Blatten, entre choc et triomphe de l’intelligence collective

Quand la montagne enseigne l'anticipation, l’humilité et l'espoir

Par Isabelle Alexandrine Bourgeois, journaliste et fondatrice du média Planète Vagabonde

Le 28 mai 2025 restera gravé dans l’histoire comme le jour où un village valaisan a disparu à 90% sous trois millions de mètres cubes de roches et de glace, mais aussi comme celui où l’intelligence collective suisse a sauvé 300 vies humaines et de nombreux animaux. Et à l’échelle de l’histoire du globe, ce fut un jour comme un autre. 

À l’heure des sautes d’humeur climatiques, des peuples en guerre ou divisés, des autorités trop souvent indifférentes au bien-être citoyen ou des dirigeants européens cocaïnomanes, la Suisse a fait preuve d’une lucidité exemplaire. Grâce à une alliance rare entre science, gouvernance et population, une tragédie irréversible a été transformée en leçon mondiale de résilience. Et pourtant, des images de dévastation tournent en boucle sur toutes les chaînes du monde : Blatten, petit hameau du Lötschental niché au pied du Bietschhorn, n’existe plus. Dans cette tragédie géologique d’une rare violence, plus fort que la détresse de ses habitants qui ont tout perdu, la vie et l’intelligence collective ont triomphé de la catastrophe.

Un village qui a échappé à la mort

L’effondrement du glacier du Birch ne s’est pas produit du jour au lendemain. Depuis plusieurs semaines, les signaux d’alerte se multipliaient sous l’œil attentif des spécialistes suisses des dangers naturels. Au total, 3,5 millions de mètres cubes de glace, de roche et de boue se sont détachés sur le village de Blatten, dans le canton du Valais, ensevelissant près de 90 % de la localité. Les fissures glaciaires s’élargissaient, des effondrements rocheux ponctuels se succédaient, et les instruments de surveillance détectaient des bruits internes inquiétants dans la masse glaciaire suspendue à 3 000 mètres d’altitude.

C’est là que réside le génie helvétique. En dehors du champ politique où notre pays a clairement perdu de sa superbe depuis quelques années, sur le plan du génie civil et de la chaîne de prévention des catastrophes naturelles, notre vaillante Helvétie ne nous a pas déçu. Le tragique éboulement de Blatten a montré comment elle a réussi à transformer la science en bouclier de protection.

Contrairement à d’autres régions du monde où de tels événements se soldent par des centaines de morts, la Suisse a su tisser un réseau de surveillance technologique et humaine d’une efficacité remarquable. Drones thermiques, capteurs sismiques, modélisation 3D en temps réel : chaque vibration, chaque mouvement de terrain était scruté, analysé, anticipé.

Ces analyses rigoureuses auxquelles s’est ajoutée de la sagesse humaine, avec le courage politique d’ordonner une évacuation totale du village 10 jours avant le gigantesque éboulement, se sont révélées salvatrices.

Les 300 habitants de Blatten ont été relogés chez des proches et des habitants des communautés voisines de la vallée. Cette décision, prise malgré l’incertitude sur le moment exact de l’effondrement, illustre parfaitement l’approche suisse du risque : mieux prévenir que pleurer. Et pourtant, ô combien la tâche fut douloureuse pour les habitants à qui il a été demandé de plier bagages en moins d’une heure.
Qu’aurions-nous décidé d’emporter avec nous, si nous avions été à leur place ? Cette réflexion mérite d’être soulevée, car elle permet de mesurer la fragilité des équilibres personnels lorsqu’ils reposent sur des biens matériels.

Quand tout s’effondre, que reste-t-il ?

Au-delà des aspects techniques et écologiques que nous aborderons plus loin, la destruction de Blatten invite à une réflexion plus profonde sur ce qui constitue l’essence de nos vies. En quelques heures, trois siècles d’histoire humaine ont été effacés par les forces telluriques. Maisons, souvenirs, objets familiers, repères ancestraux : tout a disparu sous l’avalanche de roches et de glace.

Cette épreuve du dépouillement matériel brutal délivre pourtant un enseignement puissant. Car il faut l’avouer : nous sommes devenus moins sensibles aux catastrophes qui frappent les populations les plus démunies de la planète. Quand un cyclone dévaste les bidonvilles du Bangladesh ou qu’un tremblement de terre rase les villages péruviens, l’émotion mondiale retombe vite. Nous nous sommes habitués à cette «normalité» de la pauvreté confrontée aux forces de la nature, comme si les déshérités n’avaient, au fond, pas grand-chose à perdre.

