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(Note de l’éditrice : certains éléments de mise en page ont été modifés par la rédaction de CovidHub)
Fer de lance d’une stratégie anti-Covid mesurée, la Suède s’est inscrite en exception face à une Europe confinée. Aujourd’hui, les prédictions les plus sombres de ceux qui fustigeaient “l’imprudence” du gouvernement de Stockholm ne se sont pas réalisées et la Suède a déserté l’attention de la presse internationale. Tandis que le reste de l’Europe affronte sa énième vague, le pays nordique semble avoir tourné la page Covid. Il fallait donc se rendre sur place, afin de constater le résultat des décisions prises et leur impact sur la santé, au sens large, de la population. Aujourd’hui, la Suède a-t-elle éradiqué l’épidémie?
«La Suisse affronte désormais sa 5e vague Covid», titrait 24h début novembre. La RTS lui emboitait le pas récemment en affirmant que le pays s’approche de la situation de l’hiver dernier. Les Pays-Bas reconfinent. La Norvège ressort l’artillerie lourde des mesures, dont le pass sanitaire. En France, Emmanuel Macron espère contrer la 5ème vague avec une troisième dose. Si bien qu’on en est à se demander jusqu’à combien on va encore devoir compter ainsi.
Recherche de certitudes avant d’inquiéter inutilement la population
En Suède, on est pragmatique. Encore et toujours.
Interrogé sur l’existence d’une nouvelle vague dans le pays la semaine dernière, Anders Tegnell, le Monsieur Covid suédois s’est fendu de la réponse suivante: «Comme je l’ai répété à plusieurs reprises auparavant, on ne sait pas si l’on est ou non dans une vague avant de l’avoir surmontée. Nous observons une légère augmentations des cas, mais il va falloir attendre de voir ce qui se passe avant de l’appeler ou non une vague.»
Ce flegme et cette recherche de certitudes avant d’inquiéter inutilement la population représentent à merveille la stratégie empruntée par l’Etat scandinave depuis le début de cette crise. La stratégie qui a permis à ses citoyens d’oublier le Covid.
Le Covid “n’est plus un sujet de conversation”
En effet, depuis que les quelques maigres restrictions ont été levées, fin septembre, l’affaire semble de l’histoire ancienne pour les Suédois. «Je m’aperçois qu’on n’en parle même plus lors de soirées entre amis, me raconte Charlotte, la jeune ingénieure française chez qui j’ai passé les premiers jours de mon trip nordique. Ce n’est plus un sujet de conversation». Même son de cloche auprès de Victor Malmcrona, journaliste local: «C’est assez étonnant de voir à quelle vitesse les choses sont revenues à la normale».
Anders Tegnell, un homme lambda en jeans baskets, a inspiré confiance
Contrairement à la France, à la Suisse et à la plupart des pays du monde, le gouvernement suédois n’est pratiquement pas intervenu dans la gestion de la crise sanitaire.
C’est l’autorité de santé publique, la Folkhälsomyndigheten, notamment incarnée par Anders Tegnell, qui s’est occupée de tenir la population informée et de faire des recommandations. Donnant ainsi un visage plus humain au cadrage nécessaire durant cette période inhabituelle. De nombreux Suédois interrogés se sont dit très sensibles au fait que ce soit un homme en apparence lambda, en jeans-baskets, qui les tenaient au courant de la situation de façon quasi-quotidienne, les enjoignant à tel ou tel comportement le cas échéant. Plutôt que d’austères politiciens en costards. Il leur a inspiré confiance.
Le port du masque n’a été que très brièvement recommandé dans les transports
Les scientifiques suédois se sont basés sur l’un des principes fondamentaux d’Hippocrate: Primum non nocere. Ne pas nuire. Que ce soit à la santé dans le sens général du terme, y compris la santé mentale, l’économie ou la société dans son ensemble.
Une balance de ces différents éléments a guidé la stratégie suédoise. Ainsi, les seules mesures officielles étaient le lavage des mains et la distanciation sociale. Le port du masque n’a été que très brièvement recommandé dans les transports, aux heures de pointe. Les autorités ont estimé que son obligation aurait pour effet une négligence du respect des distances et qu’il ne serait de toute façon pas très utile puisque porté n’importe comment. «Il n’y a pas eu d’allers-retours dans les mesures, cela a été crescendo. Ce qui a évité beaucoup de confusion», explique Charlotte.
“Nous avons davantage réfléchi aux dommages collatéraux”
«Nous arborons cette drôle d’attitude moderne de considérer la mort comme un échec plutôt que comme une partie de la vie, explique Johan Norberg, écrivain suédois et senior fellow du think-tank libertarien Catho Institute. Cependant, ce coup-ci il semblerait que nous n’ayons pas paniqué, mais davantage réfléchi aux dommages collatéraux. Oui, des gens souffrent du Covid, mais si nous fermons tout, plus encore de gens perdront leur éducation, d’autres formes de santé, souffriront de solitude, de maux psychologiques, sans parler des suicides.»
Bien loin du «nous sommes en guerre» français et de l’obligation d’avoir des attestations pour justifier ses moindres mouvements, le fait que les mesures sanitaires suédoises aient été communiquées sous forme de recommandations et non d’injonctions aurait poussé les citoyens à se responsabiliser et à prendre leur destin en mains.
Confiance envers les autorités
«Les Suédois ont une longue tradition de suivi des conseils des autorités ; en partie parce qu’ils n’ont jamais été conquis par des étrangers ou des aristocrates, de sorte que le gouvernement semble constitué de gens comme vous et moi, et non comme un exploiteur extérieur, pour le meilleur et pour le pire, explique Johan Norberg. Et cela vaut également pour les conseils des autorités sanitaires. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons accepté l’ouverture de notre société pendant la pandémie, avons appliqué la distance sociale volontairement, et n’avons pas exigé de fermetures.»
