Covidhub republie ici cette tribune incisive, titrée “Nous accusons” en écho à l’affaire Dreyfus dénoncée en son temps par l’écrivain et journaliste Emile Zola. Elle est parue initialement le 1er décembre dernier dans le quotidien belge Le Vif.
Les critiques énoncées par ces spécialistes en évaluation des politiques publiques s’appliquent aussi bien à la Suisse, au Québec et à la France, tous pays assujettis à la même logique politique, qu’ils jugent problématique et destructrice.
NOUS ACCUSONS
Nous accusons les différents gouvernements belges :
- D’avoir réduit la santé, que l’OMS définit comme “un état complet de bien-être physique, mental et social”, à l’absence d’une maladie, faisant par ailleurs fi de l’ensemble des conditions favorisant les formes sévères de cette maladie, à l’exception du virus SARS-CoV-2.
- D’avoir omis de solliciter des experts capables d’analyser les systèmes complexes, mettant au-devant de la scène décisionnelle uniquement des experts aux compétences hyperspécialisées mais incapables d’adopter une vision globale visant à garantir l’intérêt général des populations. Ce faisant, d’avoir refusé le dialogue interdisciplinaire, voire diffamé les scientifiques et les médecins qui avaient un point de vue différent, alors qu’un tel dialogue permet de dépasser les limites épistémiques propres à chaque discipline.
- De s’être focalisés sur l’élément du système complexe le plus difficilement vulnérable à l’intervention humaine, à savoir la circulation du virus, délaissant par là d’autres facteurs plus vulnérables : comorbidités, ciblage des mesures et optimisation de leurs effets globaux, renforcement de la prise en charge précoce permettant d’éviter une dégradation des patients, renforcement du système de santé.
- D’avoir manqué de vision stratégique et d’avoir adopté une politique incrémentale sans arriver à revenir sur leurs erreurs. En particulier, d’avoir omis de tirer les leçons de la première vague en investissant massivement dans la pérennisation des pratiques de protection (ventilation des lieux publics confinés et particulièrement les écoles, soutien aux réseaux locaux de santé et particulièrement de santé mentale, campagnes de promotion de la santé, etc.). Par ailleurs, d’avoir éludé un besoin fondamental de la santé publique : soutenir de façon régulière, critique et participative la montée en capacité de tous les citoyens et des services de santé locaux. S’il était nécessaire de préserver le système de soins de santé au début de la crise, la politique menée était insuffisante pour affronter la dynamique interne de la pandémie lors des saisons suivantes.
- D’avoir adopté une gestion par indicateurs, sans toutefois comprendre les limites de ces indicateurs et de leurs instruments de mesure. En particulier, d’avoir adopté une gestion par les seules moyennes et dès lors, d’avoir énoncé des mesures non différenciées, identiques pour tous, quel que soit le risque réel de contamination, délaissant les principes d’équité et d’efficience de la santé publique qui s’imposent face à un problème hétérogène.
- De fonder désormais toute la stratégie de gestion de l’épidémie sur la réussite d’une vaccination de masse, sans prévoir la possibilité de l’échec et sans mettre en place l’indispensable système de pharmacovigilance actif pour identifier, encadrer, mitiger et compenser les effets secondaires des vaccins.
- D’avoir sapé les bases de notre système de santé, en diminuant les capacités hospitalières sans pour autant renforcer la première ligne, la prévention et la promotion de la santé. En particulier, de maltraiter le personnel infirmier, en n’ayant pas soutenu cette profession à travers des mesures fortes et adaptées, y compris une revalorisation salariale, une augmentation des capacités et de la flexibilité des conditions de travail, et maintenant en les menaçant de sanctions s’ils refusent la vaccination.
- D’avoir découragé les médecins de première ligne de se rendre au chevet de leurs patients atteints de Covid-19, causant directement des milliers de morts qui auraient pu être évitées à travers un traitement adapté selon les besoins de chaque patient (oxygénothérapie, corticothérapie orale antibiotiques en cas de surinfection bactérienne, anticoagulants, etc.), et contribuant à l’inefficience de la prise en charge et à la surcharge hospitalière lors des vagues successives de Covid-19.