Mais Blatten nous renvoie brutalement à notre propre vulnérabilité de citoyens suisses privilégiés. Ces 300 rescapés nous ressemblent : ils possédaient, comme nous, cette accumulation quotidienne d’objets qui tissent l’intimité d’une existence. Imaginez perdre d’un coup la Coccinelle de 1972 que votre père bichonnait chaque dimanche, cette machine Nespresso qui rythmait vos matins depuis cinq ans, le doudou élimé de votre fille de trois ans, l’ordinateur portable qui contient dix ans de photos de famille, quelques précieux bijoux de famille ou encore ce carnet de recettes manuscrites légué par votre grand-mère.

Pensez à cette vieille casserole en fonte noircie que vous ne tiendrez plus jamais dans vos mains, celle qui avait mijoté mille ragoûts et dont le poids familier guidait vos gestes culinaires. Songez au fauteuil de lecture patiné par quarante ans d’après-midi dominicaux, à cette écharpe tricotée par une tante disparue, à la fière horloge neuchâteloise héritée qui marquait les heures importantes de votre vie, aux livres annotés qui témoignaient de vos passions d’adolescent. Cinquante ans de récit personnel traduit en objets, volatilisés en quelques minutes sous l’avalanche de pierres et de glace.

Cette identification douloureuse mais nécessaire nous rappelle que derrière chaque catastrophe, même lointaine, se cachent des humanités brisées qui nous ressemblent plus que nous ne voulons l’admettre.

Unis dans l’adversité, les rescapés de Blatten sont reconnaissants d’être vivants malgré la perte de tous leurs biens matériels. Malgré eux, ils incarnent cette vérité simple mais fondamentale : l’essentiel réside dans les liens humains, l’amour partagé, la force de l’épreuve collective, l’intuition de faire partie d’un tout plus grand que soi. Et surtout, que l’on soit spirituel, résilient ou non, il faut bien continuer à vivre jusqu’au bout.

L’art de sauver, une logistique de montagne maîtrisée

Mais revenons sur le plancher des vaches. L’évacuation de Blatten relève de la prouesse logistique. En quelques heures, les autorités civiles locales et cantonales ont organisé le déplacement non seulement des 300 habitants, mais aussi de leurs animaux, dans un environnement montagnard aux accès limités. Dans un pays où les vaches portent des noms et où les alpages sont des sanctuaires d’identité, on n’abandonne pas les bêtes.

Remorques, camions, parfois hélicoptères : toute une logistique alpine s’est mobilisée pour transférer les troupeaux vers d’autres vallées. Dans cette course contre la montre, chacun a trouvé sa place. Les anciens ont été installés dans des logements provisoires. Les enfants ont été scolarisés dans des écoles voisines. Les éleveurs ont pu accompagner leurs bêtes.

Ce maillage serré entre protection civile, communes voisines, vétérinaires et bénévoles a été d’une efficacité impressionnante. Un seul homme, un habitant de 64 ans, reste porté disparu. Mais comparé aux tragédies semblables dans d’autres parties du monde, où des centaines, parfois des milliers d’êtres humains disparaissent sous les décombres de catastrophes mal anticipées, ce bilan relève du miracle coordonné.
Cette prouesse constitue un cas quasi unique à l’échelle mondiale pour une catastrophe de cette ampleur.

La Suisse, laboratoire de résilience

Notre petit pays ne prend pas la géologie à la légère. Il a appris de l’hiver avalancheux de 1999, la crue de l’été 2005, la tempête Eleanor de 2018. Il a investi dans la connaissance et l’expérience. Des capteurs ultrasensibles au cœur des glaciers, des bases de données partagées entre cantons, une coopération constante entre chercheurs et autorités locales : Blatten n’est pas un coup de chance. C’est le fruit d’une culture de la prévoyance.

Le dialogue constant entre science et politique locale constitue l’un des piliers de ce succès. Raphaël Mayoraz, chef du service des dangers naturels, incarne cette approche intégrée où l’expertise technique éclaire directement la décision politique. Contrairement à d’autres pays où les scientifiques peinent à se faire entendre des élus, la Suisse a institutionnalisé cette collaboration vitale.

