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“Censursula” à Davos: la désinformation menace la planète

La femme la plus critiquée d'Europe veut-elle museler les médias?

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En introduisant Ursula von der Leyen, à l’occasion de son “discours spécial” à l’assemblée de Davos, Klaus Schwab l’a qualifiée de “la femme la plus influente du monde”. Surnommée Censursula par ses compatriotes, la femme à la tête de l’Europe, pour qui la lutte contre la désinformation est une priorité absolue, a tenté de convaincre le monde du bien-fondé de la censure tous azimuts. Qu’il s’agisse de science, de santé, de climat ou d’opinions politiques, les vues dissidentes sont désormais considérées comme une menace à la survie de l’humanité. L’Union européenne, qui a pris les devants avec le Digital Service Act, entend montrer l’exemple dans cette nouvelle tentative de “restaurer la confiance du public”.

N’est-il pas ironique de voir précisément Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’adresser au monde dans un effort de “restaurer la confiance du public”, alors qu’elle est probablement la femme la plus critiquée d’Europe pour son manque de transparence et de concertation (le fameux SMSgate) et qu’elle fait l’objet de plusieurs plaintes à ce sujet ?

Dans l’introduction de son discours spécial, Ursula von der Leyen a mis l’accent sur le nouveau risque de l’année, considéré comme particulièrement inquiétant par les experts de Davos (qu’en était-il donc des pandémies et du climat ?).

Le rapport sur le risque annuel est particulièrement inquiétant cette année, on parle de conflits, de climat, mais surtout de désinformation et de mésinformation avec une polarisation de plus en plus importante au sein de nos sociétés. Ces risques sont sérieux puisqu’ils nous empêchent d’avoir une vision d’ensemble et de mieux répondre aux [….] changement climatique, climat géopolitique, changements importants dans nos démographies.

Effectivement, il semble que dans ce nouveau classement des risques par le Forum économique mondial, la désinformation soit passée en tête de liste.

La censure est considérée comme la première des menaces sur la planète

Aux urnes citoyens!

La présidence de la Commission justifie notamment une telle urgence par le fait que 2024 sera la plus grande année électorale de l’histoire. Les démocraties du monde entier se rendront aux urnes et la moitié de la population mondiale sera concernée. Cela inclut plus de 450 millions de personnes dans l’Union européenne, une union de 27 démocraties. Von der Leyen s’inquiète:

Bien sûr, comme dans toutes les démocraties, notre liberté s’accompagne de risques. Il y aura toujours des gens qui essaieront d’exploiter notre ouverture, de l’intérieur comme de l’extérieur. Il y aura toujours des tentatives pour nous mettre sur une fausse piste. Par exemple, avec la désinformation et la mésinformation.

Elle cite en particulier les informations sur la guerre en Ukraine comme exemple de “désinformation”. (Rappelons en effet, que dès le début de la guerre la chaîne russe RT News avait été interdite dans la plupart des pays de l’Union).

Vu le soutien indéfectible des dirigeants de l’Union à l’Ukraine et aux décisions de l’OTAN, l’enjeu du contrôle de l’information prend ici une dimension particulière. D’autant que la présidente de la Commission en profite pour manifester sa “joie” face à l’avancée expansionniste de l’Union:

C’est avec une joie non dissimulée que le mois dernier, nous avons décidé de lancer les négociations d’accession pour l’Ukraine à devenir État membre. Ce sera une réalisation historique pour l’Ukraine et ce sera la voix de l’Europe qui répond à l’appel de l’histoire.

De telles décisions, qui risquent d’engager les habitants de l’Union dans une économie de guerre, voire dans une confrontation armée directe avec la Russie, pourraient ne pas faire l’unanimité au sein de la population. D’où “cette urgence” à contrôler le discours géopolitique, la volonté de museler toute critique sur des enjeux qui doivent nécessairement faire l’objet d’un véritable débat?

