«Nous, les dictateurs», l’aveu d’un journaliste allemand

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«Le dictateur en nous était fort.» Un journaliste du Spiegel critique son propre magazine pour ses rumeurs liées à «l’hystérie corona». Alexander Neubacher ne mâche pas ses mots contre l’attitude des autorités, de la société et des médias durant la pandémie, ses aveux font des vagues en Allemagne. 

Dans une tribune publiée le 11 mars par son propre journal, le prestigieux hebdomadaire Spiegel, il n’hésite pas à qualifier crûment les mesures de lutte contre le Covid depuis 2020: “absurdes, excessives et illégales”.

 

Ce coup de pied dans la fourmilière fera-t-il des émules ailleurs?

Un magazine réputé pour son intégrité

Le Spiegel est l’hebdomadaire le plus lu et le plus influent en Allemagne. Ses points forts sont les enquêtes de terrain et d’investigation. Le magazine est également connu pour être capable d’auto-critique et d’intégrité professionnelle, pointant parfois même du doigt ses propres collaborateurs.

Ce fut le cas en 2018 avec leur journaliste vedette, Claas Relotius, reconnu coupable d’avoir trompé son lectorat en falsifiant 14 reportages dont certains lui avaient valu d’être primé, notamment sur la Syrie ou encore sur l’électorat de Donald Trump.

“Nous, les dysfonctionnels du Corona”

La tribune d’Alexander Neubacher, intitulée “Wir Coronaversager”, qui se comprend comme “Nous, les dysfonctionnels du Corona”, n’est pas tendre. Elle critique vigoureusement ceux qui, comme lui, ont plaidé en 2020 et 2021 pour des mesures drastiques dans l’espoir d’en finir avec la pandémie, quitte à mettre de côté tout cadre démocratique et législatif.

Au sujet des médias, en incluant explicitement le Spiegel, il écrit que ceux-ci “aimeraient se considérer comme le quatrième pouvoir”. Mais il constate que “le dictateur en nous a été plutôt puissant”.

“La tentation autoritaire est grande. Je découvre le dictateur en moi”. Alexander Neubacher, dans une tribune, janvier 2021

La justice a fonctionné en Allemagne

Le journaliste évoque un arrêt de justice dans le Brandebourg, considérant comme inconstitutionnelle la loi de 2020 qui autorisait le ministre de l’Intérieur, pendant une période d’urgence, à déroger aux dispositions de la Constitution locale par l’adoption de décrets-lois. En Allemagne, l’importance du fédéralisme est encore bien ancrée dans les mentalités.

C’est le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne), étiqueté d’extrême-droite par les médias mais dont la co-leader Aline Weidel, vivant en Suisse, est mariée à une autre femme, qui avait déposé un recours contre cette loi. La députée européenne Christine Anderson, auteure de multiples interventions contre les mesures Covid en fait aussi partie. Alexander Neubacher admet que ce mouvement peut désormais se poser à juste titre en défenseur de la Constitution.

“Nous savons désormais que de nombreuses mesures prises en cas de pandémie étaient absurdes, excessives et illégales. Rien qui ne mérite des lauriers, même pour nous, les médias”.

Une vague de manque de courage

Il constate dans son mea culpa que “trop peu de gens se sont opposés à la fermeture des écoles décidée par les responsables politiques il y a trois ans, prolongée à plusieurs reprises pendant des mois: ni la Cour constitutionnelle fédérale, ni d’Académie nationale des sciences, ni le Conseil allemand d’éthique, ni Christian Drosten (ndlr: le Monsieur Corona allemand)”. Avec ce que l’on sait aujourd’hui, il s’agit d’un “énorme ratage”.

Société libérale, vraiment?

Alexander Neubacher se dit également inquiet de “la facilité avec laquelle les droits de la liberté ont été suspendus dans notre société soi-disant si libérale”. Selon lui, le contrôle et les contre-pouvoirs font partie de la démocratie, et sont particulièrement importants en temps de crise. Or, ajoute-t-il, “lors de la pandémie, cela n’a pas fonctionné correctement”.

Pour lui, “le vernis de la civilisation est manifestement plus fin” qu’il ne le pensait à cet égard”. Il ajoute que “la liberté semble être un concept valable seulement quand il fait beau temps”.

Journaliste engagé: «recommencer à penser par soi-même»

Alexander Neubacher n’a jamais laissé son esprit critique de côté, ce qui lui a d’ailleurs valu un prix du journalisme en 2009 pour une enquête sur les réformes du système de santé allemand.

À relever dans ce cadre qu’il est également l’auteur d’un livre, intitulé Totalement limité (Total beschränkt) – Comment l’État nous empêche de penser avec toujours plus de réglementations”, dans lequel il explique avec humour le triomphe des interdits étatiques sur la rationalité et pourquoi il vaut la peine de recommencer à penser par soi-même.