En outre, dans les écoles des communes alpines suisses, l’éducation au risque n’est pas une abstraction théorique, mais une matière vivante, enracinée dans le quotidien. Dès le primaire, les élèves sont sensibilisés aux dangers naturels — avalanches, glissements de terrain, crues soudaines — par des programmes immersifs comme « Educ’Alpine », conçu par le Club Alpin Suisse, où les enfants apprennent à lire les signes de la montagne, à anticiper et à réagir face à l’imprévu. Le Plan d’études romand intègre cette conscience dans les sciences humaines, appuyé par des outils numériques et des ressources interactives. Mais au-delà des manuels, c’est une véritable culture de la prévention qui s’instille, grâce à une collaboration étroite entre enseignants, autorités locales, secouristes et scientifiques. Ce tissu éducatif tisse une génération plus lucide, plus préparée, et profondément connectée à la réalité vivante des Alpes.

Le village grison de Brienz est hors de danger après l’éboulement survenu en juin 2023

Brienz, Zinal, Fontana: d’autres villages sous surveillance

Blatten n’est pas un cas isolé. Plusieurs villages suisses vivent aujourd’hui sous la menace de glissements de terrain ou d’effondrements rocheux. Brienz, Zinal et Fontana sont aujourd’hui sous surveillance. À Brienz, c’est un glissement de terrain d’origine géologique qui fait lentement dériver tout le village. À Zinal, ce sont les glaciers rocheux, affaiblis par le dégel du pergélisol, qui menacent de s’effondrer, tout comme des phénomènes météorologiques extrêmes qui illustrent la vulnérabilité croissante du Val d’Anniviers face aux aléas naturels. À Fontana, dans le Tessin, des éboulements déjà survenus ont partiellement enseveli le hameau. Dans tous les cas, la montagne bouge — lentement ou brutalement — et l’enjeu est de savoir l’écouter avant qu’elle ne parle trop fort.

Cette diversité des menaces oblige les autorités suisses à développer une approche différenciée selon le type de danger. Chaque site fait l’objet d’une stratégie spécifique, adaptée à sa géologie, sa topographie, sa démographie. Cette personnalisation de la réponse au risque témoigne de la sophistication du système suisse de protection des populations.

Réchauffement climatique ou soubresauts géologiques naturels ?

Le cas de Blatten est-il le résultat des hausses de température ou d’un phénomène géologique naturel? Christophe Lambiel, géomorphologue à l’Université de Lausanne, apporte sa réponse : «Ce glacier est très particulier: alors que la quasi-totalité des glaciers des Alpes sont en fort retrait, celui-ci était un des seuls qui avançait de plusieurs mètres par année, depuis une dizaine d’années».

Cette avancée inhabituelle s’explique par une combinaison de facteurs géologiques et climatiques. Au printemps 2025, un important éboulement s’est produit sur les pentes du Petit Nesthorn, déposant environ 9 millions de tonnes de roches et de débris sur le glacier du Birch. Cette surcharge a accru la pression sur le glacier, accélérant son mouvement jusqu’à atteindre une vitesse de 10 mètres par jour, selon les autorités régionales.

«Pour moi, cela fait partie des risques et de l’évolution des systèmes montagneux, même si de tels effondrements restent rares à l’échelle humaine, mais pas historique. La gravité de cet événement s’explique en partie par l’évolution érosive d’une chaîne de montagne, soit un phénomène purement naturel. Mais le réchauffement d’altitude déstabilise aussi le glacier qui avançait sous la pression des débris issus des parois et de son instabilité basale. Ce serait donc une avancée liée plutôt à une forme de démantèlement en cours plutôt qu’à une crue glaciaire au sens classique», commente le géologue et professeur honoraire à l’UNIL, Eric Verrecchia.

Capture d'écran d'une image de couverture d'un reportage sur l'effondrement de Blatten. Cette image est totalement factice.La tentation de l’instrumentalisation

Dans la foulée de l’effondrement spectaculaire du glacier du Birch, les médias du monde entier se sont empressés de relier cette catastrophe au réchauffement climatique, sans toujours prendre le soin de distinguer ce qui relève de la dynamique naturelle des montagnes de ce qui est effectivement imputable au dérèglement global.

Il est tentant, dans l’émotion et le choc, d’instrumentaliser l’événement pour faire avancer un agenda politique plus vaste — celui du climat promu par les instances onusiennes, appuyé par les grandes plateformes globalistes qui y voient une opportunité de légitimer de nouveaux cadres contraignants. Et les images trafiquées par l’IA (cf photo ci-contre) pour renforcer le caractère dramatique de l’événement renforcent ce phénomène de manipulation.

