Italie: l’ancien président de la RAI est viré sans la moindre explication

L'émission de Marcello Foa dénonçait trop et "dérangeait tant la gauche que la droite".

Surprise à la rentrée pour les auditeurs de Radio Rai Uno: l’émission prime time «Bas les masques!» de l’éminent et respecté journaliste Marcello Foa a disparu de la grille des programmes. Le nouveau PDG de la radiotélévision italienne Nicola Rao, un proche du gouvernement Meloni, l’a écarté sans le moindre égard. 

Le journaliste qui avait été à la tête des chaînes nationales de 2018 à 2021 a exprimé son amertume dans différents médias, en réaction à ce qu’il estime être une censure politique déguisée.

Fin juin, on m’avait averti qu’il y aurait une refonte des programmes et qu’on me tiendrait au courant quant à la suite de mon émission. C’est tout, je n’ai eu aucune nouvelle depuis lors, même pas un appel téléphonique. J’ai appris que mon émission avait été supprimée en lisant les journaux.

Le programme dérangeait parce qu’il sortait de la logique de débat entre le gouvernement et l’opposition. La plupart des émissions peuvent être cataloguées comme étant ‘de gauche’ ou ‘de droite’, mais «Bas les masques!» tentait de sortir de cette logique et de remettre en question les prémisses du débat pour montrer une réalité plurielle. 

Sur des sujets comme la guerre en Ukraine ou à Gaza ou le Covid, nous ne nous étions pas alignés au discours officiel. Idem sur les thématiques liées à l’Union européenne ou les élections en Roumanie. Mais nous avons toujours pris soin de refléter les différentes positions dans ces débats.

Si la surprise n’est pas énorme, un tel manque de respect pour un journaliste réputé et ancien directeur de l’institution a bien de quoi choquer.

Trop de liberté journalistique, pas assez de contrôle politique

Journaliste renommé en Italie et en Suisse, Marcello Foa a pourtant un parcours assez remarquable. En Suisse italienne, où il fut PDG du groupe MediaTI et du quotidien Corriere del Ticino, en Italie comme rédacteur en chef du journal international Il Giornale, et comme professeur à l’Université de Lugano et à l’Université Catholique de Milan, où il a donné des cours sur le journalisme international, l’éthique et la manipulation des médias.

En 2004, Foa est l’un des fondateurs de l’Observatoire européen du journalisme, un organisme souvent cité comme une référence en matière d’éthique professionnelle. En parallèle, il publie plusieurs ouvrages sur la manière dont les évènements sont mis en scène dans les médias, dont 2 tomes intitulés « Les sorciers de l’actualité. Comment l’information est fabriquée au service des gouvernements« .

En 2018, à la faveur d’un changement de majorité et de disputes politiques, il devient président de la Radiotélévision italienne, un choix « neutre » sur lequel tous les partis finissent par s’accorder. Mais sa nomination à la tête de la RAI est très mal accueillie par la presse internationale qui l’affuble immédiatement des pires étiquettes: euro-sceptique, promoteur de fake news (ea. les activités criminelles d’Hillary Clinton et de Georges Soros), anti-gay, anti-immigré, antivax et pro-russe.

Son mandat prend fin en 2021 sans être renouvelé: en plein Covid, Foa dérangeait beaucoup trop par sa volonté d’ouvrir le débat sur la pertinence des mesures sanitaires… On lui doit notamment la seule apparition de Robert Kennedy Jr sur une antenne de télévision publique.

Après son départ, il assure d’autres missions à la RAI tout en poursuivant ses dénonciations avec la publication d’un ouvrage sur la gouvernance mondiale invisible et le « grand reset » intitulé « il sistema invisibile » (le système invisible).

En 2023, il lance l’émission « Bas les masques » en prime time sur Radio Uno, une émission très appréciée du public pour son franc-parler.

Censure silencieuse

Curieusement, lors du remaniement des programmes annoncé par le nouveau directeur, « Bas les masques! » est le seul programme que l’on supprime de la grille, tous les autres sont confirmés.   

Trop « neutre », trop « pluraliste », trop « complotiste »… L’émission était considérée comme une trouée dans les brumes épaisses du journalisme partisan. Elle réunissait les figures de proue de l’information indépendante en Italie, avec la  participation de Peter Gomez, directeur du journal «Il Fatto quotidiano» , de l’enquêtrice Alessandra Ghisleri et de Giorgio Gandola, connu pour les émissions La Verità et Panorama. 

Chaque matin, l’équipe abordait une thématique brûlante de l’actualité dans un bref exposé, suivi de différentes interviews et d’une série d’analyses et de débats en studio avec des invités auteurs, intellectuels ou responsables d’institutions. 

Une des dernières émissions fin juin avait par exemple soulevé le tabou de la pédocriminalité et des dérives de l’aide sociale à l’enfance. L’auteure de cet article s’était d’ailleurs exprimée en fin d’émission sur les réseaux pédocriminels, notamment dans les affaires belges et françaises (Dutroux, Outreau) et sur l’impact de nouveaux témoignages, notamment dans le documentaire « Les survivantes » de Pierre Barnérias.

Il fallait sans doute s’attendre à ce qu’une telle liberté d’expression sur une chaîne publique ne puisse continuer indéfiniment, tout ceci n’étant finalement que le reflet de la dérive générale du journalisme actuel.  Comme le rappelle Marcello Foa dans son entretien au « Fatto quotidiano »:

Cela devrait être l’abc du journalisme que de défendre la pluralité d’opinion, mais ces dernières années les journalistes se positionnent de plus en plus derrière des partis et des figures politiques très polarisées. Nous assistons à la disparition de la mise en doute, du journalisme d’enquête et de la réflexion… 

Sources:

Entretien téléphonique du 5 septembre avec Marcello Foa

Maurizio Caverzan, « La RAI cancella il programma di Foa », La Verita, 29 août 2025

Maddalena Lai, « La Rai dei meloniani mi ha fatto fuori », Il Fatto Quotidiano, 29 août 2025

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