En Allemagne, la présidente de la commission est fortement critiquée pour sa politique de censure

“Défendre la vérité” ou 5 actions pour contrôler l’info

C’est un constat général: globalement, la confiance dans les institutions s’effrite. Ceci se reflète par le fait que seuls 40% de la population a encore confiance dans les médias. Lors d’un forum spécial consacré à La Défense de la vérité, avec les représentants du New York Times, du Wall Street Journal, d’Inter news, Vera Jourova, la vice-présidente de la Commission européenne a détaillé son plan d’action pour  “défendre la vérité” :

La désinformation est une question sécuritaire et la guerre de l’information fait partie de la doctrine militaire russe. Nous y sommes en plein. L’Union européenne va s’attacher à garantir la vérité des faits. Il ne s’agira pas de dicter les opinions des gens, seulement de leur présenter les faits corrects. C’est comme avec les magazines de consommateurs qui donnent aux gens les informations qui leur permettront de faire leurs propres choix. C’est que nous ferons pour les citoyens.

La vice-présidente de la commission explique ses 5 objectifs pour “sauvegarder la vérité”. Tout d’abord, elle compte renforcer les médias actuels, les rendre “plus solides et professionnels” et garantir de meilleures conditions de travail. Jourova explique que l’Europe a passé la loi “Media Freedom Act” pour assurer une meilleure protection des journalistes, en se référant notamment à la journaliste maltaise Daphne Galizia (qui était morte dans l’explosion de sa voiture piégée).

Ensuite, outre ces louables intentions, c’est le travail avec les plateformes numériques qui sera sans doute l’élément le plus crucial de ce programme. La Commission s’est déjà investie dans le travail du fact-checking des Big Tech, avec le Digital Services Act qui définit les règles de conduite auxquelles les géants du web sont tenus de se plier. Ce volet comprend un certain nombre de sanctions telles que l’interdiction de diffusion sur le réseau européen ou  la démonétisation des “désinformateurs”.

En troisième lieu, Jourova prône aussi une meilleure communication de la part des politiques. “Il fut un temps où lorsqu’un politique mentait, il était tenu de démissionner”. Et même s’il s’agit d’un travail de longue haleine, un autre de ses objectifs sera de “diminuer la capacité des populations à accepter ses mensonges”!

Dernier point: le recours à l’autorité pure et simple.

Si nécessaire nous ferons appliquer la loi avec les forces de l’ordre. L’on assiste par exemple à une montée en puissance de l’antisémitisme, avec des tags de l’étoile de Davis devant les synagogues. Ici l’intervention des forces de l’ordre est nécessaire.

On le voit, il s’agit là d’un véritable plan de bataille dans tous les domaines de l’information.

Quand le mot “expert” devient une insulte

D’autres conférences ont approfondi la thématique de la nouvelle menace liées aux “fausses infos”. Un panel dirigé par la CEO de Deutsche Welle (médias allemands) a abordé la question de la liberté d’expression en expliquant notamment comment certains types d’informations sont susceptibles d’influencer l’opinion publique de manière négative. Est-on surpris d’entendre citer les droits à la liberté d’expression de la communauté LGBT ou des femmes revendiquant de nouveaux droits à l’avortement et d’apprendre que les mauvais élèves sont en Russie, en Hongrie ou au Ghana? Un minimum d’auto-critique aurait sans doute été de bon ton.

Quant à “la science”, elle est, elle aussi, en perte complète de crédibilité.

Lors du panel “ouvrir la science“, les intervenants ont fait remarquer que depuis la pandémie “de nombreuses personnes ont commencé à douter de la science” et que le rôle des fausses informations s’est accru. Naomi Oreskes, professeur dans l’histoire des sciences à l’Université de Harvard a bien pris résumé de la situation :

Ces dernières années, nous avons eu la pandémie, puis nous avons eu la question climatique. Quand le mot “expert” est-il devenu presque une insulte dans certains milieux ? Est-ce que cela fait partie du problème, le fait que nous avons perdu la notion de discuter, de débattre?

