Aidez-nous à poursuivre notre mission en 2025! Objectif de notre financement participatif: 144'000 chf (150'000 €) - 68.86% atteints

Le crédit social arrive en Europe

Tous surveillés, tous suspects? Le contrôle des individus à la chinoise fait son chemin dans les pays démocratiques.

Partager

par Covidhub

Le sociologue Laurent Mucchielli offre sa tribune sur le média en ligne Quartier Général aux chercheurs Pauline Elie et Pierre-Antoine Chardel, spécialistes du phénomène du crédit social. Tour d’horizon de ce qui pourrait nous attendre en Europe.

Le crédit social: quelles sont ses origines, ses justifications, ses ramifications, ses implications – et vers quelle société nous amène-t-il, en Europe aussi? Le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, a invité Pauline Elie, doctorante en droit et philosophie, et Pierre-Antoine Chardel, professeur de sciences sociales et d’éthique, à décrire la marche vers le contrôle des individus dans le Vieux-Continent.

En 2019, Mucchielli était interrogé dans le documentaire d’ARTE Tous surveillés: 7 milliards de suspects (vidéo ci-dessous). Covidhub vous propose quelques éléments clefs tirés de ce film, ainsi que de l’article des deux chercheurs Surveillance numérique des populations: vers un «crédit social» en Europe ?

  • Un autre documentaire datant de 2022, Ma femme a du crédit, suit le quotidien teinté de crédit social de Lulu Le Belzic, l’épouse chinoise d’un journaliste français vivant à Pékin depuis 2007.

Les origines

La Chine est peut-être le premier pays à mettre en pratique ce concept. Mais peu de gens savent que c’est en s’inspirant des mécanismes occidentaux permettant de déterminer la solvabilité des gens que les Chinois développent le crédit social au début des années 2000, en élargissant ses paramètres et ses applications.

Match retour aujourd’hui avec des régimes dits démocratiques qui rêvent eux aussi de contrôler leur population, pour optimiser les comportements et maximiser les profits de leurs industries phares, en gagnant au passage les moyens de museler toute éventuelle opposition.

Le “soft power”

Les deux chercheurs évoquent le soft power. Une manière dirigiste de gérer une population qui “ne repose pas sur la contrainte mais, sur la séduction, la convivialité et le plaisir.” afin que les citoyens fassent «volontairement beaucoup de choses que les pouvoirs totalitaires cherchaient à imposer par la force et la violence ou la peur». La politique des petits pas va de pair avec l’introduction de ces nouvelles manières de gérer les masses, ce qui rend plus difficile la critique et le débat.

De l’incitatif vers le punitif

Dans les modèles européens, comme à Rome et Bologne avec le Smart citizen wallet (portefeuille du citoyen intelligent), les citoyens obtiennent des points pour des gestes jugés écologiques, par exemple lorsqu’ils garent correctement leur trottinette électrique ou trient méticuleusement leurs déchets. Les points pourraient ensuite servir à obtenir des tarifs préférentiels pour certains services, en partenariat avec des entreprises privées.

Le modèle chinois, parti pour être incitatif, vire de plus en plus vers une moralisation punitive de la vie sociale. Un mauvais citoyen se voit empêché de voyager, d’obtenir un prêt ou même d’étudier.

Dans un contexte de déclaration de crise climatique, il est fort probable que le système mis en place soit utilisé par les autorités de manière punitive, en Europe aussi. Qui contrôlera alors la proportionnalité des mesures et le risque d’abus?

En Europe aussi

“La Commission européenne propose un portefeuille européen d’identité numérique ainsi qu’une législation introduisant la notation sociale des citoyens” peut-on lire plus loin dans l’article. Ce portefeuille “rendra possible l’authentification sur les plateformes numériques privées et contiendra état civil, diplômes, informations financières, données des entreprises, voire le certificat Covid numérique”. Cela rappelle la loi votée en Suisse récemment par le parlement, qui obligera quiconque veut utiliser une plateforme vidéo comme Youtube ou Facebook à s’identifier formellement auprès de ces entreprises, pour vérifier leur âge et ainsi “protéger la jeunesse de contenus inadéquats”.

Avancées technologiques mais déficit démocratique

La notation de chaque citoyen est aujourd’hui techniquement possible grâce à une centralisation massive des données vers les serveurs étatiques pour le cas de la Chine. En Europe, de grands acteurs de l’industrie militaire, comme Thales, sont dans la course pour proposer leurs services aux collectivités publiques.

Ces initiatives sont rarement débattues dans l’espace public avec les populations concernées. Elles sont souvent le fruit de chocs de société comme le drame de Nice en 2016, où un terroriste a tué 86 personnes et en a blessé presque 500 en roulant dans la foule avec un camion.

Selon le maire, cet acte justifie la surveillance généralisée de la population à l’aide de caméras capables de reconnaissance faciale. Pour Laurent Mucchielli, ces réflexes sont plutôt à placer dans la case des paranoïas.

Certes, le massacre au camion était terrifiant. Cependant, si on ramène ces 86 morts aux 600’000 décès par an qui surviennent en France,  on peut aussi faire le constat suivant: sachant qu’un décès sur cinq est lié à la malbouffe, les autorités niçoises auraient certainement sauvé plus de vies en prohibant certains aliments dans l’espace public plutôt qu’en surveillant leurs citoyens.

Les identités multiples

Jusqu’à présent, pour minimiser le risque que des informations inappropriées atterrissent au mauvais endroit, par exemple pour que nos données médicales ne soient pas accessibles à notre employeur, la société avait recours aux identités multiples: chaque secteur gère sa base de données, indépendamment des autres.

Autrefois cette pratique était facilitée par les limitations technologiques, qui aujourd’hui n’existent plus. Il serait bien entendu toujours possible de faire appel à des identités multiples, mais ce n’est pas la voie qui est préconisée politiquement et par les industries impliquées dans les coulisses. Le contrôle global de chaque citoyen, politique, économique, la perte de nos intimités passe par des serveurs centralisés qui savent tout de nous, de nos habitudes et de nos pensées, pour mieux “guider” nos actes.

Des résistances

Certaines communautés se rendent bien compte de leur responsabilité face à une dérive totalitaire. Ainsi la ville de San Francisco, au vu des développements en Chine, renonce volontairement à mettre en œuvre une partie de ces technologies, comme la reconnaissance faciale.

Mais actuellement, ces prises de conscience politiques sont plutôt l’exception que la règle. Avec le passeport sanitaire ou un éventuel passeport “vert”, la voie est ouverte à d’autres expérimentations qui peuvent paraître anodines. Mais une fois en place, si elles et tombent dans de mauvaises mains politiques, elles pourraient être facilement détournées au profit d’une idéologie dominante.

“Les gens en viendront à aimer leur oppression, à adorer les technologies qui annulent leur capacité à penser”. Aldous Huxley

Articles connexes

Une rescapée de la Shoah: le Covid mène aussi au totalitarisme

JD Michel parle du totalitarisme au Courrier des Stratèges

POINT DE VUE – Le totalitarisme sanitaire s’installe en France