Or, tous les éboulements ne sont pas les enfants directs du CO₂ : les Alpes bougent, se fracturent, respirent depuis des millénaires. À Brienz, par exemple, les géologues suisses ont souligné que le glissement de terrain n’avait pas de lien avec le réchauffement, mais relevait d’une lente instabilité géologique.

«Les roches en mouvement au-dessus du village de Brienz n’ont rien à voir avec le changement climatique», avait expliqué le géologue Stefan Schneider, dans un entretien à Keystone-ATS. Ce phénomène remonte à bien plus loin dans le passé, poursuit l’expert qui ne peut s’imaginer un lien même « avec la meilleure volonté du monde ».

Confondre systématiquement le naturel et le climatique induit par l’homme, c’est réduire la complexité du réel à un récit idéologique, et miner la crédibilité même de la science que l’on prétend défendre. Plus grave, c’est ignorer aussi que les cycles climatiques ont toujours existé et parfois même, pour le plus grand bien de notre planète.

Le paradoxe vert : quand le climat réchauffe la vie et consolide les sols

Au-delà de l’impact brutal pour les hommes, l’analyse sur l’effondrement de Blatten doit être complétée par une observation plus large de l’espace alpin, ce qui permet de voir les choses plus positivement: la renaissance écologique des Alpes sous l’effet du rehaussement cyclique des températures. Car si les glaciers reculent et les roches s’effondrent, la végétation, elle, conquiert de nouveaux territoires en altitude.

Les climatologues prévoient que la température moyenne en Suisse augmentera d’environ 3°C au cours des 100 prochaines années, indique l’Institut fédéral de recherches WSL. Cette hausse, équivalente à la différence actuelle entre la limite des arbres et le fond des vallées, annonce une transformation radicale des paysages alpins.

La montée de la limite forestière s’accélère déjà. Dans les Pyrénées espagnoles, entre les années 1945 et 2000, une remontée du hêtre de 70 m est observée à des altitudes élevées. En Suisse, les projections scientifiques évoquent une progression de 500 à 700 mètres d’ici 2100. Cette colonisation végétale transforme les paysages de montagne, créant de nouveaux écosystèmes là où régnaient auparavant les pierriers et les glaciers.

L’expansion des prairies alpines accompagne cette progression forestière. La saison de croissance s’allonge, permettant aux herbacées de prospérer à des altitudes inatteignables il y a encore quelques décennies. Par exemple, une méta-analyse publiée dans la revue Science a révélé que les espèces terrestres ont récemment déplacé leur répartition vers des altitudes plus élevées à un rythme médian de 11 mètres par décennie, et vers des latitudes plus élevées à un rythme médian de 16,9 kilomètres par décennie.
En France, les espèces végétales forestières ont migré en altitude à une vitesse moyenne de 30 mètres par décennie entre 1971 et 1993, selon un rapport de l’UNESCO.

Cette migration altitudinale s’accompagne de l’apparition de nouvelles espèces florales en haute montagne. Des plantes jusqu’alors cantonnées aux étages moyens colonisent progressivement les zones d’altitude, créant des mosaïques végétales inédites. Cette diversification a des conséquences positives sur la biodiversité locale et contribue à la stabilisation naturelle des sols.

Évolution de la surface forestière dans les cinq régions de production et sur l’ensemble de la Suisse entre 1983 et 2022. Source : IFN (Abegg et al. 2023)

Les forêts, alliées naturelles contre les dangers
Cette progression de la végétation en altitude n’est pas qu’un phénomène esthétique. Elle joue un rôle crucial dans la prévention des dangers naturels. Les forêts constituent en effet des barrières naturelles contre les avalanches et les glissements de terrain. Leurs racines stabilisent les sols, leurs troncs freinent les coulées, leur couvert protège de l’érosion.

L’expansion forestière en altitude créera donc, paradoxalement, de nouvelles zones de protection naturelle là où le recul glaciaire laissait auparavant des terrains instables à nu. Cette cicatrisation végétale de la montagne pourrait, à terme, compenser partiellement l’augmentation des risques liés à la fonte des glaciers et au dégel du permafrost.

En 2025, la forêt suisse couvre environ 32 % du territoire national, soit 1,3 million d’hectares. Depuis plus de 150 ans, la surface forestière augmente dans notre pays. Entre 1983 et 2022, elle s’est accrue de 11,6 %. (fig. 2). Durant la dernière décennie (2015-2025), l’augmentation a été de 23’000 hectares, soit 23 km2 par an. Cette expansion s’est principalement produite dans les régions alpines, avec une croissance de 0,4 % par an dans les Alpes et de 0,3 % dans le sud des Alpes.