Dans une autre session intitulée “Comment reconstruire la confiance dans la science“, les intervenants  se lamentaient du fait que le public critique fortement la gestion des innovations scientifiques et technologiques, en particulier les OGM, l’énergie verte, les vaccins à ARNm et  l’Intelligence artificielle. Selon Richard Edelman, président d’une entreprise en relations publiques, aux États-Unis, 2/3 de la population estime que la science a perdu son indépendance. Et en Chine, ce sont même 3/4 de la population qui pensent que la pandémie a été mal gérée. Nombreux sont ceux qui considèrent que les agences de contrôle sanitaires ont failli à leur mission et que leur personnel est insuffisamment informé et insuffisamment qualifié. Enfin, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la première source d’information sur laquelle les gens se basent pour prendre des décisions est leurs propres recherches, suivie des réseaux sociaux et des conversations personnelles. Les informations officielles véhiculées par les médias ne viennent qu’en troisième place. Pour les panelistes, les solutions passent par l’éducation des jeunes à la science, mais aussi par une formation à la communication de chercheurs et personnels scientifiques.

A cet égard, Richard Edelman cite l’exemple maladroit d’Anthony Fauci qui a avoué la semaine dernière lors de sa comparution devant la commission d’enquête parlementaire que la décision d’introduire la distanciation sociale ne reposait pas sur une base scientifique, mais avait été prise “parce qu’à l’époque cela avait l’air d’être une bonne idée”.

Venant d’un homme qui a affirmé que lorsque des critiques s’en prenaient à lui, c’est à la science elle même qu’elles s’attaquaient, il y a effectivement de quoi être surpris. Et lorsque l’on apprend que durant les deux jours d’interrogation, il a éludé les questions des élus plus d’une centaine de fois en disant “qu’il ne se souvenait pas“,  l’on comprend que “restaurer la confiance dans les responsables de la santé” sera un défi difficile à relever. Un autre challenge sera celui de faire percevoir l’utilité de certaines recherches à une population qui reste confrontée à la pauvreté et à des conditions d’existence précaires dans de nombreux pays.

La directrice de Nature a rappelé que si les problèmes de la science sont politisés, ce n’est pas aux scientifiques qu’il faut s’en prendre. Quant au CEO de Novartis Vas Narashiman, il affirme que les solutions passent par plus d’honnêteté et de transparence, y compris en ce qui concerne la manière dont sont effectués les essais cliniques et l’évaluation des risques des produits mis sur la marché.

Toutes ces auto-critiques et ces bonnes intentions paraissent effectivement louables, mais elles viennent un peu tard. En attendant, il est difficile d’imaginer qu’il s’agira plus qu’un discours qui cherche à faire illusion. Face à la détermination de l’Union européenne à maintenir le cap de la pensée unique et de la censure, l’on se demande comment les choses pourraient évoluer vers plus de transparence et moins de politisation. Car, comme l’a rappelé “Censursula” von der Leyen à la fin de son allocution :

La préoccupation numéro un du rapport sur les risques mondiaux est la désinformation et la mésinformation. Depuis le début de mon mandat, nous nous sommes attelés à cette tâche. Avec la loi sur les services numériques, nous avons défini la responsabilité des grandes plateformes internet quant au contenu qu’elles promeuvent et propagent.

La loi sur les services numériques (ou Digital Services Act) est la réglementation la plus ambitieuse au monde. Il n’existe aucun autre acte législatif dans le monde ayant ce niveau d’ambition pour réglementer les médias sociaux, les marchés en ligne, les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche en ligne.

Tout semble dit.

Pour aller plus loin sur les dangers de la pensée unique et la survie du journalisme:

«Sans diversité de vues, pas de journalisme!» (éditions Favre)

Comment les médias souffrent de problèmes idéologiques encore plus qu’économiques.

Une vingtaine de journalistes expérimentés de Suisse romande, sous la houlette de la journaliste économique Myret Zaki, montrent que la diversité de vues au sein des médias est clairement insuffisante sur différents sujets éditoriaux. Un phénomène qui s’aggrave en période de crise. Le pluralisme des angles et des points de vue est pourtant la condition de la crédibilité médiatique et la principale raison qui retienne le lectorat. La survie du journalisme, sans aucun doute, en dépendra.

«Sans diversité de vues, pas de journalisme!»