Une austérité de choc est prévue pour la France

La Commission européenne impose à la France une «diète sévère», dont l'objectif à terme est un «reset» économique et monétaire.

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Hausse importante d’impôts et coupes budgétaires massives pour la sécurité sociale et les collectivités locales: tel est le «plan de redressement» exigé par la Commission européenne, qui a lancé cet été une procédure pour déficit excessif visant la France.

Ce document, dont le contenu a été révélé par le journal français le Monde la semaine dernière et qui est qualifié de «plan budgétaire et structurel national de moyen terme», est attendu par Bruxelles d’ici à la fin octobre.

Pacte de stabilité

Le cadre légal de cette austérité prévue est le «Pacte de stabilité et de croissance», fondé sur les articles 121 et 126 du Traité de Rome, et qui impose aux États de la zone euro de ne pas dépasser un déficit public de 3% du produit intérieur brut (PIB). Or la France ne respecte plus cette limite depuis longtemps, et son déficit public devrait atteindre 5,6% du PIB en 2024.

Une exception temporaire avait été accordée à cause de la «crise Covid», mais cette dérogation a été levée, et la Commission européenne a ouvert cet été une «procédure de déficit excessif» contre la France.

Si le déficit n’est pas rapidement comblé, le traité prévoit que des sanctions peuvent être imposées, et notamment des amendes, de 0,2 à 0,5% du PIB, sous forme d’un dépôt auprès de la Banque centrale européenne.

La France est en effet un des plus mauvais élèves de la zone euro. En 2023, son déficit s’est placé à 5,5%, seuls trois pays faisant pire (Italie, Hongrie et Roumanie). En terme de dette publique, elle est également parmi les derniers, avec une dette publique en 2023 à plus de 110% de son PIB, seules l’Italie et la Grèce faisant pire; la France est même devancée par le Portugal et l’Espagne qui pourtant font partie des PIGS.

Austérité dérisoire

Beaucoup d’économistes notent que le chiffre arbitraire de 3% prévu par le Pacte de stabilité n’a rien à voir avec une quelconque discipline fiscale véritable. Tout d’abord, parce que presque aucun pays ne le respecte vraiment; en 2023, la moyenne de la zone euro s’est établie à 3.6%, et 14 pays sur 19 n’ont pas respecté le seuil. Ensuite, parce qu’un déficit public de 3% sur le long terme produit tout de même une croissance logarithmique de la dette: elle n’est donc pas soutenable à terme, même si la limite artificielle de déficit est respectée chaque année.

Mais avant toute chose, il est important de noter que la dette publique française a déjà dépassé le seuil au-delà duquel la dette produit de la dette qui produit de la dette. Autrement dit, l’État a déjà besoin d’emprunter pour payer les intérêts sur la dette existante. Les marchés obligataires reflètent déjà cette réalité, puisque la France emprunte désormais à cinq ans à un taux non seulement plus élevé que le Portugal et l’Espagne, mais même supérieur à la Grèce.

En d’autres termes: la dette publique est déjà largement insoutenable, et ce ne sont pas les quelques dizaines de milliards que le gouvernement cherche à éviter d’emprunter ces sept prochaines années qui changeront la donne. La dette continuera de toute façon à augmenter, et cette «austérité» ne servira qu’à accroître la souffrance des gens dans l’attente d’une crise de toute façon inévitable.

La seule raison pour laquelle cette crise n’a pas déjà eu lieu est le fameux «whatever it takes» (quoi qu’il en coûte) prononcé en juillet 2012 par Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE), et qui a signé l’avènement d’une politique de monétisation de la dette publique en Europe, sur le principe de la «Zimbabwe School of Economics» dont la Banque centrale américaine s’était faite la principale représentante dès 2008.

Cela signifie que c’est la BCE qui permet depuis plus de 10 ans aux États européens d’emprunter au-delà de leurs moyens, en achetant elle-même leurs titres obligataires avec de la monnaie nouvellement créée. Ce mécanisme s’appelle désormais “assouplissement quantitatif” (Quantitative Easing en anglais) comme s’il s’agissait d’un principe nouveau; en réalité, le principe est vieux comme le monde, et s’est toujours appelé financement monétaire. Il s’agit de l’éternel dernier recours à disposition des régimes surendettés, et est toujours suivi d’une destruction inflationnaire de la monnaie.

Dette odieuse

Le problème des régimes européens surendettés, dont la France, n’est donc pas le déficit public à proprement parler: c’est que la BCE a arrêté en 2022 son financement monétaire, après avoir annoncé cette interruption en 2018. Depuis deux ans, la Banque centrale ne subventionne plus les taux d’emprunt.

Cette analyse n’est ni rare ni controversée. Ce qui est plus rarement expliqué en revanche, c’est le concept de dette odieuse. Selon Wikipedia, la définition de ce terme est la suivante:

La doctrine de la dette odieuse a émergé au cours du XIXe siècle. Elle concerne l’annulation de la dette contractée par un régime despotique pour subvenir à ses besoins personnels et non à ceux de son peuple. […]

En 2002, le Centre for International Sustainable Development Law (centre pour la loi du développement durable) (CISDL) a proposé la définition suivante: «Les dettes odieuses sont celles qui ont été contractées contre les intérêts de la population d’un État, sans son consentement et en toute connaissance de cause par les créanciers». Le CISDL définit trois critères qui fondent le caractère odieux d’une dette:

  • l’absence de consentement : la dette a été contractée contre la volonté du peuple.
  • l’absence de bénéfice : les fonds ont été dépensés de façon contraire aux intérêts de la population.
  • la connaissance des intentions de l’emprunteur par les créanciers.