Environ 75 % de cette extension forestière s’est faite à des altitudes supérieures à 1 400 mètres, principalement sur des terrains agricoles abandonnés. Cette tendance est en partie due à la déprise agricole dans les zones de montagne, où les terres ne sont plus exploitées, permettant ainsi à la forêt de se régénérer naturellement.

Faire confiance aux lois d’auto-régulation

La planète n’est pas une victime passive du changement : elle est un système vivant, doté d’une profonde capacité d’auto-régulation. Lorsqu’un glacier s’effondre dans un coin du Valais, ailleurs, une forêt progresse, les prairies s’étendent, et les sols se stabilisent. Là où un équilibre est rompu, un autre se reforme, parfois avec plus de diversité, plus de résilience. La nature n’est pas figée : elle s’adapte, elle compense, elle transforme les crises en dynamiques nouvelles.

Prétendre que chaque bouleversement annonce l’aggravation inexorable des catastrophes, c’est oublier cette intelligence intrinsèque du vivant, cette danse subtile des éléments qui, depuis des millénaires, voire des centaines de millions d’années, refonde l’équilibre chaque fois qu’il vacille. Mais cette observation demande beaucoup d’humilité, une qualité elle-même en voie de disparition parmi les décideurs de ce monde.

Une Suisse plus verte malgré la fonte des glaces

Contre toute attente, ces transformations dessinent le visage d’une Suisse future paradoxalement plus verte et mieux protégée, malgré la disparition progressive des glaciers emblématiques. «La Suisse a déjà connu un recul spectaculaire des glaciers au cours de l’Holocène, comme durant par exemple l’optimum climatique médiéval. Les glaciers ça va, ça vient, et c’est normal », ajoute Eric Verrechia. Ceux qui pleurent la disparition des glaciers n’imaginent pas qu’ils condamnent en même temps la sagesse de la nature qui redistribue les cartes écologiques et géologiques pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques.

Philosophie d’une montagne vivante

La tragédie de Blatten nous enseigne que la montagne est un organisme vivant, en perpétuelle transformation. Les glaciers naissent et meurent, les roches s’effondrent et se reforment, la végétation migre et s’adapte, dans un cycle éternel de destruction et de renaissance.

Cette vision dynamique de la montagne bouscule nos représentations statiques du paysage alpin. Nous avons trop longtemps considéré les Alpes comme un décor figé, immuable, alors qu’elles constituent un système complexe en équilibre instable, réagissant constamment aux variations climatiques, géologiques, biologiques.

La conscience écologique authentique ne se décrète pas dans les discours, elle se vit dans les actes. L’évacuation réussie de Blatten témoigne de cette maturité collective face aux défis environnementaux. La population suisse a su transformer sa relation à la montagne, passant d’une logique de domination à une approche d’écoute et d’adaptation.

Cette nouvelle alliance entre science, nature et société préfigure peut-être les transformations nécessaires à l’échelle planétaire. Face aux bouleversements du monde, l’humanité devra apprendre, comme les habitants de Blatten, à anticiper, à s’adapter, à accepter parfois de renoncer pour mieux sauvegarder l’essentiel.

Vers un regard sacré sur la Terre

Cette catastrophe transformée en leçon d’exemplarité dans le monde grâce à l’intelligence collective suisse préfigure peut-être un nouveau modèle de relation entre l’humanité et son environnement. Un modèle fondé sur l’écoute des signaux naturels, l’anticipation des risques, l’acceptation du changement, la solidarité face à l’adversité.

Blatten n’est pas une fin mais un commencement. Le commencement d’un récit inspirant pour toute l’humanité, où la sagesse ancestrale des montagnards rencontre les technologies les plus avancées pour préserver ce qu’il y a de plus précieux : la vie humaine et la beauté du monde.

Dans cette vallée valaisanne où un village a disparu mais où 300 vies ont été sauvées, où des glaciers s’effondrent mais où des forêts remontent vers les sommets, se dessine peut-être l’esquisse d’un avenir où l’humanité aura enfin appris à danser avec les transformations de la planète plutôt que de les subir ou à inventer des scénarios catastrophiques. C’est cette leçon d’espoir que nous transmettent aujourd’hui les rescapés de Blatten, ambassadeurs involontaires d’une humanité réconciliée avec son destin terrestre.