Focus sur l’immunité naturelle
Les autorités suédoises ont très vite compris que le seul moyen de se débarrasser au plus vite de ce virus était de bâtir une solide immunité naturelle. C’est pourquoi ils ont renoncé aux confinements stricts pour permettre au Covid de circuler et ainsi éviter les vagues successives rencontrées dans d’autres pays européens.
En effet, s’ils sont beaucoup plus vaccinés qu’en Suisse (81,3% des 16 ans et plus ont reçu deux doses), les Suédois sont surtout immunisés davantage contre la maladie: «Les récentes analyses de sang sur un total de 2959 personnes vivant dans huit régions différentes de Suède révèle des anticorps contre le Covid chez 75,6% d’entre elles», relate l’Agence de santé publique du pays, interrogée sur la question.
“La Suède n’a jamais eu l’ambition de se débarrasser complètement du virus”
La semaine dernière, les «cas» dénombrés en Suède s’élevaient à 706, contre plusieurs milliers en Suisse. Jusqu’à aujourd’hui, le royaume du Nord a enregistré 1’179’192 «cas», 7939 personnes en soins intensifs et 15’065 morts. Soit 1,500 par million d’habitants, alors que la moyenne européenne est à 1,800.
«La Suède a moins de morts que la plupart des pays européens, ce qui tend à prouver que la distanciation sociale fonctionne et que les pays qui ont imposé le confinement n’ont fait que retarder les décès, pas les stopper, selon Johan Norberg.
Le fait que la Suède n’a jamais eu l’ambition désespérée de se débarrasser complètement du virus, contrairement à beaucoup d’autres nations, signifie qu’on a désormais l’impression de pouvoir tourner la page. La plupart des pays font des allers-retours dans leurs mesures, en ouvrant et en refermant sans arrêt, mais nous avons appris à faire différemment.»
Sur le plan économique également, la Suède est la nation européenne qui a le plus de facilité à se remettre de la pandémie.
La stratégie suédoise cible de nombreuses critiques au début de la pandémie
Susie semble rassurée que je ne sois pas là pour rajouter une couche d’angoisse autour de cette histoire.
Derrière le bar du O’Learys, où elle distribue les pressions d’une main experte, Susie me fait part de son avis, entre deux clients. Elle n’est pas vaccinée, n’a pas l’intention de le faire, et estime que toute cette histoire va beaucoup trop loin. Elle ne faisait (vraiment) pas partie de ces Suédois qui ont critiqué la stratégie de leur pays – au début de la pandémie – la considérant trop laxiste.
«J’ai le sentiment que les Suédois auraient aimé que le gouvernement soit plus strict. En particulier parce qu’ils voyaient ce qu’il se passait ailleurs, raconte Nicole, directrice d’une école internationale. Ce n’est pas évident d’être dans le seul pays du monde à suivre une autre route».
Victor Malmcrona confirme: «Beaucoup de gens voulaient des actions plus directes, mais il n’existait pas de loi pour permettre au gouvernement de mettre en place un confinement, par exemple. Il y a eu des modifications de la loi plus tard, mais je pense qu’il était plus rassurant que ce soit l’Agence publique de santé qui prenait ces décisions plutôt que les politiciens. Pourtant la stratégie suédoise a été la cible de bien des critiques, dans les maisons de retraite notamment, parce que beaucoup de personnes âgées sont mortes. Localement, beaucoup de restaurants et de bars étaient furieux de devoir rester ouverts, de ne pas recevoir de véritable compensation économique et de devoir mettre en place des restrictions eux-mêmes».
Difficile de voir des masqués à Stockholm… sauf les touristes
Dans les rues de Stockholm, ainsi que dans les magasins, les transports et les gares, les masques se comptent sur les doigts de la main, et cela a un effet considérable sur l’atmosphère ambiante. «On n’en a jamais vraiment mis et lorsqu’on en voit en ville, ce sont des touristes», raconte Charlotte. Une douce et sereine ambiance insouciante trop longtemps disparue flotte sur la cité.
Espagne : les suicides chez les moins de 15 ans ont doublé en 2020
Seul l’avenir nous permettra de distribuer les bons et les mauvais points dans les différentes stratégies contre la pandémie, mais nous pouvons déjà nous en apercevoir: le seul pays d’Europe qui n’a pas confiné sa population s’en sort mieux que les autres, tendant ainsi à prouver l’inefficacité des mesures prises par nos dirigeants. Pire, leur contre-productivité, puisque ces décisions ne sont – et de loin – pas sans conséquence.
Elles ont par exemple plongé les jeunes générations dans des états de sidération et d’angoisse dont elles mettront un temps incalculable à se remettre.
Si l’on va devoir attendre l’année prochaine pour connaître les statistiques suisses sur les suicides depuis le début de la pandémie, l’Espagne a déjà pu sortir quelques chiffres sur le sujet. Ceux-ci révèlent que le nombre de suicides chez les moins de 15 ans a doublé en 2020.
“J’espère que le monde va se rouvrir maintenant”
Mais en plus, les mesures ont profondément fracturé la société sur le long terme. Divisant la population jusqu’à évoquer, pour certains, des relents totalitaires. Contrairement au nombre de mort que l’on trouve en quelques clics, on n’a pas encore commencé à comptabiliser les conséquences à long-terme des mesures qui rythment nos vies depuis près de deux ans. On sait juste qu’elles seront pire que les causes.
«Je pense que plus on reste éloignés et plus on est effrayés les uns des autres, plus c’est dangereux, conclut Johan Norberg. C’est une des raisons de la résurgence du nationalisme dans le monde. J’espère vraiment qu’il va se rouvrir maintenant».