Peu de responsables et commentateurs politiques l’admettent, mais la dette française est tout à fait odieuse. Il ne s’agit même pas de la légitimité du régime qui est en cause, ni de la façon dont la dette sert principalement à financer le train de vie d’une oligarchie improductive et parasitique. C’est la nature même du système monétaire qui rend la dette odieuse.

Création monétaire

Dans un système monétaire entièrement fiduciaire, comme celui qui prévaut désormais dans la zone euro et dans le monde, tout l’argent créé l’est sous forme de dette. C’est pour cela qu’on l’appelle en anglais un «debt-based money system». Chaque euro qui entre en circulation l’est sous forme de crédit, généralement via les banques lorsqu’elles octroient des prêts. C’est très important de comprendre ce mécanisme de création monétaire, auquel peu de gens s’intéressent malheureusement.

Pour réitérer ce principe: chaque euro en circulation a été émis sous forme de dette. Mais qui dit dette dit taux d’intérêt, cela signifie donc aussi que chaque euro a un taux d’intérêt qui lui est attribué.

Une question se pose dès lors: si la totalité de l’argent en circulation a un taux d’intérêt qui lui est attribué, d’où vient la monnaie pour payer ces intérêts? La réponse est simple: de la nouvelle monnaie. C’est la raison pour laquelle la quantité totale de monnaie (et donc de dette) doit nécessairement croître chaque année, car sinon l’économie rentre dans une spirale déflationniste. Cela est dû à la nature même du système monétaire. C’est la raison pour laquelle les économistes parlent d’une croissance monétaire (ou inflation monétaire) indispensable ciblée autour de 3%.

En résumé, dans un système monétaire fiduciaire, la quantité de monnaie – et donc la quantité de dette – doit nécessairement croître de façon exponentielle. A raison de 3% par an au moins, cela signifie qu’elle doit doubler tous les 24 ans au plus. Cela garantit une servitude des populations, qui sont enchaînées à un fardeau de dette dont la nature sous-jacente même l’empêche de se libérer.

Il est indispensable de saisir ce principe, par lequel les populations du monde se trouvent en état de servitude. Pour en faciliter la compréhension, l’excellent documentaire l’argent dette traduit en français est inclus ci-dessous. C’est la nature même de la dette qui la rend odieuse, puisqu’elle est conçue pour l’asservissement des peuples, et qu’il est rendu impossible de s’en libérer.

 

Gouvernement fiscal européen

Le plan d’austérité prévu pour les français ne va ni endiguer la dette, ni calmer les marchés obligataires. Au contraire, la récession et l’instabilité sociale qui en résulteront sont susceptibles d’accélérer l’inévitable crise fiscale, plutôt que de la retarder. Les taux d’emprunt vont augmenter, et la France se retrouvera dans une situation semblable à celle de la Grèce il y a douze ans.

Lorsque cela se produit, il est possible que la BCE intervienne de nouveau, et réactive son programme de financement monétaire; à ce stade, peut-être la Banque de Suède décernera-t-elle même son prix convoité à Robert Mugabe. En tout état de cause, une telle intervention ne ferait que retarder l’inévitable «reset monétaire».

En Europe, cette crise est attendue, et la façon dont les planificateurs prévoient de l’exploiter est déjà annoncée: la mise en œuvre d’une politique fiscale européenne centralisée.

En effet, lorsque l’euro a été introduit en 1999, les architectes de l’union monétaire étaient parfaitement conscients de ses limites structurelles. En particulier, ils savaient qu’une politique monétaire unifiée en l’absence d’une politique fiscale centralisée signifierait imposer une austérité à des régimes qui historiquement privilégient l’inflation (et donc la dévaluation) à la discipline fiscale. Cela devait inévitablement conduire à des crises politiques.

Or il n’était pas possible à l’époque d’introduire un système fiscal intégré. Le projet de création d’un «super-État» européen a donc été conçu en deux phases: la première consistait à réaliser l’intégration monétaire, et la seconde à imposer une centralisation fiscale lorsque l’inévitable crise se produirait.

Cette approche de l’intégration européenne axée sur la crise a même un nom en anglais: «failing forward» (ou «avancer en échouant»). L’idée est que les crises sont prévues et précipitées pour révéler les faiblesses du système, et produire la volonté politique servant à imposer de nouvelles réformes. Cette approche est plus connue sous le principe hégélien de «problème, réaction, solution».

Romano Prodi, président de la Commission européenne, l’a reconnu sans ambage et sans ambiguïté en décembre 2001:

Je suis certain que l’euro nous obligera à introduire une nouvelle série d’instruments de politique économique. Il est politiquement impossible de le proposer aujourd’hui. Mais un jour, il y aura une crise et de nouveaux instruments seront créés.

En conclusion

Les planificateurs centraux préparent une crise fiscale et monétaire pour l’Europe, qui doit permettre de mettre en œuvre le «reset» envisagé. Ce changement impliquera une politique fiscale européenne unifiée, et probablement de nouveaux instruments monétaires tels que les CBDC (monnaie numérique de banque centrale).

Pour faciliter l’émergence d’une telle crise, une stratégie du choc est désormais prévue pour la France. Sûrs que cela provoquera des troubles sociaux, les planificateurs s’attendent à exploiter cette crise pour faire progresser leurs ambitions.

Pour les individus, une question demeure: jusqu’à quel stade accepteront-ils de coopérer avec un régime qui n’agit pas dans leur intérêt? Et à partir de quel moment décideront-ils de s’en séparer, moralement et physiquement?