’est pas d’imposer notre vérité, mais de dire: ‘nous avons le droit d’avoir une information objective et équilibrée’. Nous avons le droit à ce que plusieurs points de vue soient représentés. Et là-dessus, ils sont obligés d’être d’accord. Tant que nous restons pacifiques, tans que nous restons dans un dialogue, on ne peut pas nous arrêter.

Mais l’évolution principale doit venir de l’intérieur. C’est à nous de garder un ton juste, de ne pas répondre aux provocations, de ne pas verser dans la caricature et de continuer à vérifier et confronter nos informations.

La plateforme Lighthouse Media Evolution vient d’être créée pour rassembler toutes les initiatives sur une carte du monde. Il suffit de cliquer sur un endroit de la carte où un drapeau signale un événement. Il y a aussi le rappel des principes de déontologie journalistique. L’objectif est d’y inclure les adresses de toutes les rédactions, de manière à ce que chacun puisse les solliciter et les inviter à travers ses outils. En langue allemande nous avons en ce moment environ 200 événements et les adresses de 3500 médias, répartis sur l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. Bien-sûr, l’outil n’en est qu’à ses débuts, je cherche des volontaires pour développer la partie informatique et pour étoffer les contenus dans différentes langues.

Pour l’instant je sais qu’il y a déjà des centaines de milliers de personnes qui ont visionné ce projet, mais je vois qu’il y un temps de latence avant qu’elles ne passent à l’action. Beaucoup de gens sont divisés et découragés. Il faut rebooster leur confiance et leur faire comprendre que c’est l’occasion d’aller de l’avant, de faire évoluer une stratégie pour sortir de leur routine et de leur bulle de communication. Et il est aussi important que ce soit entièrement gratuit et bénévole.

Mais vraiment, le principal c’est avant tout de transmettre cette idée et d’inviter chacun à agir là où il est. La famille humaine du 21e siècle n’a aucun intérêt à cette violence. Il ne faut pas se laisser entraîner dans le ‘porno de la peur’ des médias. Nous devons garder une vision positive du futur et manifester notre potentiel créatif. Et cela contribuera à nous unir, plutôt qu’à nous diviser !