- D’avoir accru les inégalités dans notre pays, les mesures prises ayant pour la plupart des effets collatéraux disproportionnés dans les groupes plus pauvres et vulnérables. En particulier, d’avoir maltraité les personnes âgées au cours de la première vague de Covid-19, leur ayant refusé les soins et le soutien social nécessaire ; de maltraiter aujourd’hui les enfants et les jeunes, les privant d’éducation, de contacts sociaux et les incitant à subir une vaccination dont ils n’ont pas besoin pour leur propre santé, mais dont ils paient un prix fort au niveau des effets secondaires – ou, s’ils la refusent, au niveau de leur développement personnel, physique, relationnel et intellectuel.
- D’avoir systématiquement méconnu les principes fondamentaux de l’État de droit démocratique au nom d’un objectif sanitaire défini de manière peu claire, changeante et sans délibération publique et transparente.
- De refuser d’évaluer la mise en oeuvre de leurs mesures, comme la bonne gouvernance publique l’impose, y compris l’entièreté de leurs effets (directs et indirects, positifs et négatifs, attendus et inattendus), leurs coûts, leurs mécanismes causaux, en vue d’adapter la politique sur base des connaissances accumulées.
- De dilapider les deniers publics au profit de quelques éléments du secteur privé : centaines de millions d’euros gaspillés en tests PCR inutiles (chez des individus sans signe clinique et sans risque de Covid-19 sévère), millions d’euros déboursés pour une vaccination de masse, non ciblée et probablement récurrente.
- En somme, d’être totalement dénués des capacités nécessaires pour gouverner : capacités d’anticiper, d’analyser une situation d’ensemble, de gérer les risques, d’effectuer une planification stratégique, d’organiser un dialogue politique permettant de prendre les décisions de façon informée et inclusive, de communiquer sur les critères de décisions.
Nous accusons une majorité de parlementaires belges :
- De s’être totalement effacés devant le pouvoir exécutif, que ce soit avant ou après l’adoption de la Loi Pandémie.
- De ne pas poser des questions critiques sur la politique de riposte au Covid-19 ni de s’informer mieux sur les bases probantes sur le virus, la maladie et les approches préventives et thérapeutiques.
- D’avoir laissé se généraliser une intervention publique répressive plutôt que la mise en oeuvre de mesures proportionnées, efficaces, efficientes et équitables, en soutien à une montée en capacité des intervenants locaux et des citoyens eux-mêmes.
- De n’avoir pas défendu les intérêts des populations qu’ils représentent, faisant fi des effets collatéraux des mesures et privilégiant la répression à l’accompagnement des populations à risque.
- D’avoir abandonné l’espace public aux médias et aux réseaux sociaux. Ce faisant, d’avoir contribué à l’entretien d’un climat d’angoisse dans la population et d’avoir détruit la cohésion sociale de notre pays en encourageant la culpabilisation et la stigmatisation de certains pans de la société (les jeunes qui ne respecteraient pas les mesures, les enfants qui seraient des bombes à virus, les non-vaccinés qui seraient les responsables de la quatrième vague), tout cela alors que les connaissances scientifiques réfutent ces affirmations.
- D’avoir laissé se déployer une gestion publique chaotique, toujours dans l’urgence, à coup de décisions ponctuelles, sans prendre en compte l’entièreté des effets des mesures à moyen terme.
Mesdames et Messieurs, ne vous rendez plus complices d’une gestion de crise qui n’a plus rien à voir ni avec la médecine, ni avec la santé publique. Réagissez dès maintenant : la crise n’est pas finie et ses conséquences nous poursuivront encore après 2024.
Catherine Fallon, évaluation des politiques publiques, ULiège
Elisabeth Paul, politiques et systèmes de santé, ULB
Nicolas Thirion, droit, ULiège
- Lien vers la tribune sur Le Vif : cliquer ici.